2 - Les premières activités spatiales
à Thomson et à CSF
Les débuts
C'est en 1964 que le CNES lance ses premiers appels d'offres pour équiper
les satellites qui doivent être mis en orbite par le lanceur Diamant.
Le Service NF, au Département Télécommunications,
qui fait partie de la Division RTT (Radiodiffusion, Télévision,
Télécommunications) est alors dirigé
par Pierre Vivet. Il est chargé de l'étude de matériels
de télécommunications militaires portables, compacts, légers
et robustes, fonctionnant dans les bandes VHF et UHF. Ce service est donc
naturellement désigné par Pierre Chavance, Directeur du Département,
pour répondre à un appel d'offres du CNES concernant l'étude
et la fourniture d'un ensemble récepteur-décodeur de télécommande
à embarquer à bord du satellite D1. L'offre est retenue
par le CNES et constitue le début d'un enchaînement de programmes
qui vont être énumérés ci-dessous. Le satellite
D1
sera
lancé le 17 février 1966.
En
1965, Pierre Vivet, appelé au sein de l'état-major du Département,
cède la direction du Service NF à Roland Gosmand, qui sera
le responsable des activités télémesure, télécommande,
localisation (TM-TC) jusqu'à fin 1981, au début des préparatifs
du transfert vers Toulouse. Au programme D1A succédera le
programme Intelsat II dans lequel le client sera Hughes Aircraft
et qui sera exécuté en 1965-66. Les lancements où
figure notre matériel auront lieu le 11 janvier 1967 pour Intelsat
IIA et le 22 mars 1967 pour Intelsat IIC.
Le Service NF y assure la réalisation sur plans, la mise au point
et les essais des émetteurs de télémesure VHF. Au
cours de la même période, l'activité augmente d'une
manière importante avec la réalisation de :
- douze récepteurs de télécommande ;
- douze décodeurs de télécommande ;
- douze duplexeurs ;
- deux exemplaires de l'équipement de tests de télécommande
;
pour
les satellites ESRO IA, ESRO IB, ESRO IIA, ESRO IIB lancés
respectivement le 3 octobre 1968, le 1er octobre 1969 (échec
au lancement), le 30 mai 1967 (échec au lancement) et le 17 mai
1968. Dans les deux cas, le client final est l'ESRO et les clients directs
sont les maîtres d'oeuvre LCT pour ESRO I et Hawker Siddeley
pour ESRO II. L'ESRO commande de plus, en 1965, plus de cent émetteurs
VHF pour fusées sondes (230 MHz) qui sont réalisés
à Gennevilliers sous la direction du Service NF.
Les progrès
Une étape supplémentaire est franchie en 1966 lorsque, pour
l'ESRO, et sous la maîtrise d'oeuvre d'ensemble de Dornier Systems,
le Service NF se voit confier la maîtrise d'oeuvre du sous-système
TM-TC des satellites HEOS A1 et HEOS A2, qui seront lancés
respectivement le 5 décembre 1968 et le 31 janvier 1972.
Le Service NF sous-traite à la SAT le codeur de télémesure
et réalise lui-même à Gennevilliers, au cours des années
1966 et 1967, les matériels suivants :
- récepteurs de télécommande en VHF ;
- émetteurs de télémesure en VHF ;
- duplexeurs et coupleurs d'antenne ;
- décodeurs de télécommande ;
- boîtiers de mesure de distance utilisés pour extraire
du récepteur de télécommande trois fréquences
harmoniques déphasées et les réinjecter dans l'émetteur
de télémesure.
Dans ce premier programme, qui nécessite une coordination des
réalisations des différents éléments et leur
intégration dans un sous-système, un chef de projet est désigné
pour diriger ces tâches. Ce premier chef de projet est Jean-Paul
Sigwald. C'est également à Gennevilliers, à partir
de 1968, que débute l'exécution du programme Intelsat
IV et du sous-système télémesure-télécommande
du satellite
Symphonie. À cause de leur importance, chacun
de ces programmes fera l'objet d'un chapitre particulier.
En plus de ceux déjà cités, et parce qu'ils sont
peu nombreux, il nous paraît opportun de mentionner, sans aucun ordre
hiérarchique, les noms de ces ingénieurs et techniciens qui
développeront les premiers matériels pour satellites à
Gennevilliers. Il s'agit de MM. Crenol, Dimant, Fontanes, Hayard, Lancrenon,
Le Henaff, Nielloux, Riboni et Roulet. Si, par malheur, nous en avions
oublié quelques autres, qu'ils veuillent bien nous en excuser. Il
convient également de citer le commerçant responsable de
toutes ces affaires, Pierre Gautier, qui continuera dans le spatial jusqu'à
sa retraite.
