1 - L'environnement initial
Les précurseurs
Ce n'est qu'au début de notre siècle que les
scientifiques se sont mis à étudier les moyens
d'aller dans l'espace. Auparavant, des romanciers de science
fiction, tels que Jules Verne ou H.G. Wells, avaient imaginé
des voyages vers la Lune, objectif bien visible du commun
des mortels, mais la faisabilité des moyens qu'ils
décrivaient était loin d'être démontrée.
Il n'est pas dans notre propos d'exposer les détails
du développement de l'astronautique. Nous allons
simplement en rappeler quelques étapes.
Le principal problème consistait à réaliser des
ensembles propulsifs qui, avant d'être capables de mettre des charges
utiles en orbite, puissent au moins, accompagnés de leurs réserves
d'ergols, s'arracher eux-mêmes à l'attraction terrestre et
atteindre une vitesse suffisante pour être mis en orbite. La chasse
aux kilogrammes, et même aux grammes, superflus est bien connue de
la plupart de ceux qui seront cités dans cet ouvrage.
Parmi les scientifiques qui ont travaillé sur les problèmes
d'astronautique, on peut citer le Français Robert Esnault-Peltrie,
qui est un précurseur. Ayant commencé ses travaux vers 1908,
il publie en 1912, à Saint-Petersbourg et à Paris, sa première
communication intitulée Considérations sur les résultats
d'un allègement indéfini des moteurs.
Il apparaît très rapidement que la propulsion par réaction
est la seule qui permette de se déplacer hors de l'atmosphère
terrestre. Le principe de la fusée est connu et mis en pratique
depuis des siècles, en particulier par des fabricants de feux d'artifice
qui disposent d'ergols solides, encore que le mot «ergol» soit
d'invention toute récente.
Cette utilisation d'ergols solides se développe rapidement pendant
la deuxième guerre mondiale, et de nombreux missiles militaires,
y compris certains missiles balistiques, font appel à ce mode de
propulsion. Cependant, dès les années vingt, l'utilisation
d'ergols liquides donne lieu à des études qui paraissent
prometteuses.
Le premier essai en vol d'une fusée à ergols liquides
est réalisé en 1926 par l'Américain Robert Goddard.
En France, c'est toujours Robert Esnault-Peltrie qui essaye au banc, de
1934 à 1937, à Satory, les premiers moteurs-fusées
français à liquides. Un de ses collaborateurs, Jean-Jacques
Barre, va lui succéder dans ses travaux et, avec la plus grande
discrétion, continuer de bénéficier de crédits
d'État, malgré l'occupation allemande, pour réaliser
et essayer au banc une fusée à liquides, d'abord au camp
du Larzac en 1941, puis à Lyon en 1942. Ce n'est qu'après
la Libération que cette fusée sera essayée en vol,
avec des fortunes diverses, de mars 1945 à juillet 1946 à
La Renardière, près de Toulon.
Après la guerre, les nations alliées bénéficient
de l'expérience des ingénieurs allemands qui ont mis au point
les V1 et les V2. Parmi eux, Werner Von Braun est l'un des principaux artisans
de la fusée Saturn qui permettra le succès du programme
Apollo
d'exploration de la Lune.
Les premières réalisations
Dans les années cinquante, on parle sérieusement de mettre
des satellites en orbite, tout au moins dans la presse scientifique américaine.
On commence à explorer la haute atmosphère avec des fusées
sondes. En prévision de l'Année géophysique internationale
(juillet 1957 à décembre 1958), des scientifiques insistent
sur l'intérêt de mettre en orbite des satellites artificiels.
Le coup d'envoi de l'ère spatiale est donné par les Soviétiques,
toujours très discrets sur leurs préparatifs.
Le
4 octobre 1957, le monde apprend qu'un satellite artificiel de la Terre,
baptisé Spoutnik, vient d'être mis en orbite par une
fusée soviétique. Bien entendu, étant donné
l'intense rivalité de l'époque, les États-Unis d'Amérique
se doivent de réagir. Un lanceur de satellites, baptisé Vanguard,
est en construction sous l'égide de la marine américaine,
mais la première tentative de lancement, le 6 décembre 1957,
sera un échec. C'est finalement par le lanceur Jupiter, dérivé
du missile militaire Redstone de l'armée de terre, que le
premier satellite américain Explorer, d'une masse de 14 kilos,
est mis en orbite le 31 janvier 1958.
L'ère spatiale est lancée, avec, dans une première
phase, des satellites équipés d'appareils de mesures et d'observations
scientifiques. Il ne faudra attendre qu'un peu plus de trois ans pour assister,
après quelques vols d'essais suborbitaux, aux premiers vols habités
: du côté soviétique, les Vostok 1 et 2 occupés
respectivement par Iouri Gagarine le 12 avril 1961 et Titov, les 6 et 7
août 1961 ; du côté américain, la capsule Mercury
occupée par John Glenn le 20 février 1962.
L'éveil
La nouvelle de la mise en orbite du premier Spoutnik provoque de
nombreuses réactions dans notre pays. Les scientifiques entrevoient
la mise à leur disposition de moyens nouveaux pour étudier
non seulement notre globe et son environnement immédiat mais aussi
le système solaire et l'univers lointain.
Une réflexion commence pour tenter de déterminer comment
disposer de ces moyens. Certains d'entre eux peuvent, éventuellement,
être mis en oeuvre à l'échelon national, mais ils seraient
forcément limités. On voit ainsi naître progressivement
l'idée d'un organisme national chargé des questions spatiales
et, en même temps, celle d'un organisme international, au niveau
européen, qui devrait, a priori, pouvoir disposer de moyens
plus importants qu'un organisme purement national. C'est donc en parallèle
qu'apparaissent peu à peu en France et en Europe des organisations
gouvernementales chargées de gérer les activités spatiales,
c'est-à-dire les programmes de satellites et ceux de leurs moyens
de lancement.
