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Association Amicale des Anciens d'Alcatel Space
CHRONIQUES D'UN MÉTIER de 1963 à 1993
Table | Préf | Intro | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7 | 8 | 9

3 - Les unités spécialisées dans l'Espace

3.4 - Alcatel Thomson Espace et Alcatel Espace (ATES)

G - Le plan social de 1985

Les causes


Le développement rapide de la Division Espace et le déménagement à Toulouse ont entraîné une croissance très rapide des effectifs qui ont dépassé les mille personnes en 1984.

L'augmentation de la productivité et la rationalisation des organisations conduisent à un sureffectif durable, en particulier dans les professions ouvrières.

De plus, le programme Athos, qui devait donner du travail de réalisation pour un modèle de vol en 1986, est supprimé (et même des contrats signés sont partiellement résiliés, en particulier dans la réalisation d'équipements de vol).

La Direction Générale et la Direction des Ressources Humaines ont donc déjà favorisé les départs dans les spécialités en excédent, ce qui a permis, sans difficultés, de diminuer l'effectif de soixante-dix personnes en quelques mois (soit 7 %).

Mais l'avenir n'est pas assuré, après la suppression d'Athos et des extensions d'Intelsat VI, les satellites TDF 2 et TV-Sat 2 sont constamment retardés, et le programme Eutelsat n'est pas sûr (et surtout, le volume d'activité qui dépend du consortium retenu peut être très variable).

Aussi, le nouveau groupe CGE décide-t-il que la décroissance «douce» des effectifs n'est pas suffisante et qu'il faut procéder à un plan social.
 

Les grandes lignes du plan


Des discussions très vives ont lieu, dans le comité de direction, sur l'importance de ce plan social. Le risque est, si on va trop loin, de casser l'outil industriel et de se retrouver lors de la période de croissance suivante (inéluctable car les satellites sont «consommables» et ont une durée de vie de sept ans à cette époque) avec le même type de difficultés que dans les années 1980-1982.

Une vue «industrielle» conduit à un effectif minimum de 810 personnes, ce qui permet à l'outil de ne pas subir une restructuration profonde, traumatisante après les trois années précédentes très cahotiques, et donc de conserver les acquis durement obtenus.

Cependant, la décision finale est une baisse de 200 personnes, soit un chiffre final de 742 personnes (le point de départ en juillet 1985 étant de 942 personnes). Mais ce plan est très original par rapport à d'autres plans de l'époque :

- le chiffre final peut évoluer (vers le haut) si des commandes non prévues sont obtenues avant qu'il soit atteint (les prévisions de commandes étant très conservatrices, le chiffre minimal ne peut pas baisser durant cette période) ;

- au moment de la décision, l'ensemble de la société est en plein emploi et les baisses sont prévues dans les prochains mois. Aussi l'exécution du plan est-elle prévue sur environ seize mois ;

- c'est ainsi qu'une provision de 45 millions de francs sera constituée en juin 1985 pour couvrir toutes les conséquences du plan (y compris les difficultés de redémarrage) ;

- aucune liste de licenciement ne doit paraître avant début 1986, le volontariat étant encouragé au maximum pendant le deuxième semestre 1985.
 

Les mesures prises


Un recensement détaillé des postes en excédent a été fait, il est donc décidé que tout départ dans un autre poste pourra être remplacé par le titulaire d'un poste en excédent (si les compétences sont correctes).

En conséquence, une action très volontariste d'encouragement au départ est mise en place :

- plan FNE pour les cadres de plus de 55 ans volontaires pendant une durée d'un an ;

- aide à la création d'entreprise ;

- mise en formation de longue durée de techniciens pour obtenir, lors de la période de croissance ultérieure, des ingénieurs compétents, cette formation étant financée par des aides ;

- versement d'une indemnité de 100 000 francs, s'ajoutant aux indemnités dues, pour tout volontaire qui partirait avant le 31 décembre 1985.
 

