6 - Les programmes de satellites
6.2 - Les satellites de télécommunication
Les préliminaires
Le
6 juin 1967, une convention est signée entre les
gouvernements de la République française
et de la République fédérale allemande
pour la construction, le lancement et l'utilisation d'un
satellite expérimental de télécommunications.
Le programme ainsi mis en marche est le résultat
de deux séries d'études menées respectivement
dans chacun des deux pays.
En France, faisant suite au projet du CNES et du CNET, baptisé
SAFRAN,
d'un système régional de télécommunications
par satellite à défilement, un projet nommé SAROS
vise à l'établissement d'un système de télécommunications
expérimental par satellite géostationnaire couvrant la métropole,
l'Afrique, les Dom-Tom de l'océan Indien, ainsi que la côte
est des États-Unis et les Dom-Tom de cette région. L'idée
allemande vise à peu près la même zone de couverture
avec une finalité à relativement court terme : la transmission
vers l'Europe, l'Afrique et l'Amérique des images des Jeux olympiques
qui doivent se tenir à Munich en 1972. C'est pourquoi ce programme
est baptisé Olympia. En novembre 1966, la France a proposé
à l'Allemagne d'associer les deux projets.
Choisir un nom pour un programme coopératif ne sera pas l'une
des moindres tâches des négociateurs et, après avoir
failli s'appeler Athos alors que les Allemands proposent le nom
de Concerto, il héritera du nom à la fois français
et allemand de Symphonie.
Du côté des industriels, au fur et à mesure que
filtrent les informations préliminaires sur ce que sera le programme,
des pourparlers ont lieu pour tenter d'organiser des consortiums en vue
de répondre à l'appel d'offres attendu.
Du côté de CSF, on discute beaucoup avec Siemens, en vue
d'une alliance éventuelle, ainsi qu'avec Nord-Aviation.
Thomson aussi parle à Nord-Aviation. Pour la petite histoire,
à la suite d'une indiscrétion, deux représentants
de Thomson se présentent un jour à une réunion entre
Nord-Aviation et CSF à laquelle leur présence n'est visiblement
pas souhaitée par tout le monde. Il est inutile de préciser
quelle sera l'atmosphère de cette réunion où Thomson
et CSF se disputeront âprement la responsabilité de l'ensemble
de l'électronique du satellite au sein d'un consortium où
Nord-Aviation sera le maître d'oeuvre.
Ce conflit s'apaise rapidement lorsque paraît, le 13 septembre
1967, le communiqué annonçant la fusion entre CSF et le groupe
électronique de Thomson.
Quelques jours plus tard, les différentes sociétés
françaises et allemandes intéressées au programme
reçoivent un document, daté du 27 septembre 1967, par lequel
le Comité exécutif franco-allemand du programme Symphonie
donne des informations préliminaires sur le futur appel d'offres.
En même temps est organisée à Bonn une réunion
d'information où les industriels, après avoir écouté
un exposé explicatif, peuvent poser des questions aux membres du
Comité exécutif.
Outre un certain nombre d'informations techniques préliminaires,
le document précise le cadre de l'organisation industrielle que
doivent adopter les consortiums pour répondre à l'appel d'offres
et exécuter ensuite le programme.
Une distinction est faite entre les «avionneurs» et les
«électroniciens», ce dernier qualificatif étant
attribué à chaque industriel chargé de tout ou partie
de l'électronique du satellite, c'est-à-dire le système
de télécommunications en hyperfréquences, le système
de télémesure et de télécommande, le système
d'alimentation en énergie électrique, ainsi que les équipements
électroniques de contrôle au sol spécifiques du satellite.
Les consortiums doivent être «dissymétriques»,
c'est-à-dire comporter chacun une participation «équilibrée»
d'avionneurs français et d'avionneurs allemands, et une participation
d'électroniciens d'une seule nationalité.
L'adjectif «équilibrée» signifie qu'il faut
assurer entre l'ensemble des travaux exécutés en France et
l'ensemble des travaux exécutés en Allemagne «une répartition
quantitative égale et une répartition qualitative équitable»
: cet équilibre s'applique également aux travaux d'intégration
du prototype et des deux modèles de vol qui doivent être effectués
par la même équipe franco-allemande.