Les moyens de fabrication dans la période 1964-1969
Compte tenu des spécificités de la fabrication des matériels
spatiaux : objectifs de fiabilité, faible nombre d'équipements
d'un même type, etc., une première salle propre est construite
à Gennevilliers. Une équipe d'une dizaine de personnes y
travaille, comprenant encadrement, câbleurs et contrôleurs.
Les critères de qualité sont définis par des documents
du CNES (et de Hughes pour les matériels le concernant), et les
contrôleurs et câbleurs sont entraînés pour que
leur travail satisfasse à ces critères.
Deux catégories de câblage sont utilisées à
Gennevilliers ; les composants, à cette époque, sont des
composants discrets : câblage classique pour les équipements
RF, modules «cordwood» à circuits imprimés pour
les équipements «bande de base». La soudure à
l'étain est seule utilisée.
Les équipements RF sont constitués par des châssis
alvéolés en aluminium, taillés dans la masse et ensuite
dorés. Après le câblage, un premier réglage
et le contrôle des performances par le Service Technique, les alvéoles
sont remplis de mousse expansée (eccofoam) pour la tenue aux vibrations.
Le matériel est ensuite à nouveau réglé, contrôlé
en performances, et subit les essais de qualification ou de vol suivant
le cas : essais électriques, thermiques, mécaniques, d'abord
en prérecette, ensuite en recette en présence du client.
Les équipements bande de base sont réalisés en
modules «cordwood» à circuits imprimés doubles
couches trous métallisés, puis, un peu plus tard, multicouches.
Une fois le câblage et les performances électriques contrôlés,
les modules sont «pottés» en mousse expansée,
vérifiés à nouveau et assemblés sur un circuit
imprimé. L'ensemble est fixé dans un cadre en aluminium supportant
les connecteurs et subit un «potting» final.
L'équipe de la salle blanche doit donc s'exercer à satisfaire
les critères de qualité concernant câblage et soudures,
à réaliser convenablement les pottings, à mettre en
place un système de fiches suiveuses détaillant toutes les
opérations de fabrication, de contrôle et d'essais. À
cette époque, il n'existe pas de composants qualifiés spatiaux
en France et l'on est forcé de commander ces composants aux États-Unis.
Un contrôle rigoureux à leur réception s'avérera
nécessaire, car à plusieurs reprises certains responsables
auront l'impression que l'on essaye de leur écouler des lots refusés
par la NASA.
En 1969, à la suite du contrat Intelsat IV, le module
cordwood est abandonné au profit d'une technologie d'assemblage
utilisée par Hughes et plus appropriée aux boîtiers
«flat pack» alors disponibles. Les boîtiers sont collés
sur une barrette d'aluminium formant puits thermique. Des grilles métalliques
encollées sur des bandes isolantes les séparant permettent
d'interconnecter les boîtiers entre eux et avec l'extérieur.
Les soudures entre pattes des boîtiers et grilles sont des soudures
électriques.
Cette nouvelle technologie d'assemblage intervenant par ailleurs à
un moment de réorganisation des activités spatiales, suite
à la fusion Thomson-CSF, une nouvelle salle blanche, plus importante,
plus performante au niveau de la propreté et de la climatisation,
est construite à Vélizy, où sont regroupées
toutes les activités spatiales embarquées de la nouvelle
société.
La première «grande» proposition
Au début de l'année 1966, l'ESRO lance un appel d'offres
pour deux satellites scientifiques «lourds», dénommés
TD1
et TD2 simplement parce que leur futur lanceur doit être
la fusée américaine Thor-Delta.
En vue de cette réalisation, l'ESRO encourage les industriels
européens à constituer des consortiums. La participation
de Thomson puis de Thomson-CSF aux consortiums successifs EST et STAR sera
exposée dans un chapitre séparé. Sur le plan pratique,
après concertation avec le Bureau des Activités Spatiales,
il est décidé que le Département Télécommunications
pilotera la réponse à cet appel d'offres. Les matériels
à proposer ne peuvent porter que sur la télémesure
et la télécommande.
