6 - Les programmes de satellites
6.1 - Les satellites scientifiques
Les
sondes Helios 1 et 2 (à ne pas confondre
avec les satellites militaires Helios lancés
vingt à vingt-cinq ans plus tard) font partie d'un
programme scientifique d'observation du Soleil entrepris
conjointement par le ministère allemand de la Recherche
(BMFT : BundesMinisterium für Forschung und Technologie)
représenté par le DFVLR (Deutsche Forschung
und Versuchsanstalt für Luft und Raumfahrt, devenu
plus tard, DLR) et la NASA.
Les premières discussions officielles germano-américaines
sur ce projet de programme remontent à 1966, entre le chancelier
allemand Erhard et le président américain Johnson.
Les deux sondes prévues doivent être construites en Allemagne
et la NASA doit se charger des lancements. Les communications avec les
sondes seront assurées conjointement par les stations du réseau
DSN (Deep Space Network) de la NASA, situées à Goldstone
(Californie), Canberra (Australie) et Madrid (Espagne), et une station
allemande située d'abord à Effelsberg (Eifel) puis à
Weilheim (Bavière). L'ensemble des opérations sera dirigé
par le centre de contrôle du DFVLR situé à Oberpfaffenhofen
(Bavière).
Chaque sonde doit emporter un total de dix expériences, dont
sept allemandes et trois américaines, consacrées à
l'observation du Soleil et de son influence sur le milieu interplanétaire.
Les trajectoires prévues doivent permettre d'approcher le Soleil
jusqu'à environ 0,3 unité astronomique (1 AU = 150
millions de kilomètres, distance de la Terre au Soleil) posant,
entre autres, aux constructeurs, de sérieux problèmes d'équilibre
thermique et de résistance aux radiations.
La distance maximale pour les liaisons de télécommande
et de télémesure doit atteindre 300 millions de kilomètres.
Le marché de maîtrise d'oeuvre industrielle est attribué,
à la fin de 1969, à la société allemande MBB.
La Division MAS de Thomson-CSF, dirigée par Louis Julien-Binard,
a été consultée pour la fourniture des transpondeurs
chargés de la réception des signaux de télécommande,
de l'émission des signaux de télémesure, et de l'acheminement
des signaux de mesure de distance. Cette consultation est le résultat
des relations établies avec l'industrie allemande dans le programme
Symphonie.
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Le chassis "Driver" dans l'émetteur d'Helios
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Les spécifications, aussi bien pour l'émetteur que pour
le récepteur, qui constituent le transpondeur, semblent particulièrement
difficiles à satisfaire, notamment à cause de la fonction
«mesure de distance» qui exige une valeur minimale et une très
grande stabilité du temps de propagation de groupe («group
delay») ; ce genre de difficulté a déjà été
rencontré dans le programme Eole, et le Directeur Technique
de la Division, Roger Pagazani, ainsi que le chef du Service HY, Marcel
Palazo, ne sous-estiment nullement la tâche qui les attend.
Des propositions séparées sont établies pour l'émetteur
et pour le récepteur avec quelques doutes sur la faisabilité
d'un récepteur entièrement conforme au cahier des charges.
Le
marché du récepteur est finalement passé
à AEG-Telefunken (établissement d'Ulm) qui
est également chargé de l'intégration
de l'ensemble du transpondeur. Thomson-CSF obtient le
marché de l'émetteur, premier succès
remporté à l'exportation face à la
concurrence.
La perte du marché du récepteur est presque ressentie
à la Division MAS comme un soulagement qui se trouvera justifié
plus tard par les énormes difficultés que rencontrera AEG-Telefunken
dans l'étude et la réalisation de ce matériel.
Peu après la passation du marché, au printemps de 1970,
la Division MAS est dissoute et, à partir du 1er juillet
1970, le Service HY, qui est chargé de l'affaire, appartient au
nouveau Département Espace-Satellites, dirigé par Jacques
Chaumeron.
Au sein du Service HY, Jean Guillemin est désigné comme
chef de projet, et le responsable technique est Jean-François Primard,
assisté par Jean-Louis Gautier. Yves Farbos assure le suivi commercial
de l'affaire.
En plus des difficultés techniques de l'étude, ces jeunes
ingénieurs se trouvent confrontés aux méthodes très
formalistes et très pointilleuses de la maîtrise d'oeuvre du
programme.
Le programme de développement comprend, après quelques
travaux sur maquettes, un modèle d'identification (MI), un prototype
de qualification (MQ) et deux modèles de vol (MV), chaque équipement
étant
entièrement redondant.
