3 - Les unités spécialisées dans
l'Espace
3.4 - Alcatel Thomson Espace et Alcatel Espace (ATES)
Les causes
Le développement rapide de la Division Espace et le déménagement
à Toulouse ont entraîné une croissance très
rapide des effectifs qui ont dépassé les mille personnes
en 1984.
L'augmentation de la productivité et la rationalisation des organisations
conduisent à un sureffectif durable, en particulier dans les professions
ouvrières.
De plus, le programme Athos, qui devait donner du travail de
réalisation pour un modèle de vol en 1986, est supprimé
(et même des contrats signés sont partiellement résiliés,
en particulier dans la réalisation d'équipements de vol).
La Direction Générale et la Direction des Ressources Humaines
ont donc déjà favorisé les départs dans les
spécialités en excédent, ce qui a permis, sans difficultés,
de diminuer l'effectif de soixante-dix personnes en quelques mois (soit
7 %).
Mais l'avenir n'est pas assuré, après la suppression d'Athos
et des extensions d'Intelsat VI, les satellites TDF 2 et
TV-Sat
2 sont constamment retardés, et le programme Eutelsat
n'est pas sûr (et surtout, le volume d'activité qui dépend
du consortium retenu peut être très variable).
Aussi, le nouveau groupe CGE décide-t-il que la décroissance
«douce» des effectifs n'est pas suffisante et qu'il faut procéder
à un plan social.
Les grandes lignes du plan
Des discussions très vives ont lieu, dans le comité
de direction, sur l'importance de ce plan social. Le risque est, si on
va trop loin, de casser l'outil industriel et de se retrouver lors de la
période de croissance suivante (inéluctable car les satellites
sont «consommables» et ont une durée de vie de sept
ans à cette époque) avec le même type de difficultés
que dans les années 1980-1982.
Une vue «industrielle» conduit à un effectif minimum
de 810 personnes, ce qui permet à l'outil de ne pas subir une restructuration
profonde, traumatisante après les trois années précédentes
très cahotiques, et donc de conserver les acquis durement obtenus.
Cependant, la décision finale est une baisse de 200 personnes,
soit un chiffre final de 742 personnes (le point de départ en juillet
1985 étant de 942 personnes). Mais ce plan est très original
par rapport à d'autres plans de l'époque :
- le chiffre final peut évoluer (vers le haut) si des commandes
non prévues sont obtenues avant qu'il soit atteint (les prévisions
de commandes étant très conservatrices, le chiffre minimal
ne peut pas baisser durant cette période) ;
- au moment de la décision, l'ensemble de la société
est en plein emploi et les baisses sont prévues dans les prochains
mois. Aussi l'exécution du plan est-elle prévue sur environ
seize mois ;
- c'est ainsi qu'une provision de 45 millions de francs sera constituée
en juin 1985 pour couvrir toutes les conséquences du plan (y compris
les difficultés de redémarrage) ;
- aucune liste de licenciement ne doit paraître avant début
1986, le volontariat étant encouragé au maximum pendant le
deuxième semestre 1985.
Les mesures prises
Un recensement détaillé des postes en excédent
a été fait, il est donc décidé que tout départ
dans un autre poste pourra être remplacé par le titulaire
d'un poste en excédent (si les compétences sont correctes).
En conséquence, une action très volontariste d'encouragement
au départ est mise en place :
- plan FNE pour les cadres de plus de 55 ans volontaires pendant une
durée d'un an ;
- aide à la création d'entreprise ;
- mise en formation de longue durée de techniciens pour obtenir,
lors de la période de croissance ultérieure, des ingénieurs
compétents, cette formation étant financée par des
aides ;
- versement d'une indemnité de 100 000 francs, s'ajoutant aux
indemnités dues, pour tout volontaire qui partirait avant le 31
décembre 1985.
En outre, le Directeur Général, Gérard Coffinet,
avec un appui très efficace du DRH Martial Malaurie, mobilise les
chefs de service et les rend responsables du reclassement de leurs personnels.