Le consortium EST (European Space Team) est formé de Elliott
Automation Ltd (Royaume-Uni), Compagnie Française Thomson-Houston
(France), FIAR (Italie), Fokker (Pays-Bas) et ASEA (Suède). Aucun
de ses membres n'ayant encore acquis l'expérience de la gestion
d'un programme de satellite, pas plus d'ailleurs que ses concurrents, il
est décidé de faire appel aux conseils d'une société
américaine ayant ce genre d'expérience. Le choix se porte
sur General Electric, à cause des relations très anciennes
que cette société entretient avec Thomson.
À Gennevilliers, les effectifs pouvant être affectés
à ce travail de proposition ne sont pas très importants et
le Service NF se trouve dans une période de surcharge. Il faut donc
faire feu de tout bois. C'est ainsi que Jacques Chaumeron et Pierre Vivet
sont appelés à revenir travailler dans le domaine spatial
pour les besoins de cette proposition. Pour la fonction commerciale, on
fait appel à Alphonse Piche, qui découvre à cette
occasion le domaine spatial. Tous trois partent à Valley Forge pour
une première période de deux semaines, durant laquelle General
Electric et les membres du consortium doivent définir les principales
caractéristiques de chacun des deux satellites à proposer
ainsi que les objectifs de prix, établir le plan de la proposition
et un programme de travail pour les différents partenaires, en vue
d'une seconde réunion à tenir un mois plus tard pour mettre
la proposition dans sa forme finale. Thomson obtient la responsabilité
de l'ensemble du sous-système télémesure-télécommande.
Bien que cette tâche entre parfaitement dans son domaine de compétences,
et bien qu'elle soit la seule parmi les Européens du consortium
à faire état d'une expérience de matériel en
orbite, puisque le satellite D1 a été lancé
quelques semaines auparavant, l'équipe de Gennevilliers découvre
avec stupeur l'énorme volume de documents que les Américains
ont l'habitude de produire dans une proposition.
Au prix de quelques nuits blanches, et grâce à la participation
de Roland Gosmand qui renforce l'équipe au cours du second séjour
à Valley Forge, la proposition est prête aux premières
heures de la matinée, le jour où elle doit être expédiée
à l'ESRO. La traduction en anglais d'une partie des textes produits
à Gennevilliers a été effectuée dans l'avion
entre Paris et Philadelphie.
Les prix proposés par les trois consortiums concurrents s'échelonnent
d'environ 16 millions à 19 millions d'unités de compte. Le
consortium MESH, qui est le moins disant, l'emporte, mais l'ESRO, dans
le cadre d'un marché en dépenses contrôlées,
doit débourser près du double pour obtenir finalement le
seul satellite TD1 et décider l'annulation de la suite du
programme. L'équipe de Thomson, bien que déçue, a
au moins acquis quelque expérience sur la rédaction d'une
proposition de satellite et sur les méthodes de gestion d'une telle
entreprise.
Les autres activités liées à l'espace
Durant les premières années de l'ère spatiale, les
équipes de Gennevilliers étudient et réalisent également
pour le CNES divers matériels d'infrastructure au sol :
- un système de réception de télémesure
PFM, travaillant en bande de base entre 5 et 15 kHz, pour les satellites
de la famille Diamant. Le système est basé sur une
boucle d'asservissement phase/fréquence fonctionnant sur une plage
voisine de l'octave, avec une très bonne résolution et un
temps d'acquisition très rapide ;
- un système de réception de télémesure
PCM destiné aux satellites des familles suivantes ;
- un système de distribution du temps destiné au centre
spatial de Kourou pour apporter aux différents sites du centre une
information horaire synchrone à la milliseconde, et recalée
en absolu sur les systèmes de distribution radioélectrique
du temps (WWV
), avec une précision de quelques millisecondes. L'information
horaire est disponible dans les différents sites en conformité
avec les divers standards numériques en usage sur la base. Le système,
conçu à la Division DTC de Gennevilliers en coopération
avec une petite société, est développé en relation
avec Lepaute, et entièrement intégré et installé
à Kourou par DTC. Sa précision et sa stabilité sont
obtenues grâce à des sources de fréquences au rubidium
réalisées par Rohde et Schwarz.
Pour l'ESRO, la Division DTC réalise des équipements de
distribution du temps destinés aux centres de commande et de suivi
de lancement des satellites de cette agence. Ces équipements, déduits
de ceux déjà fournis au CNES, doivent, dans chacun des centres,
fournir une information horaire synchrone dans les standards numériques
en usage. |