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Association Amicale des Anciens d'Alcatel Space
CHRONIQUES D'UN MÉTIER de 1963 à 1993
Table | Préf | Intro | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7 | 8 | 9

6 - Les programmes de satellites

6.2 - Les satellites de télécommunication

Symphonie

Les préliminaires


Le 6 juin 1967, une convention est signée entre les gouvernements de la République française et de la République fédérale allemande pour la construction, le lancement et l'utilisation d'un satellite expérimental de télécommunications. Le programme ainsi mis en marche est le résultat de deux séries d'études menées respectivement dans chacun des deux pays.

En France, faisant suite au projet du CNES et du CNET, baptisé SAFRAN, d'un système régional de télécommunications par satellite à défilement, un projet nommé SAROS vise à l'établissement d'un système de télécommunications expérimental par satellite géostationnaire couvrant la métropole, l'Afrique, les Dom-Tom de l'océan Indien, ainsi que la côte est des États-Unis et les Dom-Tom de cette région. L'idée allemande vise à peu près la même zone de couverture avec une finalité à relativement court terme : la transmission vers l'Europe, l'Afrique et l'Amérique des images des Jeux olympiques qui doivent se tenir à Munich en 1972. C'est pourquoi ce programme est baptisé Olympia. En novembre 1966, la France a proposé à l'Allemagne d'associer les deux projets.

Choisir un nom pour un programme coopératif ne sera pas l'une des moindres tâches des négociateurs et, après avoir failli s'appeler Athos alors que les Allemands proposent le nom de Concerto, il héritera du nom à la fois français et allemand de Symphonie.

Du côté des industriels, au fur et à mesure que filtrent les informations préliminaires sur ce que sera le programme, des pourparlers ont lieu pour tenter d'organiser des consortiums en vue de répondre à l'appel d'offres attendu.

Du côté de CSF, on discute beaucoup avec Siemens, en vue d'une alliance éventuelle, ainsi qu'avec Nord-Aviation.

Thomson aussi parle à Nord-Aviation. Pour la petite histoire, à la suite d'une indiscrétion, deux représentants de Thomson se présentent un jour à une réunion entre Nord-Aviation et CSF à laquelle leur présence n'est visiblement pas souhaitée par tout le monde. Il est inutile de préciser quelle sera l'atmosphère de cette réunion où Thomson et CSF se disputeront âprement la responsabilité de l'ensemble de l'électronique du satellite au sein d'un consortium où Nord-Aviation sera le maître d'oeuvre.

Ce conflit s'apaise rapidement lorsque paraît, le 13 septembre 1967, le communiqué annonçant la fusion entre CSF et le groupe électronique de Thomson.

Quelques jours plus tard, les différentes sociétés françaises et allemandes intéressées au programme reçoivent un document, daté du 27 septembre 1967, par lequel le Comité exécutif franco-allemand du programme Symphonie donne des informations préliminaires sur le futur appel d'offres.

En même temps est organisée à Bonn une réunion d'information où les industriels, après avoir écouté un exposé explicatif, peuvent poser des questions aux membres du Comité exécutif.

Outre un certain nombre d'informations techniques préliminaires, le document précise le cadre de l'organisation industrielle que doivent adopter les consortiums pour répondre à l'appel d'offres et exécuter ensuite le programme.

Une distinction est faite entre les «avionneurs» et les «électroniciens», ce dernier qualificatif étant attribué à chaque industriel chargé de tout ou partie de l'électronique du satellite, c'est-à-dire le système de télécommunications en hyperfréquences, le système de télémesure et de télécommande, le système d'alimentation en énergie électrique, ainsi que les équipements électroniques de contrôle au sol spécifiques du satellite.

Les consortiums doivent être «dissymétriques», c'est-à-dire comporter chacun une participation «équilibrée» d'avionneurs français et d'avionneurs allemands, et une participation d'électroniciens d'une seule nationalité.

L'adjectif «équilibrée» signifie qu'il faut assurer entre l'ensemble des travaux exécutés en France et l'ensemble des travaux exécutés en Allemagne «une répartition quantitative égale et une répartition qualitative équitable» : cet équilibre s'applique également aux travaux d'intégration du prototype et des deux modèles de vol qui doivent être effectués par la même équipe franco-allemande.

C'est à l'occasion de cette réunion que commence une action de propagande qui, d'abord verbalement dans les couloirs de la réunion, puis dans les colonnes de la presse allemande, cherche à démontrer que l'utilisation d'un satellite stabilisé sur trois axes ferait courir des risques techniques inutiles, et que la seule solution économique pour les contribuables français et allemands consiste à réaliser un satellite stabilisé par rotation avec une antenne formée d'une lentille de Luneberg. Des résultats d'études sur ce sujet sont publiés dans la presse et, ultérieurement, dans une revue technique américaine par l'ingénieur allemand H. W. Scheel, promoteur de cette idée.

L'affaire est prise très au sérieux par les industriels qui concluent finalement que l'antenne proposée, bien que très séduisante a priori, présente néanmoins des inconvénients résultant de son poids élevé ainsi que d'importants risques technologiques liés à sa tenue dans l'ambiance spatiale.
 

La formation du consortium CIFAS


La période précédant la sortie de l'appel d'offres est quelque peu agitée parmi les industriels. Il faut former des consortiums crédibles, étudier les aspects juridiques de leur formation et se partager les tâches, d'abord dans la proposition puis dans la réalisation des satellites.