L'éveil en France
Depuis
1959, des études sont réalisées en France pour la
conception et la réalisation de missiles balistiques. De là
à proposer l'adaptation de ces missiles à la fonction de
lanceurs de satellites, il n'y a qu'un pas, qui sera rapidement franchi.
En décembre 1960, la SEREB (Société d'Études
et de Réalisations d'Engins Balistiques) propose de dériver
des SSBS en cours de développement un lanceur permettant de placer
une masse de 50 kilos sur une orbite de périgée 300 km.
Le gouvernement français avait fondé, le 7 janvier 1959,
un groupe de réflexion appelé Comité des recherches
spatiales, dont le Président était Pierre Auger. C'est le
18 décembre 1961 que ce Comité décide la réalisation
de ce qui deviendra le lanceur Diamant.
À
la suite des travaux de ce Comité, la décision de créer
le CNES est signée le 19 décembre 1961. Son décret
d'application est daté du 10 février 1962. Le premier Président
du CNES sera Pierre Auger et son premier Directeur Général
Robert Aubinière, à partir du 1er mars 1962.
Trois
ans et demi plus tard, le lanceur Diamant met en orbite à
partir de la base d'Hammaguir son premier satellite d'essai, baptisé
Astérix,
le 26 novembre 1965 à 15 h 47. Équipé d'un répondeur
radar américain fourni par Motorola, ce satellite, dont la seule
mission est de préciser l'orbite atteinte, possède une antenne
Thomson, fabriquée à Bagneux. Mais nous en reparlerons plus
loin.
L'éveil en Europe
Une évolution analogue se déroule au niveau européen.
En janvier 1960, une réunion internationale tenue à Nice
avait proposé de créer le GEERS (Groupe Européen d'Études
pour la Recherche Spatiale). Cet organisme naît officiellement les
23 et 24 juin 1960 au cours d'une réunion à Paris entre représentants
de la Belgique, de la France, de l'Italie, des Pays-Bas, du Royaume-Uni
et de la Suède. Ces pays seront rejoints par l'Allemagne fédérale
et la Suisse, puis la Norvège et le Danemark. Le Président
du GEERS est le Britannique H. Massey et le secrétaire exécutif
le Français Pierre Auger.
Au GEERS succède la COPERS (COmmission Préparatoire
Européenne de Recherches Spatiales), mise en place par le GEERS
lui-même au cours d'une réunion se déroulant à
Genève du 28 novembre au 1er décembre 1960. Comme
son nom l'indique, cette nouvelle organisation, qui fonctionne effectivement
à partir du 27 février 1961, doit préparer la mise
en place d'une organisation permanente. Participent aux travaux de la COPERS
les pays membres du GEERS auxquels se joignent, durant l'année 1961,
l'Espagne et l'Autriche. Par contre, la Norvège quittera l'organisation
en juin 1962.
Les
dirigeants de la COPERS, élus en mars 1961, sont les mêmes
que ceux du GEERS : H. Massey, Président, et Pierre Auger, secrétaire
exécutif. Les travaux de la COPERS aboutissent à la création
de l'ESRO (European Space Research Organization).
Ouverte à la signature le 14 juin 1962, la convention internationale
créant l'ESRO entre finalement en application le 20 mars 1964. Elle
regroupe l'Allemagne fédérale, la Belgique, le Danemark,
l'Espagne, la France, l'Italie, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, la Suède
et la Suisse. L'Autriche et la Norvège y possèdent le statut
d'observateurs. Le Conseil de l'ESRO se réunit pour la première
fois les 23 et 24 mars 1964 sous la présidence de H. Massey, et
Pierre Auger y est élu Directeur Général.
La
mission principale de l'ESRO est la recherche scientifique dans l'espace,
c'est-à-dire principalement la réalisation et la mise en
oeuvre de satellites et de sondes interplanétaires à but scientifique.
Ce n'est que plus tard qu'elle sera habilitée à réaliser,
à titre expérimental, des satellites d'applications tels
que des satellites de télécommunications.
En
parallèle avec la création de l'ESRO, une organisation consacrée
à la réalisation de lanceurs de satellites voit le jour à
peu près à la même époque. C'est le 29 mars
1962 qu'est ouverte à la signature la convention créant l'ELDO,
qui entrera en application le 29 février 1964 et dont les pays membres
sont l'Allemagne fédérale, la Belgique, l'Australie, la France,
l'Italie, les Pays-Bas et le Royaume-Uni. Le premier Président en
est l'Allemand G. Bock et le premier secrétaire général
l'Italien R. Carrobio di Carrobio.
Les
deux organisations se mettent en place et commencent à travailler
avec toute la lenteur rendue inévitable par leurs origines internationales.
Ce n'est qu'en mai 1967 qu'est lancé le premier satellite construit
sous la responsabilité de l'ESRO (ESRO IIA). Ce lancement
est un échec, mais l'organisation connaîtra de nombreux succès
jusqu'à son remplacement par l'ESA (European Space Agency), en mai
1975. Quant à l'ELDO, elle ne connaîtra pratiquement que des
échecs jusqu'à son intégration à l'ESA en mai
1975. Arrivera ensuite, sous l'impulsion particulière de la France
et du CNES, le programme Ariane qui donnera naissance à une
famille de lanceurs dont la réputation a conquis le monde entier. |