6 - Les programmes de satellites
6.1 - Les satellites scientifiques
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Ecorché de Spacelab - Crédit photo MBB/Erno
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Le programme post-Apollo
Au début de 1970, la NASA en a terminé avec les développements
ayant conduit au programme Apollo et elle s'efforce de mettre
sur pied le programme suivant de vol habité, qui sera celui de la
navette spatiale (Space Shuttle).
La première et principale difficulté pour un programme
de cette envergure consiste à en faire accepter le budget par le
Congrès des États-Unis.
Afin de faciliter l'opération, la NASA tente de lui donner un
aspect international. Elle essaye d'intéresser les grands industriels
des pays occidentaux à une participation, espérant que leurs
gouvernements seront ainsi plus enclins à participer au financement.
En 1969, l'ESRO a déjà accepté, en principe, de
participer au développement d'un nouveau Système de Transport
Spatial (STS).
Les 3 et 4 juin 1970, les principaux dirigeants de la NASA font à
Paris (au Grand Hôtel) une présentation devant les responsables
des organisations européennes (ESRO et ELDO), nationales (CNES et
autres), et les principaux industriels européens de l'espace, dont
Thomson-CSF fait partie. Ils présentent ce qui est appelé
à l'époque «Programme post-Apollo». Ce
programme comprend, dans une première phase, la navette spatiale,
vaisseau habité qui doit permettre de diminuer considérablement
le coût des lancements par rapport aux lanceurs de l'époque.
Une phase ultérieure pourra porter sur le développement
d'un remorqueur spatial (space tug), véhicule également récupérable
qui permettra d'effectuer, à partir d'une navette évoluant
en orbite basse, des lancements vers l'orbite géostationnaire.
Les auditeurs des présentations sont impressionnés par
les performances annoncées pour le futur système de lancement
qui doit être capable d'effectuer jusqu'à une mise en orbite
par semaine et, de ce fait, conduire à diviser par dix le prix d'un
lancement. C'est la disparition annoncée à long terme des
lanceurs non récupérables, et les promoteurs du lanceur européen
Europa
peuvent à juste titre se poser quelques questions. On sait maintenant
quel fut le sort de ces ambitions quelque peu démesurées.
Quelques grands industriels européens pensent qu'il faut absolument
entrer dans un tel programme si l'on ne veut pas se trouver hors jeu à
relativement court terme.
Comme la coopération US-Europe s'est, dans le passé, révélée
difficile, principalement à cause des sévères restrictions
apportées par la partie américaine aux échanges de
technologies, il semble logique qu'une participation éventuelle
porte sur un élément du système que l'Europe puisse
développer dans le cadre d'une certaine indépendance.
Dans une première phase, le remorqueur spatial semble répondre
à ces critères et l'on voit s'amorcer de grandes manoeuvres
pour intéresser les principaux gouvernements européens, ainsi
que l'ESRO, à la mise en oeuvre du programme où l'on fait
miroiter l'avenir des télécommunications par satellites,
et donc les besoins futurs de lancements vers l'orbite géostationnaire.
Ne s'attendant pas à pouvoir jouer un rôle majeur dans
un tel projet qui sera mené, comme à l'habitude, par des
«avionneurs» ou des «missiliers» spécialistes
de structures et de propulsion, Thomson-CSF prend une position d'attente
tout en maintenant les contacts qui permettraient de lui assurer, le cas
échéant, une bonne position dans le domaine de l'électronique.
De leur côté, les industriels américains intéressés
au programme de la navette redoublent d'activité pour trouver en
Europe d'éventuels sous-traitants capables, de plus, de leur apporter
un soutien au niveau politique auprès de leurs gouvernements respectifs.
À ce titre, Thomson-CSF n'est pas oubliée et la Direction
du Département DSP reçoit la visite de représentants
des principaux candidats à la maîtrise d'oeuvre du programme
«navette» : General Dynamics, Martin Marietta, sans oublier
celui qui gagnera le contrat par la suite, North American Rockwell.
Dans tous les cas, il est clairement précisé que le principe
de la participation d'une société européenne est lié
au soutien financier que son gouvernement national apportera au programme.
Diverses visites et divers pourparlers occupent l'année 1970
sans déboucher sur aucun résultat concret.
La naissance du Spacelab
De
leur côté, les dirigeants de l'ESRO ainsi
que certains représentants des pays membres orientent
leurs recherches dans une direction quelque peu différente.
À l'époque, tout ce qui concerne les lanceurs
est du ressort de l'ELDO, l'ESRO voyant son champ d'action
limité aux satellites et à leurs charges
utiles principalement à usage scientifique. C'est
dans cette voie que naît peu à peu l'idée
d'un laboratoire qui serait embarqué à bord
de la navette. Ce laboratoire comprendrait une partie
habitée où se trouveraient les expérimentateurs,
l'ensemble de gestion des expériences et quelques-unes
d'entre elles, et un ou plusieurs appendices non habités,
les «palettes», qui pourraient emporter des
expériences devant être exposées directement
à l'ambiance spatiale.