Parmi les avionneurs, une séparation se fait quasi naturellement en raison de l'existence de consortiums déjà formés pour répondre aux appels d'offres de l'ESRO.

En France, MATRA est allié à l'avionneur allemand ERNO au sein du consortium MESH, et Nord-Aviation est allié à Bolkow. Ces liens sont donc mis à profit pour le programme Symphonie et l'on voit se constituer l'amorce des deux consortiums qui s'appelleront respectivement Symcosat, conduit par MATRA, et CIFAS, conduit par Nord-Aviation.

L'opération est plus difficile pour les sociétés d'électronique à cause des exigences formulées par les administrations clientes dont l'intervention est nécessaire pour que Siemens, associé à Telefunken, rejoigne le consortium de MATRA et ERNO alors qu'ils ont auparavant souhaité s'allier à Bolkow.

Thomson et CSF, en cours de fusion, se trouvent  dans une association qui réunit, sous la maîtrise d'oeuvre de Nord-Aviation, Sud-Aviation et SAT (autre électronicien) du côté français, et Bolkow et Junkers du côté allemand.

Avant, puis après la sortie de l'appel d'offres le 29 janvier 1968, un certain nombre de longues et parfois pénibles réunions ont lieu au siège de Nord-Aviation, avenue Bosquet à Paris, pour définir la forme juridique du futur consortium et les rôles des différents membres.

Les participants de la future Thomson-CSF sont, sous la direction de Michel Barré : Vladimir Altovsky, du BAS, Jacques Chaumeron, de la Division Télécommunications, et, lorsque besoin est, les juristes de Thomson : MM. Kreis et Boulou. Ce sont ces derniers, en accord avec les juristes de Nord-Aviation, qui proposent que le consortium se constitue en GIE (groupement d'intérêt économique), toute nouvelle formule de droit français créée par une ordonnance du 23 septembre 1967. Il faudra quelque temps et beaucoup d'explications pour convaincre les partenaires allemands d'adhérer à une formule de droit français qui ne leur est pas familière.

L'accord constituant le GIE est enfin signé le 25 avril 1968, soit trois jours avant la remise de la proposition aux organismes clients.

Le nom choisi pour le consortium est CIFAS (Consortium Industriel Franco-Allemand pour Symphonie). Le premier administrateur-gérant, désigné par Nord-Aviation, est J. Dupin qui a déjà eu la lourde tâche de présider toutes les réunions préparatoires.

Charles Cristofini lui succédera de 1970 à 1973, puis Pierre Usunier, jusqu'à la dernière assemblée qui approuvera la liquidation des comptes le 26 mai 1981.

Durant les années suivant la formation du consortium, des fusions industrielles modifieront sa composition;  ce seront celle de Thomson et CSF, qui fera que les nouveaux membres deviendront Thomson-Brandt et Thomson-CSF, celle de Nord-Aviation et Sud-Aviation, qui engendrera l'Aérospatiale (appelée SNIAS pendant les premières années), et enfin celle de Bolkow avec Junkers, puis avec deux sociétés extérieures au consortium, qui donnera lieu à l'apparition de MBB (Messerschmidt, Bolkow, Blohm). Nous verrons plus loin comment le consortium sera encore modifié par l'opération de «symétrisation». On peut trouver plus de détails sur le consortium CIFAS dans l'ouvrage intitulé La coopération internationale entre industries aéronautiques et spatiales, publié en 1995 par l'Académie de l'air et de l'espace.
 

La proposition


L'appel d'offres pour l'étude et la réalisation du satellite Symphonie (un prototype de qualification et deux modèles de vol) et ses matériels d'essais au sol est publié le 29 janvier 1968 par le Comité exécutif franco-allemand, animé à l'époque par deux secrétaires exécutifs, l'Allemand A. Schendel et le Français G. Dieulot. Le secrétariat exécutif est à la tête d'un groupe de projet composé d'un nombre égal de représentants français et allemands, chargé de gérer le programme au nom des administrations clientes. Son effectif atteint environ une centaine de personnes.

Les réponses à l'appel d'offres sont demandées pour le 29 avril 1968. Elles doivent être intégralement rédigées en deux langues : français et allemand. Plusieurs unités de Thomson-CSF sont impliquées dans la rédaction de la proposition :

- le pilotage d'ensemble est assuré par la Division MRA qui a de plus la responsabilité des antennes hyperfréquences;

- la Division Faisceaux Hertziens de Levallois est chargée de proposer les répéteurs de télécommunications;

- la Division Télécommunications est chargée du sous-système télémesure-télécommande;

- la Division des Travaux Extérieurs est chargée de l'intégration des matériels d'essais au sol dans deux remorques aérotransportables.
 
 

La définition des répéteurs donne lieu, au début, à quelques discussions animées car, tant au groupe d'études spatiales de CSF avec Guy Plottin qu'à la Division Télécommunications de Thomson avec Claude Michaud, on a examiné le problème, avant l'appel d'offres et avant les opérations de fusion des deux sociétés. CSF veut mettre en oeuvre des techniques d'avant-garde, en particulier pour la tête HF, alors que Thomson préfère jouer la sécurité avec des techniques déjà éprouvées dans les matériels au sol.

Après quelques discussions, le calme revient et les grandes lignes du schéma des répéteurs sont définies. La proposition correspondante est rédigée conjointement par les équipes de DFH-Levallois, qui doivent être responsables de l'étude sous la direction de Philippe Magne, et de MRA-Vélizy qui doivent assurer la réalisation en technologie spatiale. L'ensemble est coordonné par Henri Familier.