En outre, le Directeur Général, Gérard Coffinet, avec un appui très efficace du DRH Martial Malaurie, mobilise les chefs de service et les rend responsables du reclassement de leurs personnels. En effet, ce sont eux qui connaissent le mieux les qualités de ces personnes et peuvent donc les valoriser auprès d'employeurs éventuels. De plus, l'ensemble des Directions entreprend également des actions auprès des employeurs toulousains pour trouver des débouchés.

Dans certains domaines critiques, comme les traitements de surfaces, il n'est pas possible de descendre au-dessous d'un certain effectif. Il est décidé que les responsables de ces services chercheront eux-mêmes de la sous-traitance pendant cette période. Cette décision est appuyée par Michel Chaussedoux, Directeur Industriel du Département Équipements.
 

Le déroulement du plan


Les premières semaines permettent de mettre en place les différentes possibilités suivantes :

• Pour le FNE, commencé dès le mois de mars, le succès est lent mais progressif et, petit à petit, presque tous les cadres susceptibles de l'utiliser le font, ce qui pose des problèmes à la société, qui perd des compétences très utiles qu'elle aurait souhaité garder. Mais la règle est le volontariat.

• La création d'entreprises est très soutenue par le conseil régional, en particulier son président Alex Raymond. Outre des conditions intéressantes offertes par la société, les pouvoirs publics donnent un appui significatif avec une étude de dossier, des aides et des formations :

- un carreleur se retrouve du jour au lendemain avec neuf mois de carnet de commandes (ce qui laisse à penser qu'il était déjà très connu pour son activité durant les week-ends) ;

- un réparateur de bijoux s'associe avec quelqu'un de sa famille pour lequel il travaillait la nuit… c'est pourquoi il était si fatigué le jour !

- un élevage de vers de terre voit le jour ;

- quatre ouvriers de la mécanique créent une entreprise de sous-traitance à Colomiers, ce qui permet à Alcatel Espace de disposer de sous-traitants compétents en mécanique pour les hyperfréquences, ce qui manquait dans la région.

• La formation donne lieu à une initiative originale montée entre la Direction Générale d'Alcatel Espace et l'université Paul-Sabatier : un certain nombre de techniciens (positions V2 et V3, donc à leur bâton de maréchal de non-ingénieur) peuvent préparer une maîtrise d'électronique à mi-temps en trois ans, qui leur permet de devenir ingénieurs tout en les laissant partiellement à la disposition de la société. Des aides publiques appuient naturellement cette novation qui remporte un grand succès.

• Quant au reclassement provisoire ou définitif dans d'autres entreprises, il est difficile au début, mais des actions très fortes sont entreprises auprès des autres industriels de la région (Aérospatiale, MATRA, Motorola, etc.) qui donnent tellement leurs fruits que, dès le début de 1986, il faut faire un effort pour garder les gens, le nombre de postes devenant supérieur aux possibilités. D'autant plus que, grâce à la méthode suivie, les premiers partants étaient des gens compétents, ce qui a facilité l'appel des sociétés.

• On connaît quelques moments difficiles :

- mise en place d'un chômage technique en novembre pour les ouvriers du câblage. Ce chômage touche peu de monde et a un impact très limité sur la rémunération des personnes concernées ;

- envahissement du restaurant commercial lors d'un déjeuner de Gérard Coffinet et Michel Chaussedoux avec l'administrateur de Thomson, Gérard Boelle ;

- manifestations contre la Direction Générale lors du SITEF du mois d'octobre.

• Parallèlement, des efforts seront faits pour rentrer des commandes alors que les personnes en formation diminuent l'effectif présent mais pas l'effectif inscrit.
 
 

Le maire de Toulouse, Dominique Baudis, appuie les efforts de la Direction Générale en envoyant immédiatement une lettre au Premier ministre de l'époque, Laurent Fabius. Cette lettre insiste sur la nécessité de passer la commande du satellite TDF 2.

Les actions de sous-traitance en mécanique et en traitement de surfaces sont couronnées de succès et permettent de garder un effectif critique.