C'est
la première fois qu'est développé
en Europe un émetteur en bande S (2,3 GHz) embarqué
à bord d'un satellite. Il possède deux étages
de puissance : l'un, à l'état solide, fournit
une puissance de 1 watt et doit être utilisé
pour les liaisons à relativement faible distance
de la Terre ; l'autre, équipé de tubes à
ondes progressives (TOP) de 20 watts, fournis par la société
américaine Watkins-Johnson, doit être utilisé
pour les liaisons à grande distance. La cadence
des signaux numériques fournis à l'émetteur
peut, par télécommande, être adaptée
aux caractéristiques de la liaison entre 4 096
bits/s pour les liaisons rapprochées et 8 bits/s
pour les distances extrêmes auxquelles doivent évoluer
les sondes.
Menés par une équipe dynamique, les études, la
réalisation et les essais des différents modèles se
déroulent sans incident majeur.
Un fait caractéristique mérite cependant d'être
mentionné. À partir du MQ, les essais des matériels
doivent être effectués en conformité avec des procédures
dûment approuvées par le client. L'équipe de projet
du Service HY écrit donc toutes les procédures de test, les
soumet au client et commence immédiatement les essais du MQ en conformité
avec ces procédures et en présence d'un représentant
du client qui fait, bien entendu, dès le départ, des réserves
sur le fait que les procédures en question n'ont pas encore été
formellement approuvées.
Emportée par son dynamisme, et également afin de tenir
les délais de livraison, l'équipe de projet termine les essais
avant que l'approbation des procédures n'ait été reçue.
Tous les résultats sont satisfaisants et parfaitement conformes
au cahier des charges mais le représentant du client refuse d'y
apposer sa signature avant que l'approbation des procédures ne soit
notifiée.
Il en résulte une explication plutôt sévère
entre Jean-François Primard, responsable technique, très
déçu de ne pas voir reconnaître la qualité de
son travail, et le représentant du client qui possède suffisamment
bien la langue française pour saisir tous les commentaires désagréables
qui lui sont adressés et y répondre sur le même ton.
L'affaire se poursuit vers 20 heures dans le bureau de Jacques Chaumeron,
Directeur du Département ESA, qui s'efforce d'abord de calmer les
esprits avant qu'une bonne demi-heure de palabres finisse par convaincre
le représentant du client d'apposer sa signature, avec les réserves
d'usage, au bas du procès-verbal de recette.
Quelques
jours plus tard, l'approbation, sans aucune réserve,
des procédures d'essais est officiellement notifiée.
En 1973, l'ensemble des matériels de vol est livré à
AEG-Telefunken pour l'intégration des transpondeurs.
Helios 1 est lancé à partir de Cap Canaveral par
une fusée
Titan IIIE-Centaur le 10 décembre 1974.
Le 15 mars 1975, il effectue son premier passage le plus proche du Soleil
(périhélion) à 46 millions de kilomètres (0,309
AU). Chaque évolution autour du Soleil dure cent quatre-vingt-dix
jours.
La durée minimale de la mission nécessaire pour assurer
un maximum d'observations les plus proches du Soleil doit être de
cent trente jours, et la durée espérée est de dix-huit
mois. L'un des TOP de Helios 1 tombe en panne au bout de onze mois
; grâce à la redondance, la mission peut continuer normalement
et, dix ans plus tard, lors de l'anniversaire du lancement, c'est-à-dire
en décembre 1984, l'émetteur de Thomson-CSF continue de transmettre
les données des diverses expériences encore en service. La
seule limitation est la puissance d'alimentation, les cellules solaires
de la sonde s'étant dégradées plus rapidement que
prévu.
Helios 2 est lancé le 15 janvier 1976 et effectue son
passage au périhélion le 17 avril de la même année
à une distance du Soleil un peu plus faible (0,29 AU), soit 43,43
millions de kilomètres, que celle d'Helios 1.
L'un des TOP tombe en panne au bout de trois mois mais la relève
est assurée par le tube redondant.
À
partir du 3 mars 1980, soit un peu plus de quatre ans
après le lancement, des anomalies de fonctionnement
mal expliquées rendent la sonde pratiquement inexploitable.
Les tentatives de récupération sont infructueuses
et il est décidé d'interrompre les liaisons
avec Helios 2 le 7 janvier 1981, soit au bout de
près de cinq ans.
Dans les deux sondes, si l'on excepte les TOP, le fonctionnement des
matériels fournis par le Département ESA de Thomson-CSF s'avère
être un plein succès qui justifie les félicitations
des clients.
Des représentants du Département sont invités,
le 10 décembre 1984, à une cérémonie
commémorative du lancement d'Helios 1 et de ses dix ans de
fonctionnement. Cette cérémonie a lieu au Deutsches Museum
de Munich où est exposé, en bonne place avec le prototype
d'Helios, un boîtier «driver» de l'émetteur
de télémesure réalisé par le Département
Espace-Satellites de Thomson-CSF. |