La proposition des antennes hyperfréquences est préparée par le Service Hyperfréquences de Vélizy sous la direction de Marcel Palazo assisté de Bruno Vidal Saint-André.

À DTC, le Service NF, dirigé par Roland Gosmand, prend la responsabilité d'ensemble de la proposition du sous-système télémesure-télécommande. Le codeur de télémesures doit être sous-traité à la SAT, membre du consortium, et l'antenne VHF à la société Starec.

Chacune des équipes ci-dessus doit définir et diriger la réalisation des matériels d'essais au sol correspondant à sa fourniture, ces matériels étant ensuite intégrés dans les remorques par la Division Travaux Extérieurs.

La quantité de papier «noircie» pour cette proposition est impressionnante, et les trois mois alloués par les clients pour la rédaction seront à peine suffisants. Un exemplaire de la proposition du CIFAS, dans une seule langue, forme une pile de 1,50 mètre de hauteur. Il faudra, à la fin de la période, faire traduire en allemand la moitié rédigée en français et vice-versa. On aboutit, vers la mi-avril, à une saturation complète des sociétés de traduction de la région parisienne dont MATRA, Nord-Aviation, Thomson-CSF et SAT se disputent les services. Pour écouler cette charge de travail, on fait appel à des traducteurs n'ayant aucune expérience des textes techniques, ce qui rend nécessaire une relecture par des ingénieurs connaissant les deux langues. Dans ce but, Bolkow veut bien détacher à Nord-Aviation et à Thomson-CSF des ingénieurs allemands parlant français.

En désespoir de cause, on demande au client un report de délai, et il est finalement convenu que ne seront livrés le 29 avril que les textes originaux et la proposition de prix, les textes traduits devant être livrés deux semaines plus tard. Compte tenu du nombre d'exemplaires demandés, le CIFAS livrera, le 29 avril, environ une tonne et demie de papier !

La lecture et l'évaluation des propositions constituent une lourde tâche pour le secrétariat exécutif, et ce n'est que le 11 octobre 1968 qu'est annoncée la décision en faveur du CIFAS. C'est là que commence la phase la plus difficile du programme, la «symétrisation».
 

La «symétrisation»


Conformément aux clauses de l'appel d'offres, les électroniciens français du consortium gagnant CIFAS, Thomson-CSF et SAT, doivent partager l'électronique du satellite à parts égales avec les électroniciens allemands Siemens et AEG-Telefunken, membres du consortium perdant Symcosat.
 

Thomson et CSF savent, depuis le début, qu'il faudra partager l'électronique avec leurs homologues allemands, mais ils considèrent que, vainqueurs de la compétition, un rôle de chef de file des électroniciens doit leur être reconnu. Ce rôle est continuellement contesté, car le client demande au CIFAS d'adopter le schéma des répéteurs de télécommunications proposé par Symcosat, qu'il juge techniquement meilleur et plus fiable.

À la suite de la fusion de Thomson et de CSF, les activités spatiales de Gennevilliers et de Corbeville sont rattachées, puis transférées, à la Division des Matériels Aérospatiaux (MAS) dirigée par Louis Julien-Binard à Vélizy ; c'est cette unité qui est chargée de négocier la symétrisation. Pour affirmer l'importance de l'électronique dans le projet, et le rôle prépondérant que la société entend y jouer, Guy Leconte est détaché auprès du CIFAS en tant que représentant de Thomson-CSF, chef de file des électroniciens.

Symphonie est un projet européen aux implications politiques considérables ; c'est pourquoi la négociation est conduite par Vladimir Altovsky, Directeur des activités spatiales de Thomson-CSF. Les discussions portent essentiellement sur trois points :

- la conception des répéteurs de télécommunications ;

- une répartition équitable de l'électronique ;

- la reconnaissance du leadership de Thomson-CSF dans la conduite du projet.

La conception des répéteurs proposés par Siemens se révèle effectivement très astucieuse car un seul oscillateur à quartz permet de réaliser les deux transpositions de fréquence de réception et d'émission. On obtient ainsi une stabilité optimale de la fréquence d'émission. En outre, la fiabilité des répéteurs peut se trouver sensiblement améliorée en doublant l'oscillateur local, et ce au prix d'une augmentation minime de la masse du satellite.

Thomson-CSF admet assez facilement ce point de vue et, s'agissant de fiabilité, préfère porter ses critiques sur l'utilisation de diodes tunnel. Ces composants, que Siemens a choisis pour réaliser les préamplificateurs du répéteur, ont en effet donné lieu à des pannes sur un précédent programme Intelsat et c'est pourquoi Thomson-CSF propose des amplificateurs paramétriques n'utilisant que des composants dont la fiabilité est établie. Après enquête, il apparaît que la fiabilité des diodes tunnel ne devrait pas poser de problème en orbite si toutes les précautions sont prises lors de leurs manipulations au sol.

Une répartition équitable de l'électronique entre les industriels français et allemands implique d'abord, à leurs yeux, un partage équitable de la charge utile du satellite constituée par les répéteurs et les antennes de télécommunications. Entre Thomson-CSF et AEG-Telefunken, tous deux candidats à la fourniture des tubes à ondes progressives d'émission, la compétition est particulièrement acharnée. Les deux industriels sont également qualifiés et motivés pour fournir ces tubes, mais la faible quantité nécessaire ne permet pas de partager la fourniture entre eux. C'est grâce à l'appui de l'Administration allemande, qui en a déjà financé une maquette, qu'AEG-Telefunken réalise les tubes délivrant 13 watts à 4 GHz et leurs alimentations.

