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Association Amicale des Anciens d'Alcatel Space
CHRONIQUES D'UN MÉTIER de 1963 à 1993
Table | Préf | Intro | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7 | 8 | 9

6 - Les programmes de satellites

6.1 - Les satellites scientifiques

Spacelab

Ecorché de Spacelab - Crédit photo MBB/Erno

Le programme post-Apollo


Au début de 1970, la NASA en a terminé avec les développements ayant conduit au programme Apollo et elle  s'efforce de mettre sur pied le programme suivant de vol habité, qui sera celui de la navette spatiale (Space Shuttle).

La première et principale difficulté pour un programme de cette envergure consiste à en faire accepter le budget par le Congrès des États-Unis.

Afin de faciliter l'opération, la NASA tente de lui donner un aspect international. Elle essaye d'intéresser les grands industriels des pays occidentaux à une participation, espérant que leurs gouvernements seront ainsi plus enclins à participer au financement.

En 1969, l'ESRO a déjà accepté, en principe, de participer au développement d'un nouveau Système de Transport Spatial (STS).

Les 3 et 4 juin 1970, les principaux dirigeants de la NASA font à Paris (au Grand Hôtel) une présentation devant les responsables des organisations européennes (ESRO et ELDO), nationales (CNES et autres), et les principaux industriels européens de l'espace, dont Thomson-CSF fait partie. Ils présentent ce qui est appelé à l'époque «Programme post-Apollo». Ce programme comprend, dans une première phase, la navette spatiale, vaisseau habité qui doit permettre de diminuer considérablement le coût des lancements par rapport aux lanceurs de l'époque.

Une phase ultérieure pourra porter sur le développement d'un remorqueur spatial (space tug), véhicule également récupérable qui permettra d'effectuer, à partir d'une navette évoluant en orbite basse, des lancements vers l'orbite géostationnaire.

Les auditeurs des présentations sont impressionnés par les performances annoncées pour le futur système de lancement qui doit être capable d'effectuer jusqu'à une mise en orbite par semaine et, de ce fait, conduire à diviser par dix le prix d'un lancement. C'est la disparition annoncée à long terme des lanceurs non récupérables, et les promoteurs du lanceur européen Europa peuvent à juste titre se poser quelques questions. On sait maintenant quel fut le sort de ces ambitions quelque peu démesurées.

Quelques grands industriels européens pensent qu'il faut absolument entrer dans un tel programme si l'on ne veut pas se trouver hors jeu à relativement court terme.

Comme la coopération US-Europe s'est, dans le passé, révélée difficile, principalement à cause des sévères restrictions apportées par la partie américaine aux échanges de technologies, il semble logique qu'une participation éventuelle porte sur un élément du système que l'Europe puisse développer dans le cadre d'une certaine indépendance.

Dans une première phase, le remorqueur spatial semble répondre à ces critères et l'on voit s'amorcer de grandes manoeuvres pour intéresser les principaux gouvernements européens, ainsi que l'ESRO, à la mise en oeuvre du programme où l'on fait miroiter l'avenir des télécommunications par satellites, et donc les besoins futurs de lancements vers l'orbite géostationnaire.

Ne s'attendant pas à pouvoir jouer un rôle majeur dans un tel projet qui sera mené, comme à l'habitude, par des «avionneurs» ou des «missiliers» spécialistes de structures et de propulsion, Thomson-CSF prend une position d'attente tout en maintenant les contacts qui permettraient de lui assurer, le cas échéant, une bonne position dans le domaine de l'électronique.

De leur côté, les industriels américains intéressés au programme de la navette redoublent d'activité pour trouver en Europe d'éventuels sous-traitants capables, de plus, de leur apporter un soutien au niveau politique auprès de leurs gouvernements respectifs.

À ce titre, Thomson-CSF n'est pas oubliée et la Direction du Département DSP reçoit la visite de représentants des principaux candidats à la maîtrise d'oeuvre du programme «navette» : General Dynamics, Martin Marietta, sans oublier celui qui gagnera le contrat par la suite, North American Rockwell.

Dans tous les cas, il est clairement précisé que le principe de la participation d'une société européenne est lié au soutien financier que son gouvernement national apportera au programme.

Diverses visites et divers pourparlers occupent l'année 1970 sans déboucher sur aucun résultat concret.
 

La naissance du Spacelab


De leur côté, les dirigeants de l'ESRO ainsi que certains représentants des pays membres orientent leurs recherches dans une direction quelque peu différente. À l'époque, tout ce qui concerne les lanceurs est du ressort de l'ELDO, l'ESRO voyant son champ d'action limité aux satellites et à leurs charges utiles principalement à usage scientifique. C'est dans cette voie que naît peu à peu l'idée d'un laboratoire qui serait embarqué à bord de la navette. Ce laboratoire comprendrait une partie habitée où se trouveraient les expérimentateurs, l'ensemble de gestion des expériences et quelques-unes d'entre elles, et un ou plusieurs appendices non habités, les «palettes», qui pourraient emporter des expériences devant être exposées directement à l'ambiance spatiale.