C'est à l'occasion de cette réunion que commence une action
de propagande qui, d'abord verbalement dans les couloirs de la réunion,
puis dans les colonnes de la presse allemande, cherche à démontrer
que l'utilisation d'un satellite stabilisé sur trois axes ferait
courir des risques techniques inutiles, et que la seule solution économique
pour les contribuables français et allemands consiste à réaliser
un satellite stabilisé par rotation avec une antenne formée
d'une lentille de Luneberg. Des résultats d'études sur ce
sujet sont publiés dans la presse et, ultérieurement, dans
une revue technique américaine par l'ingénieur allemand H.
W. Scheel, promoteur de cette idée.
L'affaire est prise très au sérieux par les industriels
qui concluent finalement que l'antenne proposée, bien que très
séduisante a priori, présente néanmoins des
inconvénients résultant de son poids élevé
ainsi que d'importants risques technologiques liés à sa tenue
dans l'ambiance spatiale.
La formation du consortium CIFAS
La
période précédant la sortie de l'appel d'offres est
quelque peu agitée parmi les industriels. Il faut former des consortiums
crédibles, étudier les aspects juridiques de leur formation
et se partager les tâches, d'abord dans la proposition puis dans
la réalisation des satellites.
Parmi les avionneurs, une séparation se fait quasi naturellement
en raison de l'existence de consortiums déjà formés
pour répondre aux appels d'offres de l'ESRO.
En France, MATRA est allié à l'avionneur allemand ERNO
au sein du consortium MESH, et Nord-Aviation est allié à
Bolkow. Ces liens sont donc mis à profit pour le programme Symphonie
et l'on voit se constituer l'amorce des deux consortiums qui s'appelleront
respectivement Symcosat, conduit par MATRA, et CIFAS, conduit par Nord-Aviation.
L'opération est plus difficile pour les sociétés
d'électronique à cause des exigences formulées par
les administrations clientes dont l'intervention est nécessaire
pour que Siemens, associé à Telefunken, rejoigne le consortium
de MATRA et ERNO alors qu'ils ont auparavant souhaité s'allier à
Bolkow.
Thomson et CSF, en cours de fusion, se trouvent dans une association
qui réunit, sous la maîtrise d'oeuvre de Nord-Aviation, Sud-Aviation
et SAT (autre électronicien) du côté français,
et Bolkow et Junkers du côté allemand.
Avant, puis après la sortie de l'appel d'offres le 29 janvier
1968, un certain nombre de longues et parfois pénibles réunions
ont lieu au siège de Nord-Aviation, avenue Bosquet à Paris,
pour définir la forme juridique du futur consortium et les rôles
des différents membres.
Les participants de la future Thomson-CSF sont, sous la direction de
Michel Barré : Vladimir Altovsky, du BAS, Jacques Chaumeron, de
la Division Télécommunications, et, lorsque besoin est, les
juristes de Thomson : MM. Kreis et Boulou. Ce sont ces derniers, en accord
avec les juristes de Nord-Aviation, qui proposent que le consortium se
constitue en GIE (groupement d'intérêt économique),
toute nouvelle formule de droit français créée par
une ordonnance du 23 septembre 1967. Il faudra quelque temps et beaucoup
d'explications pour convaincre les partenaires allemands d'adhérer
à une formule de droit français qui ne leur est pas familière.
L'accord constituant le GIE est enfin signé le 25 avril 1968,
soit trois jours avant la remise de la proposition aux organismes clients.
Le nom choisi pour le consortium est CIFAS (Consortium Industriel Franco-Allemand
pour Symphonie). Le premier administrateur-gérant, désigné
par Nord-Aviation, est J. Dupin qui a déjà eu la lourde tâche
de présider toutes les réunions préparatoires.
Charles Cristofini lui succédera de 1970 à 1973, puis
Pierre Usunier, jusqu'à la dernière assemblée qui
approuvera la liquidation des comptes le 26 mai 1981.