Dans la charge utile, Thomson-CSF (MAS) obtient les antennes d'émission et l'antenne de réception confiées à l'équipe de Bruno Vidal Saint-André, ainsi que l'oscillateur local et le convertisseur d'émission qui sont développés à Vélizy sous la responsabilité de Marcel Palazo, avec le concours de la Division Faisceaux Hertziens à Levallois pour les études.

Siemens a la responsabilité de l'ensemble répéteurs et réalise notamment les préamplificateurs à diodes tunnel, les convertisseurs de réception et les amplificateurs à fréquence intermédiaire.

Thomson-CSF obtient également la responsabilité de l'ensemble de télémesure-télécommande, antennes VHF comprises. L'équipe de Roland Gosmand réalise l'émetteur de télémesure ainsi que le récepteur et le décodeur de télécommande. Le codeur de télémesure est réalisé par la SAT, membre du CIFAS.

Durant toute la phase de symétrisation, Thomson-CSF manifeste sa volonté de jouer un rôle particulier dans la conduite du projet car, l'électronique embarquée représentant généralement plus de la moitié du coût du satellite, son objectif est d'assurer, à terme, des maîtrises d'oeuvre d'ensembles. Cette position de Thomson-CSF suscite une vive opposition de la part des industriels allemands, notamment de Telefunken. De ce fait, les discussions sont longues et difficiles, plusieurs fois proches de la rupture.

Finalement, Thomson-CSF obtient le poste d'adjoint au chef de projet, responsable de l'électronique, mais son rôle de chef de file des électroniciens ne sera jamais véritablement reconnu.

Toutes ces négociations modifient profondément le projet de satellite et il apparaît nécessaire de le redéfinir en détail avant de présenter une proposition définitive au client.

Une phase de définition du projet commence, conduite par le groupe de projet CIFAS dont les effectifs se mettent progressivement en place dans les locaux de la SNIAS aux Mureaux.
 

La phase de définition du projet (PDP)


C'est en mars 1969 que commence, au titre d'un premier contrat, la phase de définition du projet. Au cours de la période de symétrisation, le CIFAS a commencé à constituer son groupe de projet chargé d'assurer la maîtrise d'oeuvre, qui doit s'installer aux Mureaux. Il est dirigé de bout en bout par Pierre Madon de Nord-Aviation puis d'Aérospatiale, assisté de Kuno Schneider de MBB, qui représente l'industrie allemande, et de Guy Leconte, de Thomson-CSF, qui voit ainsi reconnue sa position de «chef de file des électroniciens». En 1971, Guy Leconte sera remplacé par Jacques Dussine.

L'imposant effectif de ce groupe, qui atteint une centaine de personnes, a été calculé en fonction de celui mis en place par les administrations clientes de manière à fournir à ces dernières un nombre suffisant d'interlocuteurs. La plupart de ses membres sont des ingénieurs. Sa composition est établie de manière à satisfaire l'équilibre 50-50 entre la France et l'Allemagne, et à assurer un dosage convenable et acceptable par tous entre les sociétés membres du CIFAS.

L'effectif fourni par Thomson-CSF varie entre quinze et vingt ingénieurs au cours de la vie du programme. Réunir cet effectif dans des délais relativement brefs n'est pas particulièrement aisé, et la Division MRA doit faire appel à du personnel volontaire d'autres divisions.

Un certain nombre de préliminaires contribuent à ralentir le travail. Par exemple, un choix doit être fait entre les normes françaises et les normes allemandes pour les composants. Il faut également faire un compromis entre les règles de qualité du GFW et celles du CNES.

Selon un des paragraphes des spécifications imposées initialement par les clients, tout matériel de vol tombant en panne au cours de ses essais doit être mis au rebut, toute réparation étant interdite comme devant «nuire gravement à la fiabilité de ce matériel». Il apparaît bien évidemment par la suite que ce type d'exigence, bien que marquant un indiscutable souci d'assurer une excellente qualité, est entièrement irréaliste, et les responsables de la qualité continuent de rédiger et de mettre au point des procédures de réparation comme dans les autres projets.

Vers le milieu de 1970, le travail d'avant-projet qui aboutit à l'établissement des spécifications des matériels et des devis correspondants est suffisamment avancé pour permettre la remise au client d'une proposition couvrant la réalisation des satellites.

La remise de la proposition de prix provoque une réaction «explosive» au CNES et au GFW. Les prix sont considérés comme beaucoup trop élevés et le programme risque, de ce fait, de ne pas avoir lieu. Il faut bien constater qu'un souci probablement excessif de perfection dans un premier programme de satellite de télécommunications européen et surtout «non américain» a, des deux côtés, clients et industriels, provoqué une inflation d'exigences et de précautions.

L'affaire des prix remonte d'abord jusqu'aux plus hauts niveaux de la hiérarchie des administrations clientes et des industriels concernés, puis on s'assoit à une table de négociations où, peu à peu, le réalisme reprend le dessus. Le Département ESA ayant été créé entre-temps, c'est Guy Muzard qui supporte le poids principal de ces négociations.

Durant les phases de symétrisation et de redéfinition du projet, une évolution sensible de la parité franc-mark a déséquilibré financièrement le partage obtenu si difficilement quelques mois plus tôt.