L'ESRO passe quelques marchés à l'industrie pour définir ce que devrait être ce laboratoire spatial qui, dans l'espace, restera lié à la navette.

Parmi les gouvernements des pays membres, le gouvernement allemand, sous la pression de ses deux principaux industriels ERNO et MBB, est celui qui soutient au maximum le projet et promet d'y apporter une contribution financière importante.

Étant donné les contraintes apportées par la loi du «juste retour», cette attitude implique à peu près automatiquement que le maître d'oeuvre du programme de réalisation soit allemand. Un «package deal», conclu entre les ministres des pays membres de l'ESRO le 31 juillet 1972, attribue à l'Allemagne le pilotage du programme Spacelab, alors que la France se voit attribuer celui du futur lanceur européen, et la Grande-Bretagne celui des satellites de télécommunications maritimes.

Les formations industrielles qui se préparent à la compétition sont les trois consortiums récemment formés : MESH (avec ERNO), Cosmos (avec MBB) et STAR (avec British Aircraft). À cause de la faiblesse prévue de la participation financière du gouvernement britannique, il est peu probable que la maîtrise d'oeuvre puisse être confiée à un industriel de ce pays. BAC est éliminé de la compétition à la suite des premières études. Les membres de STAR se trouvent donc libres d'offrir leurs services aux autres consortiums.
 

La participation de Thomson-CSF


Trouver un créneau dans lequel Thomson-CSF pourrait offrir sa participation apparaît quelque peu difficile. Le domaine privilégié du Département ESA est celui des transmissions (télémesure et télécommande) mais il est prévu que le Spacelab utilise les moyens de transmissions de la navette.
 

La console de visualisation en orbite

Il se trouve que la Division AVS, dont le Département ESA fait partie, étudie un système avancé de visualisation des données en couleurs pour la planche de bord des avions de combat. Ce système doit utiliser un tube cathodique trichrome à pénétration, développé par la Division Tubes Électroniques (DTE) de Thomson-CSF. Or, il est prévu que le Spacelab, dans le cadre d'un système de traitement à bord des données de servitudes et de celles des expériences scientifiques, possède un système de visualisation. C'est pourquoi la Direction du Département ESA décide de proposer, pour le Spacelab, un système de visualisation utilisant des technologies avancées, dérivé de celui développé par la Division AVS.

Au cours d'une entrevue qui a lieu le 24 janvier 1973 avec un représentant d'ERNO, celui-ci semble séduit par cette proposition et accepte d'entamer des pourparlers qui se poursuivent d'une manière intermittente pendant plus d'un an, non seulement avec ERNO mais également avec Matra qui, dans le projet d'ERNO, doit être responsable du sous-système de traitement à bord. Un travail intensif d'avant-projet commence à DSP en collaboration avec la Division AVS.

En septembre 1973, l'ESRO et la NASA signent un MOU (Memorandum Of Understanding) définissant leurs responsabilités respectives dans le développement, puis l'utilisation du Spacelab. L'ESRO s'engage donc à fournir le Spacelab qui sera ensuite exploité dans la navette par la NASA.

Spacelab en essai - Crédit MBB/ERNOFigurent également dans l'accord des conditions d'assistance réciproques au cours des différentes phases des opérations. L'ESRO peut démarrer son programme de réalisation. Vers le milieu de 1974, ERNO se voit attribuer le marché correspondant.

Thomson-CSF aura encore à faire face à la concurrence, en particulier américaine (Bendix) avant d'obtenir le marché de réalisation de l'ensemble de visualisation. Ce n'est qu'à la fin de 1974 que l'affaire est gagnée et que le travail de réalisation peut commencer avec, de la part d'ERNO, des limites d'engagement (LOL) successives car, conformément aux habitudes prises par l'ESRO/ESA, le contrat final ne sera notifié qu'en 1976. En plus de la fourniture de DSP dans le sous-système de traitement à bord, CIMSA, filiale de Thomson-CSF, fournit les trois ordinateurs du type MITRA 125S qui constituent le coeur du système.
 

Les travaux


La part de Thomson-CSF est constituée d'écrans de visualisation, de l'électronique de traitement associée qui reçoit ses données du sous-système de traitement de Matra, et du clavier de commande. Deux écrans doivent être installés dans le Spacelab et un troisième dans le cockpit de la navette.

La fourniture comprend, comme à l'habitude, un modèle d'identification, un prototype de qualification et plusieurs modèles de vol, dont les modèles de rechange.

Plus tard, la société Mac Donnell Douglas, qui construira un simulateur d'entraînement pour la NASA, commandera des modèles supplémentaires.

La conception de matériels électroniques destinés à un vaisseau spatial habité est soumise à des contraintes tout à fait nouvelles. L'une des principales est qu'aucun des matériaux utilisés ne doit dégager de gaz susceptible de nuire à la santé des astronautes.