Durant les années suivant la formation du consortium, des fusions
industrielles modifieront sa composition; ce seront celle de Thomson
et CSF, qui fera que les nouveaux membres deviendront Thomson-Brandt et
Thomson-CSF, celle de Nord-Aviation et Sud-Aviation, qui engendrera l'Aérospatiale
(appelée SNIAS pendant les premières années), et enfin
celle de Bolkow avec Junkers, puis avec deux sociétés extérieures
au consortium, qui donnera lieu à l'apparition de MBB (Messerschmidt,
Bolkow, Blohm). Nous verrons plus loin comment le consortium sera encore
modifié par l'opération de «symétrisation».
On peut trouver plus de détails sur le consortium CIFAS dans l'ouvrage
intitulé La coopération internationale entre industries
aéronautiques et spatiales, publié en 1995 par l'Académie
de l'air et de l'espace.
La proposition
L'appel d'offres pour l'étude et la réalisation du
satellite
Symphonie (un prototype de qualification et deux modèles
de vol) et ses matériels d'essais au sol est publié le 29
janvier 1968 par le Comité exécutif franco-allemand, animé
à l'époque par deux secrétaires exécutifs,
l'Allemand A. Schendel et le Français G. Dieulot. Le secrétariat
exécutif est à la tête d'un groupe de projet composé
d'un nombre égal de représentants français et allemands,
chargé de gérer le programme au nom des administrations clientes.
Son effectif atteint environ une centaine de personnes.
Les réponses à l'appel d'offres sont demandées
pour le 29 avril 1968. Elles doivent être intégralement rédigées
en deux langues : français et allemand. Plusieurs unités
de Thomson-CSF sont impliquées dans la rédaction de la proposition
:
- le pilotage d'ensemble est assuré par la Division MRA qui a
de plus la responsabilité des antennes hyperfréquences;
- la Division Faisceaux Hertziens de Levallois est chargée de
proposer les répéteurs de télécommunications;
- la Division Télécommunications est chargée du
sous-système télémesure-télécommande;
- la Division des Travaux Extérieurs est chargée de l'intégration
des matériels d'essais au sol dans deux remorques aérotransportables.
La définition des répéteurs donne lieu, au début,
à quelques discussions animées car, tant au groupe d'études
spatiales de CSF avec Guy Plottin qu'à la Division Télécommunications
de Thomson avec Claude Michaud, on a examiné le problème,
avant l'appel d'offres et avant les opérations de fusion des deux
sociétés. CSF veut mettre en oeuvre des techniques d'avant-garde,
en particulier pour la tête HF, alors que Thomson préfère
jouer la sécurité avec des techniques déjà
éprouvées dans les matériels au sol.
Après quelques discussions, le calme revient et les grandes lignes
du schéma des répéteurs sont définies. La proposition
correspondante est rédigée conjointement par les équipes
de DFH-Levallois, qui doivent être responsables de l'étude
sous la direction de Philippe Magne, et de MRA-Vélizy qui doivent
assurer la réalisation en technologie spatiale. L'ensemble est coordonné
par Henri Familier.
La proposition des antennes hyperfréquences est préparée
par le Service Hyperfréquences de Vélizy sous la direction
de Marcel Palazo assisté de Bruno Vidal Saint-André.
À DTC, le Service NF, dirigé par Roland Gosmand, prend
la responsabilité d'ensemble de la proposition du sous-système
télémesure-télécommande. Le codeur de télémesures
doit être sous-traité à la SAT, membre du consortium,
et l'antenne VHF à la société Starec.
Chacune des équipes ci-dessus doit définir et diriger
la réalisation des matériels d'essais au sol correspondant
à sa fourniture, ces matériels étant ensuite intégrés
dans les remorques par la Division Travaux Extérieurs.
La quantité de papier «noircie» pour cette proposition
est impressionnante, et les trois mois alloués par les clients pour
la rédaction seront à peine suffisants. Un exemplaire de
la proposition du CIFAS, dans une seule langue, forme une pile de 1,50
mètre de hauteur. Il faudra, à la fin de la période,
faire traduire en allemand la moitié rédigée en français
et vice-versa. On aboutit, vers la mi-avril, à une saturation complète
des sociétés de traduction de la région parisienne
dont MATRA, Nord-Aviation, Thomson-CSF et SAT se disputent les services.
Pour écouler cette charge de travail, on fait appel à des
traducteurs n'ayant aucune expérience des textes techniques, ce
qui rend nécessaire une relecture par des ingénieurs connaissant
les deux langues. Dans ce but, Bolkow veut bien détacher à
Nord-Aviation et à Thomson-CSF des ingénieurs allemands parlant
français.