La négociation financière ne remet pas en cause le partage mais elle fait apparaître que, pour le premier projet européen de cette nature, de grosses marges pour aléas ont été prises à tous les niveaux.

Finalement, la plupart des provisions pour risques sont regroupées en deux fonds de réserve qui doivent être gérés :

- par le groupe de projet client, pour le système ;

- par le groupe de projet CIFAS, pour les sous-systèmes.
 
 

Ces dispositions traduisent en fait l'absence d'un véritable maître d'oeuvre qui accepterait d'assumer tous les risques financiers du projet.

En décembre 1970, le contrat entre l'organisme exécutif franco-allemand et le CIFAS est enfin prêt à être signé. La part de Thomson-CSF, qui couvre la TM-TC, l'oscillateur local des répéteurs, le mélangeur d'émission, les antennes hyperfréquences, les deux remorques d'essais du satellite, ainsi que la participation au groupe de projet et à l'intégration, représente environ 80 millions de francs.

Dans ce total, les prix des fournitures de matériels sont établis sur une base forfaitaire alors que la partie concernant la participation au groupe de projet est une estimation, cette partie étant payée en «dépenses contrôlées». Le montant total du contrat s'élève à 400 millions de francs et 320 millions de deutsche Mark.

Les juristes sont également très occupés durant la préparation de ce contrat qui, en raison de la domiciliation du CIFAS, doit être de droit français. C'est la source de nombreuses difficultés avec les industriels allemands, peu familiers avec la réglementation française des marchés de l'État.

Il n'est pas possible, par exemple, d'arriver, pour les révisions de prix, à une formule homogène pour la partie française et la partie allemande. L'une des originalités du contrat est la création d'un fonds de réserve destiné à couvrir le prix d'éventuelles modifications rendues nécessaires par des amendements aux spécifications des matériels, à l'exclusion, bien entendu, de celles demandées par le client.

Du côté des industriels, on souhaite vivement que le contrat soit signé par toutes les parties et notifié avant la fin de l'année 1970. D'après certaines informations, le représentant de l'Administration allemande habilité pour signer doit s'absenter entre Noël et le Jour de l'an. Il faut donc faire vite.

Du côté du CIFAS, dont la composition a été finalisée après la symétrisation, six signatures sont nécessaires : l'Aérospatiale, la SAT, Thomson-CSF, MBB, AEG-Telefunken et Siemens. Rendez-vous est pris à Munich le 21 décembre chez Siemens. Le téléphone ayant abondamment fonctionné la semaine précédente, afin de préciser et mettre au point les dernières virgules, on pourrait penser que la signature est une simple formalité. Cet optimisme s'avère en fait exagéré.
 

Le premier problème est causé par les conditions climatiques. Les 18 et 19 décembre, les aéroports parisiens sont fermés à cause du brouillard, et il devient incertain pour les Français de pouvoir se rendre à Munich. Par précaution, le chef de projet, Pierre Madon, accompagné d'un membre du groupe de projet, prend le train le 20 décembre avec le lourd fardeau que constituent tous les exemplaires du contrat. La situation atmosphérique semblant s'améliorer, les autres représentants prennent finalement l'avion le 21 au matin.

La séance est ouverte à 10 heures et, immédiatement, les représentants allemands déclarent qu'ils ne peuvent signer le contrat avant d'avoir reçu des éclaircissements sur certains points juridiques. Le président de séance, Pierre Usunier, administrateur-gérant du CIFAS, donne quelques explications à la suite desquelles ses interlocuteurs demandent une suspension de séance pour consulter, par téléphone, leurs juristes.

Il faut, à ce point, signaler que les réunions du Conseil du CIFAS se tiennent en deux langues, français et allemand, avec interprétation simultanée, ce qui, malgré le talent indiscutable du traducteur, n'est pas sans provoquer quelques malentendus.

Le cycle explications-malentendus-suspensions de séance se poursuit toute la journée, même pendant la période des sandwiches qui sont servis pour le déjeuner, puis, quasi miraculeusement, peu après 17 heures, tout le monde est d'accord pour signer et, une heure plus tard, la séance est levée au soulagement général. Malheureuse­ment, le signataire de l'Administration allemande est parti en vacances quelques jours plus tôt que prévu et le contrat n'est notifié aux industriels que le 15 janvier 1971.

Le plus dur reste à faire ; c'est maintenant aux ingénieurs, techniciens et ouvriers de faire du programme un succès.
 

La phase de réalisation

 
Symphonie B en phase finale d'assemblage

Au début de 1971, tous les acteurs du programme Symphonie à Thomson-CSF, tout au moins pour la partie «satellite», se trouvent rassemblés au Département ESA à Vélizy. Seule l'étude, jusqu'au stade maquette, de l'oscillateur local des répéteurs et du mélangeur d'émission doit se dérouler à Levallois.

Il faut s'organiser pour assurer la liaison avec le groupe de projet du CIFAS. À cet effet, Roger Durand est nommé chef de projet avec pour mission, côté interne, de coordonner toutes les actions de Thomson-CSF dans les répéteurs, antennes et TM-TC, ainsi que les intégrations qui doivent suivre, et, côté externe, d'assurer la liaison indiquée ci-dessus.

La tutelle pointilleuse du groupe de projet du client, composé d'une cinquantaine de personnes, ainsi que l'obligation de fournir tous les documents en deux langues, alourdissent considérablement la gestion du programme qui, néanmoins, se déroule dans des conditions techniques et financières satisfaisantes.
 