Enfin, un certain nombre de petites commandes, ou de compléments aux affaires en cours, en particulier de Hughes, permet de relever progressivement l'effectif minimal en place qui passe de 742 à 810 au début de 1986.
 

La fin du plan


Pendant tout le deuxième semestre 1985, la décroissance des effectifs est supérieure à la baisse de charge (sauf très ponctuellement en câblage). Aussi n'est-il pas nécessaire de déposer des listes pour les licenciements secs. De plus, les syndicats, conscients des efforts de la Direction Générale, ne la gênent pas par des actions intempestives.

Cependant, début 1986, le groupe CGE insiste pour que les mesures plus dures envisagées soient mises en place. Il reste à l'époque environ 60 personnes (870 présentes pour 810 au plan).

 Jusque-là, la charge de travail nécessitait la présence de ces personnes. Il faut, pour la première fois, faire des listes qui conduisent à des départs effectifs à partir de mai 1986. L'ambiance devient naturellement très mauvaise et risque d'avoir des conséquences très préjudiciables sur les affaires en cours. De plus, pour des raisons politiques, le plan de licenciement est une première fois refusé.

Heureusement, dès le mois d'avril 1986, l'annonce du contrat Eutelsat 2, qui demande, au contraire, un renforcement des moyens (en ingénieurs et techniciens d'études, ce qui ne remet pas en cause les départs décidés dans le plan), rend complètement obsolètes ces discussions avec l'Admi­nistration.

Après une période de flottement, accentuée par le changement de majorité parlementaire, Jacques Imbert obtient que le plan soit annulé avant que n'aient lieu les premiers licenciements «secs» prévus.

Il faut au contraire remotiver toute la société, durement touchée par cette période difficile. À cet effet, le cinéma Le Trianon est loué le 18 juin 1986 pour une séance d'information de tout le personnel destinée à relancer les actions.
 

Les chiffres


Au départ du plan, en juillet 1985, on dénombre 942 personnes. À la fin, il reste 820 personnes.

Les 122 départs ont eu lieu sans aucun licenciement non volontaire et se sont répartis de la façon suivante :

- 36 FNE ;

- 34 créations d'entreprise ;

- 52 reclassements (définitifs ou provisoires avec retours ultérieurs).
 

Les effectifs ont décru régulièrement comme le montrent les chiffres suivants :
 
- fin mai 1984
1 016
- fin juillet 1985
942
- fin août
935
- fin septembre
926
- fin octobre
904
- fin novembre
889
- fin décembre
876
- fin janvier 1986
859
- fin février
848
- fin mars
832
- fin avril
820

 
 

Le personnel d'ATES à la sortie de la réunion du 18 juin 1986 où fut annoncée la fin du plan social.

 

Conclusion


Le plan social, même s'il a constitué un grand risque dans les activités de haute technologie (un certain nombre de jeunes ingénieurs pouvaient être tentés de partir alors qu'ils n'étaient pas touchés par le plan, ce qui aurait entraîné des retards très coûteux dans les affaires en cours) s'est bien terminé grâce aux efforts de tous :

- la Direction Générale et la Direction des Ressources Humaines qui se sont beaucoup investies ;

- l'ensemble de l'encadrement qui a adhéré et a joué le jeu ;

- les syndicats (et en particulier le secrétaire du CE, Gérard Caille) qui, tout en défendant âprement leurs mandants, n'ont pas entrepris de déstabiliser une société en pleine formation ;

- les pouvoirs publics (maire de Toulouse, conseil régional, et entreprises toulousaines).
 

Le plan a permis de dessiner une société mieux adaptée aux contrats nouveaux :

- proportion d'ouvriers plus faible ;

- augmentation de la proportion d'ingénieurs et techniciens ;

- maîtrise accrue de la sous-traitance.
 

Il constitue l'un des rares exemples de plan de départs touchant environ 20 % des effectifs qui n'ait donné lieu à aucun licenciement non volontaire.

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