En désespoir de cause, on demande au client un report de délai,
et il est finalement convenu que ne seront livrés le 29 avril que
les textes originaux et la proposition de prix, les textes traduits devant
être livrés deux semaines plus tard. Compte tenu du nombre
d'exemplaires demandés, le CIFAS livrera, le 29 avril, environ une
tonne et demie de papier !
La lecture et l'évaluation des propositions constituent une lourde
tâche pour le secrétariat exécutif, et ce n'est que
le 11 octobre 1968 qu'est annoncée la décision en faveur
du CIFAS. C'est là que commence la phase la plus difficile du programme,
la «symétrisation».
La «symétrisation»
Conformément aux clauses de l'appel d'offres, les électroniciens
français du consortium gagnant CIFAS, Thomson-CSF et SAT, doivent
partager l'électronique du satellite à parts égales
avec les électroniciens allemands Siemens et AEG-Telefunken, membres
du consortium perdant Symcosat.
Thomson et CSF savent, depuis le début, qu'il faudra partager
l'électronique avec leurs homologues allemands, mais ils considèrent
que, vainqueurs de la compétition, un rôle de chef de file
des électroniciens doit leur être reconnu. Ce rôle est
continuellement contesté, car le client demande au CIFAS d'adopter
le schéma des répéteurs de télécommunications
proposé par Symcosat, qu'il juge techniquement meilleur et plus
fiable.
À la suite de la fusion de Thomson et de CSF, les activités
spatiales de Gennevilliers et de Corbeville sont rattachées, puis
transférées, à la Division des Matériels Aérospatiaux
(MAS) dirigée par Louis Julien-Binard à Vélizy ; c'est
cette unité qui est chargée de négocier la symétrisation.
Pour affirmer l'importance de l'électronique dans le projet, et
le rôle prépondérant que la société entend
y jouer, Guy Leconte est détaché auprès du CIFAS en
tant que représentant de Thomson-CSF, chef de file des électroniciens.
Symphonie est un projet européen aux implications politiques
considérables ; c'est pourquoi la négociation est conduite
par Vladimir Altovsky, Directeur des activités spatiales de Thomson-CSF.
Les discussions portent essentiellement sur trois points :
- la conception des répéteurs de télécommunications
;
- une répartition équitable de l'électronique ;
- la reconnaissance du leadership de Thomson-CSF dans la conduite du
projet.
La conception des répéteurs proposés par Siemens
se révèle effectivement très astucieuse car un seul
oscillateur à quartz permet de réaliser les deux transpositions
de fréquence de réception et d'émission. On obtient
ainsi une stabilité optimale de la fréquence d'émission.
En outre, la fiabilité des répéteurs peut se trouver
sensiblement améliorée en doublant l'oscillateur local, et
ce au prix d'une augmentation minime de la masse du satellite.
Thomson-CSF admet assez facilement ce point de vue et, s'agissant de
fiabilité, préfère porter ses critiques sur l'utilisation
de diodes tunnel. Ces composants, que Siemens a choisis pour réaliser
les préamplificateurs du répéteur, ont en effet donné
lieu à des pannes sur un précédent programme Intelsat
et c'est pourquoi Thomson-CSF propose des amplificateurs paramétriques
n'utilisant que des composants dont la fiabilité est établie.
Après enquête, il apparaît que la fiabilité des
diodes tunnel ne devrait pas poser de problème en orbite si toutes
les précautions sont prises lors de leurs manipulations au sol.
Une répartition équitable de l'électronique entre
les industriels français et allemands implique d'abord, à
leurs yeux, un partage équitable de la charge utile du satellite
constituée par les répéteurs et les antennes de télécommunications.
Entre Thomson-CSF et AEG-Telefunken, tous deux candidats à la fourniture
des tubes à ondes progressives d'émission, la compétition
est particulièrement acharnée. Les deux industriels sont
également qualifiés et motivés pour fournir ces tubes,
mais la faible quantité nécessaire ne permet pas de partager
la fourniture entre eux. C'est grâce à l'appui de l'Administration
allemande, qui en a déjà financé une maquette, qu'AEG-Telefunken
réalise les tubes délivrant 13 watts à 4 GHz et leurs
alimentations.