La TM-TC


L'ex-Service NF de Gennevilliers, qui a rédigé la proposition pour le sous-système TM-TC sous la direction de Roland Gosmand, a été transféré à Vélizy au début de 1970 et a pris le nom de Service ES (Électronique Spatiale).

Il doit être responsable de l'ensemble du sous-système TM-TC et bénéficie pour cela de l'expérience récemment acquise dans le programme HEOS.

Le sous-système comprend les matériels suivants :

- récepteurs VHF de télécommande ;

- émetteurs VHF de télémesure ;

- duplexeur VHF ;

- décodeur de télécommande ;

- codeur de télémesures ;

- antenne VHF d'émission-réception.
 
 

Récepteur de télécommande
Emetteur de télémesure

Certains de ces matériels ont une complexité très supérieure à celle des premiers satellites Diamant.

Le décodeur de télécommande doit traiter 123 ordres «tout ou rien» et 17 ordres de téléaffichage de 8 bits, alors que le codeur de télémesures doit émettre 198 paramètres à 8 bits par seconde et 24 paramètres à 64 bits par seconde. Ce codeur est sous-traité à la SAT alors que les antennes VHF sont sous-traitées à la Starec. Pour gérer l'ensemble du programme, coordonner les actions internes et externes et assurer la liaison avec les responsables de la TM-TC au groupe de projet CIFAS, un chef de projet TM-TC est nommé : Jean de La Rochefoucauld.

Les mêmes technologies que pour HEOS sont utilisées. Les parties radiofréquences sont construites en circuits localisés à base de transistors. Le décodeur à tons codés est assemblé en modules cordwood. Le développement ne pose pas de problème particulier mais un sérieux problème de fabrication mérite d'être mentionné. Les responsables de l'atelier de câblage chercheront pendant de longues semaines pourquoi les circuits intégrés du premier décodeur de télécommande sont parfois endommagés et rendus inutilisables pendant les opérations de regroupement des différents modules.

Toutes les installations de câblage et d'essais de la salle blanche seront «passées au peigne fin» et l'on finira par découvrir que les dégâts sont causés par les régimes transitoires créés par la commutation des thermostats des fers à souder.

Il faudra revenir en arrière sur ce que l'on avait pensé être une amélioration du procédé de fabrication. Les thermostats seront supprimés et il n'y aura plus aucun problème.

Le décodeur en question, convenablement réparé, mais toujours refusé par le client qui craint une détérioration de sa fiabilité, prouvera par la suite, au cours d'essais de vieillissement accéléré, qu'il aurait été capable d'assurer sans défaillance la mission d'un modèle de vol.
 

Les antennes hyperfréquences


Les spécifications initiales de l'appel d'offres prévoient pour le sous-système antennes les couvertures suivantes :

- en réception, couverture globale avec une ouverture de faisceau de 18° ;

- en émission, trois couvertures différentes, une couverture globale (18°), une couverture dite eurafricaine (10,5°), et une couverture fine dite Antilles-Guyane (4°).
 
 

Durant la PDP, le pinceau fin de 4° est abandonné et la version finale du sous-système antennes comprend :

- un cornet de réception ayant une couverture globale ;

- deux antennes d'émission pratiquement identiques avec une ouverture elliptique de 14,4° x 9,3°, et destinées à couvrir d'une part l'Europe et l'Afrique, jusqu'à Madagascar et la Réunion, et d'autre part l'Amérique du Sud, l'Amérique centrale, dont les Antilles et la Guyane, et la partie orientale de l'Amérique du Nord.
 
 

L'étude se déroule sans incident majeur si l'on excepte quelques dérogations obtenues pour des déviations mineures du gain (0,5 dB) en quelques points très restreints de la limite de couverture. C'est au cours d'une discussion mémorable, poursuivie en présence de la Direction du Département jusque vers 2 heures du matin, qu'est décidée et préparée la demande de dérogation.

Les deux antennes d'émission sont identiques, composées chacune d'un cornet rectangulaire illuminant un miroir parabolique de forme approximativement elliptique, le tout fonctionnant à 4 GHz en polarisation circulaire gauche. Le gain est supérieur à 19,5° dans toute la zone de couverture. La fabrication des réflecteurs est sous-traitée à l'Aéro­spatiale. L'antenne de réception est un cornet conique fonctionnant à 6 GHz en polarisation circulaire droite, avec une ouverture de faisceau de 18° et un gain supérieur à 16 dB en bordure de couverture.
 

Les répéteurs


L'étude des matériels des répéteurs n'est pas a priori sans poser quelques problèmes. Ceux que Thomson-CSF doit réaliser ne sont pas exactement ceux qu'il a conçus dans sa proposition initiale. En effet, pour des raisons n'ayant que peu de rapport avec la technique, le résultat de la symétrisation a été le choix du schéma de répéteurs proposé par Siemens.

Les répéteurs, d'une bande passante de 90 MHz chacun, doivent fonctionner en bande C (réception à 6 GHz, émission à 4 GHz). Ils sont au nombre de deux, ce qui ne signifie pas une redondance car chacun est réglé sur une fréquence centrale différente. Afin d'avoir un oscillateur local commun, on a utilisé un schéma de double conversion, les fréquences intermédiaires étant choisies afin de permettre l'utilisation d'une seule fréquence d'oscillateur local à la réception, ainsi qu'une seule fréquence à l'émission.