En effet, ce sont eux qui connaissent le mieux les qualités de ces
personnes et peuvent donc les valoriser auprès d'employeurs éventuels.
De plus, l'ensemble des Directions entreprend également des actions
auprès des employeurs toulousains pour trouver des débouchés.
Dans certains domaines critiques, comme les traitements de surfaces,
il n'est pas possible de descendre au-dessous d'un certain effectif. Il
est décidé que les responsables de ces services chercheront
eux-mêmes de la sous-traitance pendant cette période. Cette
décision est appuyée par Michel Chaussedoux, Directeur Industriel
du Département Équipements.
Le déroulement du plan
Les premières semaines permettent de mettre en place les
différentes possibilités suivantes :
Pour le FNE, commencé dès le mois de mars, le succès
est lent mais progressif et, petit à petit, presque tous les cadres
susceptibles de l'utiliser le font, ce qui pose des problèmes à
la société, qui perd des compétences très utiles
qu'elle aurait souhaité garder. Mais la règle est le volontariat.
La création d'entreprises est très soutenue par le conseil
régional, en particulier son président Alex Raymond. Outre
des conditions intéressantes offertes par la société,
les pouvoirs publics donnent un appui significatif avec une étude
de dossier, des aides et des formations :
- un carreleur se retrouve du jour au lendemain avec neuf mois de carnet
de commandes (ce qui laisse à penser qu'il était déjà
très connu pour son activité durant les week-ends) ;
- un réparateur de bijoux s'associe avec quelqu'un de sa famille
pour lequel il travaillait la nuit
c'est pourquoi il était si fatigué
le jour !
- un élevage de vers de terre voit le jour ;
- quatre ouvriers de la mécanique créent une entreprise
de sous-traitance à Colomiers, ce qui permet à Alcatel Espace
de disposer de sous-traitants compétents en mécanique pour
les hyperfréquences, ce qui manquait dans la région.
La formation donne lieu à une initiative originale montée
entre la Direction Générale d'Alcatel Espace et l'université
Paul-Sabatier : un certain nombre de techniciens (positions V2 et V3, donc
à leur bâton de maréchal de non-ingénieur) peuvent
préparer une maîtrise d'électronique à mi-temps
en trois ans, qui leur permet de devenir ingénieurs tout en les
laissant partiellement à la disposition de la société.
Des aides publiques appuient naturellement cette novation qui remporte
un grand succès.
Quant au reclassement provisoire ou définitif dans d'autres
entreprises, il est difficile au début, mais des actions très
fortes sont entreprises auprès des autres industriels de la région
(Aérospatiale, MATRA, Motorola, etc.) qui donnent tellement leurs
fruits que, dès le début de 1986, il faut faire un effort
pour garder les gens, le nombre de postes devenant supérieur aux
possibilités. D'autant plus que, grâce à la méthode
suivie, les premiers partants étaient des gens compétents,
ce qui a facilité l'appel des sociétés.
On connaît quelques moments difficiles :
- mise en place d'un chômage technique en novembre pour les ouvriers
du câblage. Ce chômage touche peu de monde et a un impact très
limité sur la rémunération des personnes concernées
;
- envahissement du restaurant commercial lors d'un déjeuner de
Gérard Coffinet et Michel Chaussedoux avec l'administrateur de Thomson,
Gérard Boelle ;
- manifestations contre la Direction Générale lors du
SITEF du mois d'octobre.
Parallèlement, des efforts seront faits pour rentrer des commandes
alors que les personnes en formation diminuent l'effectif présent
mais pas l'effectif inscrit.
Le maire de Toulouse, Dominique Baudis, appuie les efforts de la Direction
Générale en envoyant immédiatement une lettre au Premier
ministre de l'époque, Laurent Fabius. Cette lettre insiste sur la
nécessité de passer la commande du satellite TDF 2.
Les actions de sous-traitance en mécanique et en traitement de
surfaces sont couronnées de succès et permettent de garder
un effectif critique.