Dans la charge utile, Thomson-CSF (MAS) obtient les antennes d'émission
et l'antenne de réception confiées à l'équipe
de Bruno Vidal Saint-André, ainsi que l'oscillateur local et le
convertisseur d'émission qui sont développés à
Vélizy sous la responsabilité de Marcel Palazo, avec le concours
de la Division Faisceaux Hertziens à Levallois pour les études.
Siemens a la responsabilité de l'ensemble répéteurs
et réalise notamment les préamplificateurs à diodes
tunnel, les convertisseurs de réception et les amplificateurs à
fréquence intermédiaire.
Thomson-CSF obtient également la responsabilité de l'ensemble
de télémesure-télécommande, antennes VHF comprises.
L'équipe de Roland Gosmand réalise l'émetteur de télémesure
ainsi que le récepteur et le décodeur de télécommande.
Le codeur de télémesure est réalisé par la
SAT, membre du CIFAS.
Durant toute la phase de symétrisation, Thomson-CSF manifeste
sa volonté de jouer un rôle particulier dans la conduite du
projet car, l'électronique embarquée représentant
généralement plus de la moitié du coût du satellite,
son objectif est d'assurer, à terme, des maîtrises d'oeuvre
d'ensembles. Cette position de Thomson-CSF suscite une vive opposition
de la part des industriels allemands, notamment de Telefunken. De ce fait,
les discussions sont longues et difficiles, plusieurs fois proches de la
rupture.
Finalement, Thomson-CSF obtient le poste d'adjoint au chef de projet,
responsable de l'électronique, mais son rôle de chef de file
des électroniciens ne sera jamais véritablement reconnu.
Toutes ces négociations modifient profondément le projet
de satellite et il apparaît nécessaire de le redéfinir
en détail avant de présenter une proposition définitive
au client.
Une phase de définition du projet commence, conduite par le groupe
de projet CIFAS dont les effectifs se mettent progressivement en place
dans les locaux de la SNIAS aux Mureaux.
La phase de définition du projet (PDP)
C'est en mars 1969 que commence, au titre d'un premier contrat,
la phase de définition du projet. Au cours de la période
de symétrisation, le CIFAS a commencé à constituer
son groupe de projet chargé d'assurer la maîtrise d'oeuvre,
qui doit s'installer aux Mureaux. Il est dirigé de bout en bout
par Pierre Madon de Nord-Aviation puis d'Aérospatiale, assisté
de Kuno Schneider de MBB, qui représente l'industrie allemande,
et de Guy Leconte, de Thomson-CSF, qui voit ainsi reconnue sa position
de «chef de file des électroniciens». En 1971, Guy Leconte
sera remplacé par Jacques Dussine.
L'imposant effectif de ce groupe, qui atteint une centaine de personnes,
a été calculé en fonction de celui mis en place par
les administrations clientes de manière à fournir à
ces dernières un nombre suffisant d'interlocuteurs. La plupart de
ses membres sont des ingénieurs. Sa composition est établie
de manière à satisfaire l'équilibre 50-50 entre la
France et l'Allemagne, et à assurer un dosage convenable et acceptable
par tous entre les sociétés membres du CIFAS.
L'effectif fourni par Thomson-CSF varie entre quinze et vingt ingénieurs
au cours de la vie du programme. Réunir cet effectif dans des délais
relativement brefs n'est pas particulièrement aisé, et la
Division MRA doit faire appel à du personnel volontaire d'autres
divisions.
Un certain nombre de préliminaires contribuent à ralentir
le travail. Par exemple, un choix doit être fait entre les normes
françaises et les normes allemandes pour les composants. Il faut
également faire un compromis entre les règles de qualité
du GFW et celles du CNES.
Selon un des paragraphes des spécifications imposées initialement
par les clients, tout matériel de vol tombant en panne au cours
de ses essais doit être mis au rebut, toute réparation étant
interdite comme devant «nuire gravement à la fiabilité
de ce matériel». Il apparaît bien évidemment
par la suite que ce type d'exigence, bien que marquant un indiscutable
souci d'assurer une excellente qualité, est entièrement irréaliste,
et les responsables de la qualité continuent de rédiger et
de mettre au point des procédures de réparation comme dans
les autres projets.