Un autre problème potentiel, interne cette fois, est dû à l'éloignement des équipes chargées respectivement de l'étude (Levallois) et de la réalisation (Vélizy), et au fait que ces équipes, issues de deux sociétés qui viennent juste de fusionner, doivent d'abord apprendre à se connaître et à homogénéiser leurs méthodes de travail.
 

Oscillateur locat des répéteurs

Finalement, malgré, et parfois à l'aide d'explications qu'un langage diplomatique qualifierait de «franches», la séquence études-fabrication-essais se déroule sans incident majeur, aussi bien pour les oscillateurs locaux que pour les mélangeurs d'émission qui représentent la part de Thomson-CSF.

Le problème technique le plus ardu à résoudre est celui de la stabilité de l'oscillateur pilote. Craignant la fiabilité insuffisante des thermostats, il a été décidé de ne pas loger cet oscillateur dans une enceinte thermostatée. Le choix s'est porté sur l'introduction dans les circuits d'un jeu de thermistances aux coefficients de température judicieusement choisis. La difficulté de la mise au point justifie l'intervention personnelle du Directeur Technique de DFH, Philippe Magne, qui consacre quelques longues soirées au problème, finalement résolu avec succès.

L'intégration des répéteurs est exécutée par une équipe mixte Thomson-CSF/Siemens, pour moitié à Munich et pour moitié à Vélizy, toujours pour satisfaire un parfait équilibre franco-allemand. Michel Romain et Robert Hagenbucher participent à ces opérations pour Thomson-CSF.

Il en est de même pour l'intégration des satellites, exécutée pour moitié aux Mureaux (MV1) par une même équipe franco-allemande du groupe de projet du CIFAS. Philippe Gsell et Jean-Pierre Jullien y représentent Thomson-CSF.
 









 Photos Ph. Gsell - Crédit MBB

Depuis la passation du contrat final, il est devenu évident que l'objectif initial d'avoir au moins l'un des modèles de vol en orbite pour retransmettre les images des Jeux olympiques de Munich en 1972 ne pourra être tenu. Un lancement en 1973 paraît possible. Les prévisions sont le premier et le deuxième trimestres de 1973, respectivement pour chacun des modèles de vol. Mais c'est compter sans les malheurs de la fusée Europa II.
 

Les lancements


Symphonie A et Delta 2914. Crédit ph. GsellÀ la fin de 1972, le développement des satellites est pratiquement terminé, mais il manque un senseur infrarouge qui devait initialement être acheté aux États-Unis, mais dont le gouvernement a interdit la livraison en Europe. Il faut donc le faire développer en France par la société Sodern, ce qui prend du temps, et l'intégration du prototype de Symphonie n'est vraiment terminée qu'en novembre 1973.

La fusée Europa II va de défaillance en défaillance dans ses tirs d'essais, et, à la suite de l'échec du premier tir en Guyane, le 5 novembre 1971, et de la décision d'arrêt du programme le 1er mai 1973, il faut rechercher un autre lanceur pour Symphonie. La solution évidente sur le plan technique est la fusée américaine Thor-Delta. Or, dans l'accord créant l'organisation Intelsat, dont la France et l'Allemagne sont membres, il est spécifié qu'aucun des pays membres ne peut utiliser de satellites de télécommunications autres que ceux d'Intelsat à des fins commerciales sans l'autorisation de cette organisation.

Le gouvernement des États-Unis fait état de cette clause pour refuser le lancement par une fusée américaine. Il faudra un an d'âpres discussions pour que ce lancement soit accepté à condition d'utiliser Symphonie à des fins purement expérimentales. Plusieurs mois seront encore nécessaires pour modifier les satellites en vue de les adapter au nouveau lanceur. Enfin, après quelques péripéties dues entre autres à un problème de valve de remplissage sur le lanceur et à un violent orage, qui firent retarder le lancement de vingt-quatre heures, Symphonie A est mis en orbite le 19 décembre 1974 à 21 h 39 (heure locale) à partir du centre de Cap Canaveral. Toutes les opérations suivant le lancement : mise en marche du moteur d'apogée, largage du yo-yo, déploiement des panneaux solaires, mise en marge du système de stabilisation sur trois axes, et dérive jusqu'à la position finale à 11,5° ouest sont couronnées de succès.

Il faut bien admettre que le premier satellite géostationnaire stabilisé sur trois axes est en place, et que le premier moteur d'apogée biliquide a correctement fonctionné. Malgré cela, quelques esprits chagrins expriment des doutes sur la durée de ce succès, estimant qu'il ne s'agit que d'un heureux hasard, l'Europe n'étant pas, pour eux et par définition, capable de reproduire un tel succès. Un incident survenu quelques jours après le lancement sera sur le point de leur donner raison.
 

La panne de l'oscillateur local


Environ une semaine après le lancement, alors que les répéteurs ont été mis sous tension et que l'on procède sur eux à divers essais, l'oscillateur local qui est en service cesse de fonctionner. Heureusement, cet équipement est redondant (le seul dans les répéteurs) et l'on met en marche le second oscillateur. Lorsqu'on essaye de remettre en marche le premier, il a d'abord un fonctionnement intermittent puis cesse définitivement de fonctionner le 29 décembre. La mission du satellite n'en est nullement affectée, comme nous le verrons plus loin.

Néanmoins, une large publicité est faite à l'incident, qui est, par exemple, relaté dans une revue spécialisée qui y consacre pas moins de huit articles différents parus au cours de l'année 1975.