Enfin, un certain nombre de petites commandes, ou de compléments
aux affaires en cours, en particulier de Hughes, permet de relever progressivement
l'effectif minimal en place qui passe de 742 à 810 au début
de 1986.
La fin du plan
Pendant tout le deuxième semestre 1985, la décroissance
des effectifs est supérieure à la baisse de charge (sauf
très ponctuellement en câblage). Aussi n'est-il pas nécessaire
de déposer des listes pour les licenciements secs. De plus, les
syndicats, conscients des efforts de la Direction Générale,
ne la gênent pas par des actions intempestives.
Cependant, début 1986, le groupe CGE insiste pour que les mesures
plus dures envisagées soient mises en place. Il reste à l'époque
environ 60 personnes (870 présentes pour 810 au plan).
Jusque-là, la charge de travail nécessitait la présence
de ces personnes. Il faut, pour la première fois, faire des listes
qui conduisent à des départs effectifs à partir de
mai 1986. L'ambiance devient naturellement très mauvaise et risque
d'avoir des conséquences très préjudiciables sur les
affaires en cours. De plus, pour des raisons politiques, le plan de licenciement
est une première fois refusé.
Heureusement, dès le mois d'avril 1986, l'annonce du contrat
Eutelsat
2, qui demande, au contraire, un renforcement des moyens (en ingénieurs
et techniciens d'études, ce qui ne remet pas en cause les départs
décidés dans le plan), rend complètement obsolètes
ces discussions avec l'Administration.
Après une période de flottement, accentuée par
le changement de majorité parlementaire, Jacques Imbert obtient
que le plan soit annulé avant que n'aient lieu les premiers licenciements
«secs» prévus.
Il faut au contraire remotiver toute la société, durement
touchée par cette période difficile. À cet effet,
le cinéma Le Trianon est loué le 18 juin 1986 pour une séance
d'information de tout le personnel destinée à relancer les
actions.
Les chiffres
Au départ du plan, en juillet 1985, on dénombre 942
personnes. À la fin, il reste 820 personnes.
Les 122 départs ont eu lieu sans aucun licenciement non volontaire
et se sont répartis de la façon suivante :
- 36 FNE ;
- 34 créations d'entreprise ;
- 52 reclassements (définitifs ou provisoires avec retours ultérieurs).
Les effectifs ont décru régulièrement comme le
montrent les chiffres suivants :
- fin mai 1984 |
1 016
|
- fin juillet 1985 |
942
|
- fin août |
935
|
- fin septembre |
926
|
- fin octobre |
904
|
- fin novembre |
889
|
- fin décembre |
876
|
- fin janvier 1986 |
859
|
- fin février |
848
|
- fin mars |
832
|
- fin avril |
820
|
|
Le personnel d'ATES à la sortie de la réunion du 18 juin
1986 où fut annoncée la fin du plan social. |
Conclusion
Le plan social, même s'il a constitué un grand risque
dans les activités de haute technologie (un certain nombre de jeunes
ingénieurs pouvaient être tentés de partir alors qu'ils
n'étaient pas touchés par le plan, ce qui aurait entraîné
des retards très coûteux dans les affaires en cours) s'est
bien terminé grâce aux efforts de tous :
- la Direction Générale et la Direction des Ressources
Humaines qui se sont beaucoup investies ;
- l'ensemble de l'encadrement qui a adhéré et a joué
le jeu ;
- les syndicats (et en particulier le secrétaire du CE, Gérard
Caille) qui, tout en défendant âprement leurs mandants, n'ont
pas entrepris de déstabiliser une société en pleine
formation ;
- les pouvoirs publics (maire de Toulouse, conseil régional,
et entreprises toulousaines).
Le plan a permis de dessiner une société mieux adaptée
aux contrats nouveaux :
- proportion d'ouvriers plus faible ;
- augmentation de la proportion d'ingénieurs et techniciens ;
- maîtrise accrue de la sous-traitance.
Il constitue l'un des rares exemples de plan de départs touchant
environ 20 % des effectifs qui n'ait donné lieu à aucun licenciement
non volontaire. |