L'ESRO passe quelques marchés à l'industrie pour définir
ce que devrait être ce laboratoire spatial qui, dans l'espace, restera
lié à la navette.
Parmi les gouvernements des pays membres, le gouvernement allemand,
sous la pression de ses deux principaux industriels ERNO et MBB, est celui
qui soutient au maximum le projet et promet d'y apporter une contribution
financière importante.
Étant donné les contraintes apportées par la loi
du «juste retour», cette attitude implique à peu près
automatiquement que le maître d'oeuvre du programme de réalisation
soit allemand. Un «package deal», conclu entre les ministres
des pays membres de l'ESRO le 31 juillet 1972, attribue à l'Allemagne
le pilotage du programme Spacelab, alors que la France se voit attribuer
celui du futur lanceur européen, et la Grande-Bretagne celui des
satellites de télécommunications maritimes.
Les formations industrielles qui se préparent à la compétition
sont les trois consortiums récemment formés : MESH (avec
ERNO), Cosmos (avec MBB) et STAR (avec British Aircraft). À cause
de la faiblesse prévue de la participation financière du
gouvernement britannique, il est peu probable que la maîtrise d'oeuvre
puisse être confiée à un industriel de ce pays. BAC
est éliminé de la compétition à la suite des
premières études. Les membres de STAR se trouvent donc libres
d'offrir leurs services aux autres consortiums.
La participation de Thomson-CSF
Trouver un créneau dans lequel Thomson-CSF pourrait offrir
sa participation apparaît quelque peu difficile. Le domaine privilégié
du Département ESA est celui des transmissions (télémesure
et télécommande) mais il est prévu que le Spacelab
utilise les moyens de transmissions de la navette.
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La console de visualisation en orbite
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Il se trouve que la Division AVS, dont le Département ESA fait
partie, étudie un système avancé de visualisation
des données en couleurs pour la planche de bord des avions de combat.
Ce système doit utiliser un tube cathodique trichrome à pénétration,
développé par la Division Tubes Électroniques (DTE)
de Thomson-CSF. Or, il est prévu que le Spacelab, dans le
cadre d'un système de traitement à bord des données
de servitudes et de celles des expériences scientifiques, possède
un système de visualisation. C'est pourquoi la Direction du Département
ESA décide de proposer, pour le Spacelab, un système
de visualisation utilisant des technologies avancées, dérivé
de celui développé par la Division AVS.
Au cours d'une entrevue qui a lieu le 24 janvier 1973 avec un représentant
d'ERNO, celui-ci semble séduit par cette proposition et accepte
d'entamer des pourparlers qui se poursuivent d'une manière intermittente
pendant plus d'un an, non seulement avec ERNO mais également avec
Matra qui, dans le projet d'ERNO, doit être responsable du sous-système
de traitement à bord. Un travail intensif d'avant-projet commence
à DSP en collaboration avec la Division AVS.
En septembre 1973, l'ESRO et la NASA signent un MOU (Memorandum Of Understanding)
définissant leurs responsabilités respectives dans le développement,
puis l'utilisation du Spacelab. L'ESRO s'engage donc à fournir
le Spacelab qui sera ensuite exploité dans la navette par
la NASA.
Figurent
également dans l'accord des conditions d'assistance
réciproques au cours des différentes phases
des opérations. L'ESRO peut démarrer son
programme de réalisation. Vers le milieu de 1974,
ERNO se voit attribuer le marché correspondant.
Thomson-CSF aura encore à faire face à la concurrence,
en particulier américaine (Bendix) avant d'obtenir le marché
de réalisation de l'ensemble de visualisation. Ce n'est qu'à
la fin de 1974 que l'affaire est gagnée et que le travail de réalisation
peut commencer avec, de la part d'ERNO, des limites d'engagement (LOL)
successives car, conformément aux habitudes prises par l'ESRO/ESA,
le contrat final ne sera notifié qu'en 1976. En plus de la fourniture
de DSP dans le sous-système de traitement à bord, CIMSA,
filiale de Thomson-CSF, fournit les trois ordinateurs du type MITRA 125S
qui constituent le coeur du système.
Les travaux
La part de Thomson-CSF est constituée d'écrans de
visualisation, de l'électronique de traitement associée qui
reçoit ses données du sous-système de traitement de
Matra, et du clavier de commande. Deux écrans doivent être
installés dans le Spacelab et un troisième dans le
cockpit de la navette.
La fourniture comprend, comme à l'habitude, un modèle
d'identification, un prototype de qualification et plusieurs modèles
de vol, dont les modèles de rechange.
Plus tard, la société Mac Donnell Douglas, qui construira
un simulateur d'entraînement pour la NASA, commandera des modèles
supplémentaires.
La conception de matériels électroniques destinés
à un vaisseau spatial habité est soumise à des contraintes
tout à fait nouvelles. L'une des principales est qu'aucun des matériaux
utilisés ne doit dégager de gaz susceptible de nuire à
la santé des astronautes.