À Vélizy, on accorde bien entendu une grande importance à cette première panne d'un matériel en orbite fourni par la société.

Le second modèle de vol doit être lancé quelques mois plus tard et il est impensable de procéder à ce lancement avant d'avoir élucidé la cause de la panne et effectué les modifications qui pourraient s'avérer nécessaires.

Les enregistrements des télémesures sont examinés avec la plus grande attention et l'on finit par constater la coïncidence de l'arrêt de l'oscillateur et d'une variation très faible (2 bits) du courant dans le circuit pilote.

Les ingénieurs et techniciens du Service Hyperfré­quences entreprennent donc, en utilisant le modèle d'identification de l'oscillateur, de simuler toutes les pannes possibles en cherchant laquelle ou lesquelles sont à l'origine de cette variation de courant. Ils sont assez heureux pour constater qu'une seule panne provoque ce phénomène d'une manière suffisamment reproductible. C'est la coupure d'un certain sensistor, utilisé pour la stabilisation de la fréquence en fonction de la température, qui est la cause la plus probable, bien qu'il soit impossible d'en avoir la parfaite certitude.

Il faut maintenant déterminer pourquoi ce sensistor s'est «coupé». Il reste une quantité suffisante de sensistors du même lot pour que l'on puisse faire subir à un échantillonnage d'entre eux un maximum «d'outrages» conformes aux essais de qualification : vibrations, cycles thermiques, vieillissement accéléré. Après plusieurs mois, aucun défaut systématique n'ayant pu être découvert, on en déduit que la panne constituait un phénomène strictement aléatoire, et il est décidé, tout en renforçant les contrôles sur ce type de composant, de n'effectuer aucune modification sur les oscillateurs locaux destinés au second modèle de vol.

Cette décision est certainement bonne puisque aussi bien les oscillateurs de Symphonie B que le «survivant» de Symphonie A fonctionneront sans aucune défaillance pendant environ neuf ans chacun, jusqu'au moment où il sera décidé de faire quitter aux satellites l'orbite géostationnaire et d'interrompre le fonctionnement des répéteurs.
 

Les utilisations de Symphonie


Il n'est pas dans notre propos de décrire en détail les nombreuses utilisations de ces satellites expérimentaux. Après le lancement de Symphonie A, la première transmission de signaux de télévision a lieu à l'occasion du sommet franco-allemand célébrant, le 22 janvier 1975, le douzième anniversaire de l'accord franco-allemand de 1963 où le président français Valéry Giscard d'Estaing et le chancelier allemand Helmut Schmidt ont eu un entretien télévisé viaSymphonie.

Outre la France et l'Allemagne, de nombreux pays sont demandeurs de l'utilisation de Symphonie, en particulier pour des expériences de télévision éducative. Symphonie B, lancé le 26 août 1975, vient renforcer le potentiel d'utilisation que mettent à profit, notamment, l'Inde, la Chine et divers pays africains.

Des essais de transmissions de données ont également lieu par-dessus l'océan Atlantique. Au bout de cinq à six ans pour chacun des satellites, on limite l'utilisation du peu d'ergols qui restent dans les réservoirs au contrôle d'attitude aux dépens du maintien en position, ce qui permet de continuer d'accomplir des missions partiellement dégradées.

Enfin, comme il a été dit, quand les ergols sont  très proches de l'épuisement, leur reliquat est utilisé, après environ neuf ans de vie, pour éjecter ces satellites de l'orbite géostationnaire, opération réalisée pour la première fois au monde afin de laisser la place aux successeurs sur une orbite dont l'encombrement ne fait que croître.
 

Les décharges électrostatiques


Sur le plan purement technique, Symphonie est l'un des premiers satellites géostationnaires où se manifeste un phénomène qui fera couler beaucoup d'encre avant d'être finalement élucidé.

Quelque temps après la mise en marche de tous les équipements du satellite, il apparaît que, presque tous les jours et au même moment de la journée, un ordre de télécommande intempestif fait basculer le fonctionnement d'un convertisseur d'alimentation sur le convertisseur de secours. Bien que l'incident soit, en apparence, mineur, car il suffit d'envoyer l'ordre de télécommande inverse pour tout remettre en ordre, le fait qu'il se reproduise à peu près systématiquement est considéré comme inquiétant.

Ce n'est que quelques mois plus tard qu'un début d'explication est trouvé dans la littérature scientifique américaine. Il s'agit très vraisemblablement de «claquages» périodiques du condensateur formé par les couches de mylar aluminisé qui constituent la «superisolation» thermique du satellite. Ce condensateur est chargé progressivement par des particules ionisantes émises par le soleil et un claquage se produit à partir d'une certaine tension de charge. Le signal de haut niveau induit dans le circuit de télécommande provoque l'ordre intempestif. Un projet de satellite américain est en préparation pour étudier le phénomène. Pour Symphonie, lorsque les claquages successifs ont provoqué suffisamment de courts-circuits entre les couches métalliques, les ordres intempestifs finissent par disparaître. Bien entendu, ce problème sera pris en compte dans les programmes de satellites suivants et on veillera à ce que le condensateur créé par la superisolation soit court-circuité au départ.
 

Les primes


Après l'achèvement du programme, les sociétés membres du consortium CIFAS décident, d'un commun accord, de distribuer une prime à tous les membres de leur personnel y ayant participé. Cette prime est un témoignage de la bonne gestion du projet, malgré les multiples difficultés qui ont retardé son achèvement.
 

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