Vers le milieu de 1970, le travail d'avant-projet qui aboutit à
l'établissement des spécifications des matériels et
des devis correspondants est suffisamment avancé pour permettre
la remise au client d'une proposition couvrant la réalisation des
satellites.
La remise de la proposition de prix provoque une réaction «explosive»
au CNES et au GFW. Les prix sont considérés comme beaucoup
trop élevés et le programme risque, de ce fait, de ne pas
avoir lieu. Il faut bien constater qu'un souci probablement excessif de
perfection dans un premier programme de satellite de télécommunications
européen et surtout «non américain» a, des deux
côtés, clients et industriels, provoqué une inflation
d'exigences et de précautions.
L'affaire des prix remonte d'abord jusqu'aux plus hauts niveaux de la
hiérarchie des administrations clientes et des industriels concernés,
puis on s'assoit à une table de négociations où, peu
à peu, le réalisme reprend le dessus. Le Département
ESA ayant été créé entre-temps, c'est Guy Muzard
qui supporte le poids principal de ces négociations.
Durant les phases de symétrisation et de redéfinition
du projet, une évolution sensible de la parité franc-mark
a déséquilibré financièrement le partage obtenu
si difficilement quelques mois plus tôt.
La négociation financière ne remet pas en cause le partage
mais elle fait apparaître que, pour le premier projet européen
de cette nature, de grosses marges pour aléas ont été
prises à tous les niveaux.
Finalement, la plupart des provisions pour risques sont regroupées
en deux fonds de réserve qui doivent être gérés
:
- par le groupe de projet client, pour le système ;
- par le groupe de projet CIFAS, pour les sous-systèmes.
Ces dispositions traduisent en fait l'absence d'un véritable
maître d'oeuvre qui accepterait d'assumer tous les risques financiers
du projet.
En décembre 1970, le contrat entre l'organisme exécutif
franco-allemand et le CIFAS est enfin prêt à être signé.
La part de Thomson-CSF, qui couvre la TM-TC, l'oscillateur local des répéteurs,
le mélangeur d'émission, les antennes hyperfréquences,
les deux remorques d'essais du satellite, ainsi que la participation au
groupe de projet et à l'intégration, représente environ
80 millions de francs.
Dans ce total, les prix des fournitures de matériels sont établis
sur une base forfaitaire alors que la partie concernant la participation
au groupe de projet est une estimation, cette partie étant payée
en «dépenses contrôlées». Le montant total
du contrat s'élève à 400 millions de francs et 320
millions de deutsche Mark.
Les juristes sont également très occupés durant
la préparation de ce contrat qui, en raison de la domiciliation
du CIFAS, doit être de droit français. C'est la source de
nombreuses difficultés avec les industriels allemands, peu familiers
avec la réglementation française des marchés de l'État.
Il n'est pas possible, par exemple, d'arriver, pour les révisions
de prix, à une formule homogène pour la partie française
et la partie allemande. L'une des originalités du contrat est la
création d'un fonds de réserve destiné à couvrir
le prix d'éventuelles modifications rendues nécessaires par
des amendements aux spécifications des matériels, à
l'exclusion, bien entendu, de celles demandées par le client.
Du côté des industriels, on souhaite vivement que le contrat
soit signé par toutes les parties et notifié avant la fin
de l'année 1970. D'après certaines informations, le représentant
de l'Administration allemande habilité pour signer doit s'absenter
entre Noël et le Jour de l'an. Il faut donc faire vite.
Du côté du CIFAS, dont la composition a été
finalisée après la symétrisation, six signatures sont
nécessaires : l'Aérospatiale, la SAT, Thomson-CSF, MBB, AEG-Telefunken
et Siemens. Rendez-vous est pris à Munich le 21 décembre
chez Siemens. Le téléphone ayant abondamment fonctionné
la semaine précédente, afin de préciser et mettre
au point les dernières virgules, on pourrait penser que la signature
est une simple formalité. Cet optimisme s'avère en fait exagéré.
Le premier problème est causé par les conditions climatiques.