Dans ce but, toute utilisation d'un matériau quel qu'il soit
doit être soumise à l'autorisation du maître d'oeuvre
qui doit à son tour faire approuver cette utilisation par le client
ESRO, lequel, en dernier lieu, doit obtenir l'accord de l'utilisateur final,
la NASA.
Le système d'autorisations multiples fonctionnera tant bien que
mal et, dans certains cas particuliers, il s'écoulera un an environ
entre le moment où l'échantillon de matériau sera
soumis pour approbation et celui où l'autorisation finale sera donnée.
Ce genre de difficulté, et en général l'extrême
lourdeur de l'organisation du programme avec des centres de décision
multiples, provoquent d'importants retards à tous les niveaux avec,
comme conséquences inévitables, des dépassements financiers.
À Thomson-CSF, une coopération s'est établie entre
le Département AVG (Avionique Générale), localisé
à Issy-les-Moulineaux, qui, dans la Division AVS, a la charge des
visualisations pour planches de bord d'avions, et le Département
ESA, chargé de celles du Spacelab.
Il faut, bien entendu, une certaine période aux équipes
respectives pour s'habituer à travailler ensemble afin que les contraintes
de la technologie spatiale soient bien comprises par les gens de l'avionique,
et réciproquement.
Sur
le plan technique, en plus du développement du
tube trichrome effectué par la Division Tubes Électroniques,
les principales difficultés technologiques à
résoudre sont liées à l'absence de
gravité, d'une part, et aux problèmes de
commutation de haute tension pour le tube trichrome, d'autre
part.
Les problèmes posés par la non-gravité se présentent
pour le refroidissement des circuits. L'air de refroidissement ne peut
circuler par convexion, comme en présence de gravité, et
il faut étudier des circuits particuliers de ventilation forcée
pour s'assurer qu'aucun composant n'opère dans des conditions anormales.
Les problèmes de commutation de hautes tensions viennent du fait
que pour commander la couleur du tube à pénétration,
il faut assurer cette commutation entre des tensions qui s'échelonnent
de 11 000 à 17 000 volts. Il faudra s'y reprendre à plusieurs
fois pour qualifier les thyristors qui devront assurer cette commutation,
ce qui sera une source d'importants retards.
Le clavier de commande devant être installé dans l'atmosphère
respirée par les astronautes, il ne doit ni donner lieu à
un dégazage, ni être inflammable. On réalise donc un
clavier métallique avec des touches également métalliques.
Aucun de ces composants n'existant dans les claviers habituels, il faut
les étudier, puis les qualifier.
L'approbation
de la géométrie du clavier provoque des
difficultés vraiment inattendues pour un problème
apparemment aussi simple. Afin d'éviter les contacts
intempestifs avec les touches, que risquent de provoquer
les astronautes évoluant en absence de gravité,
celles-ci doivent être entièrement encastrées
dans une grille. Leurs dimensions, ainsi que la section
des alvéoles qui les contiennent, sont soigneusement
définies et approuvées par le maître
d'oeuvre puis par l'ESRO. Quelque temps plus tard, la NASA
imposera une modification, les alvéoles étant,
semble-t-il, trop étroites pour que le «doigt
moyen» d'un astronaute américain puisse actionner
correctement les touches !!! Là encore, se situe
une source de retards et de dépassements financiers.
Le travail d'étude et de réalisation des matériels
pour le Spacelab est effectué pour la plus grande part par
le Service ES (Électronique Spatiale) du Département ESA
qui devient DSP en 1975, dirigé par Roland Gosmand.
Au début de l'affaire, le chef de projet, M. Fischer, appartient
au Service Systèmes. En février 1975, il est remplacé
par Roger Durand. À partir de juin 1975, la responsabilité
de l'affaire est confiée au Service ES où Michel Hayard assure
les fonctions de chef de projet, non seulement jusqu'aux dernières
livraisons mais au-delà, lorsqu'il s'agit d'assurer la maintenance
des équipements.
La tâche du premier chef de projet M. Fischer n'est pas de tout
repos. Le programme Spacelab est caractérisé par une
inflation de documents diffusés par le maître d'oeuvre : spécifications,
directives, procédures, questionnaires, demandes de comptes rendus,
etc., absolument disproportionnés par rapport à l'importance
du matériel à livrer. On voit rapidement le bureau du chef
de projet s'emplir de piles de documents qui, bientôt, et faute de
place, débordent dans le couloir. Une rumeur, très vraisemblable,
dit qu'une partie de ces documents, faute de temps, n'a jamais été
lue par qui que ce soit à DSP.
Malgré
tous ces aléas, l'affaire Spacelab, si elle
n'est pas un succès financier, car la marge brute
finale est voisine de zéro, est un succès
technique indéniable.
Les premières livraisons portant sur quatre modèles de
vol destinés au Spacelab, plus quatre autres modèles
de vol destinés à l'entraînement des astronautes, sont
achevées en 1980. Une seconde tranche de deux modèles de
vol est livrée en 1982.
Le premier vol du Spacelab avec les équipements de DSP
a lieu le 28 novembre 1983. |