Dans ce but, toute utilisation d'un matériau quel qu'il soit doit être soumise à l'autorisation du maître d'oeuvre qui doit à son tour faire approuver cette utilisation par le client ESRO, lequel, en dernier lieu, doit obtenir l'accord de l'utilisateur final, la NASA.

Le système d'autorisations multiples fonctionnera tant bien que mal et, dans certains cas particuliers, il s'écoulera un an environ entre le moment où l'échantillon de matériau sera soumis pour approbation et celui où l'autorisation finale sera donnée.

Ce genre de difficulté, et en général l'extrême lourdeur de l'organisation du programme avec des centres de décision multiples, provoquent d'importants retards à tous les niveaux avec, comme conséquences inévitables, des dépassements financiers.

À Thomson-CSF, une coopération s'est établie entre le Département AVG (Avionique Générale), localisé à Issy-les-Moulineaux, qui, dans la Division AVS, a la charge des visualisations pour planches de bord d'avions, et le Département ESA, chargé de celles du Spacelab.

Il faut, bien entendu, une certaine période aux équipes respectives pour s'habituer à travailler ensemble afin que les contraintes de la technologie spatiale soient bien comprises par les gens de l'avionique, et réciproquement.

Sur le plan technique, en plus du développement du tube trichrome effectué par la Division Tubes Électroniques, les principales difficultés technologiques à résoudre sont liées à l'absence de gravité, d'une part, et aux problèmes de commutation de haute tension pour le tube trichrome, d'autre part.

Les problèmes posés par la non-gravité se présentent pour le refroidissement des circuits. L'air de refroidissement ne peut circuler par convexion, comme en présence de gravité, et il faut étudier des circuits particuliers de ventilation forcée pour s'assurer qu'aucun composant n'opère dans des conditions anormales.

Les problèmes de commutation de hautes tensions viennent du fait que pour commander la couleur du tube à pénétration, il faut assurer cette commutation entre des tensions qui s'échelonnent de 11 000 à 17 000 volts. Il faudra s'y reprendre à plusieurs fois pour qualifier les thyristors qui devront assurer cette commutation, ce qui sera une source d'importants retards.

Le clavier de commande devant être installé dans l'atmosphère respirée par les astronautes, il ne doit ni donner lieu à un dégazage, ni être inflammable. On réalise donc un clavier métallique avec des touches également métalliques. Aucun de ces composants n'existant dans les claviers habituels, il faut les étudier, puis les qualifier.

En vol - Crédit ESAL'approbation de la géométrie du clavier provoque des difficultés vraiment inattendues pour un problème apparemment aussi simple. Afin d'éviter les contacts intempestifs avec les touches, que risquent de provoquer les astronautes évoluant en absence de gravité, celles-ci doivent être entièrement encastrées dans une grille. Leurs dimensions, ainsi que la section des alvéoles qui les contiennent, sont soigneusement définies et approuvées par le maître d'oeuvre puis par l'ESRO. Quelque temps plus tard, la NASA imposera une modification, les alvéoles étant, semble-t-il, trop étroites pour que le «doigt moyen» d'un astronaute américain puisse actionner correctement les touches !!! Là encore, se situe une source de retards et de dépassements financiers.

Le travail d'étude et de réalisation des matériels pour le Spacelab est effectué pour la plus grande part par le Service ES (Électronique Spatiale) du Département ESA qui devient DSP en 1975, dirigé par Roland Gosmand.

Au début de l'affaire, le chef de projet, M. Fischer, appartient au Service Systèmes. En février 1975, il est remplacé par Roger Durand. À partir de juin 1975, la responsabilité de l'affaire est confiée au Service ES où Michel Hayard assure les fonctions de chef de projet, non seulement jusqu'aux dernières livraisons mais au-delà, lorsqu'il s'agit d'assurer la maintenance des équipements.

La tâche du premier chef de projet M. Fischer n'est pas de tout repos. Le programme Spacelab est caractérisé par une inflation de documents diffusés par le maître d'oeuvre : spécifications, directives, procédures, questionnaires, demandes de comptes rendus, etc., absolument disproportionnés par rapport à l'importance du matériel à livrer. On voit rapidement le bureau du chef de projet s'emplir de piles de documents qui, bientôt, et faute de place, débordent dans le couloir. Une rumeur, très vraisemblable, dit qu'une partie de ces documents, faute de temps, n'a jamais été lue par qui que ce soit à DSP.

Soute navette - Crédit NASAMalgré tous ces aléas, l'affaire Spacelab, si elle n'est pas un succès financier, car la marge brute finale est voisine de zéro, est un succès technique indéniable.

Les premières livraisons portant sur quatre modèles de vol destinés au Spacelab, plus quatre autres modèles de vol destinés à l'entraînement des astronautes, sont achevées en 1980. Une seconde tranche de deux modèles de vol est livrée en 1982.

Le premier vol du Spacelab avec les équipements de DSP a lieu le 28 novembre 1983.

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