Les 18 et 19 décembre, les aéroports parisiens sont fermés
à cause du brouillard, et il devient incertain pour les Français
de pouvoir se rendre à Munich. Par précaution, le chef de
projet, Pierre Madon, accompagné d'un membre du groupe de projet,
prend le train le 20 décembre avec le lourd fardeau que constituent
tous les exemplaires du contrat. La situation atmosphérique semblant
s'améliorer, les autres représentants prennent finalement
l'avion le 21 au matin.
La séance est ouverte à 10 heures et, immédiatement,
les représentants allemands déclarent qu'ils ne peuvent signer
le contrat avant d'avoir reçu des éclaircissements sur certains
points juridiques. Le président de séance, Pierre Usunier,
administrateur-gérant du CIFAS, donne quelques explications à
la suite desquelles ses interlocuteurs demandent une suspension de séance
pour consulter, par téléphone, leurs juristes.
Il faut, à ce point, signaler que les réunions du Conseil
du CIFAS se tiennent en deux langues, français et allemand, avec
interprétation simultanée, ce qui, malgré le talent
indiscutable du traducteur, n'est pas sans provoquer quelques malentendus.
Le cycle explications-malentendus-suspensions de séance se poursuit
toute la journée, même pendant la période des sandwiches
qui sont servis pour le déjeuner, puis, quasi miraculeusement, peu
après 17 heures, tout le monde est d'accord pour signer et, une
heure plus tard, la séance est levée au soulagement général.
Malheureusement, le signataire de l'Administration allemande est parti
en vacances quelques jours plus tôt que prévu et le contrat
n'est notifié aux industriels que le 15 janvier 1971.
Le plus dur reste à faire ; c'est maintenant aux ingénieurs,
techniciens et ouvriers de faire du programme un succès.
La phase de réalisation
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Symphonie B en phase finale d'assemblage
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Au début de 1971, tous les acteurs du programme Symphonie
à Thomson-CSF, tout au moins pour la partie «satellite»,
se trouvent rassemblés au Département ESA à Vélizy.
Seule l'étude, jusqu'au stade maquette, de l'oscillateur local des
répéteurs et du mélangeur d'émission doit se
dérouler à Levallois.
Il faut s'organiser pour assurer la liaison avec le groupe de projet
du CIFAS. À cet effet, Roger Durand est nommé chef de projet
avec pour mission, côté interne, de coordonner toutes les
actions de Thomson-CSF dans les répéteurs, antennes et TM-TC,
ainsi que les intégrations qui doivent suivre, et, côté
externe, d'assurer la liaison indiquée ci-dessus.
La tutelle pointilleuse du groupe de projet du client, composé
d'une cinquantaine de personnes, ainsi que l'obligation de fournir tous
les documents en deux langues, alourdissent considérablement la
gestion du programme qui, néanmoins, se déroule dans des
conditions techniques et financières satisfaisantes.
La TM-TC
L'ex-Service NF de Gennevilliers, qui a rédigé la
proposition pour le sous-système TM-TC sous la direction de Roland
Gosmand, a été transféré à Vélizy
au début de 1970 et a pris le nom de Service ES (Électronique
Spatiale).
Il doit être responsable de l'ensemble du sous-système
TM-TC et bénéficie pour cela de l'expérience récemment
acquise dans le programme HEOS.
Le sous-système comprend les matériels suivants :
- récepteurs VHF de télécommande ;
- émetteurs VHF de télémesure ;
- duplexeur VHF ;
- décodeur de télécommande ;
- codeur de télémesures ;
- antenne VHF d'émission-réception.
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Récepteur de télécommande
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Emetteur de télémesure
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Certains de ces matériels ont une complexité très
supérieure à celle des premiers satellites Diamant.
Le décodeur de télécommande doit traiter 123 ordres
«tout ou rien» et 17 ordres de téléaffichage
de 8 bits, alors que le codeur de télémesures doit émettre
198 paramètres à 8 bits par seconde et 24 paramètres
à 64 bits par seconde. Ce codeur est sous-traité à
la SAT alors que les antennes VHF sont sous-traitées à la
Starec. Pour gérer l'ensemble du programme, coordonner les actions
internes et externes et assurer la liaison avec les responsables de la
TM-TC au groupe de projet CIFAS, un chef de projet TM-TC est nommé
: Jean de La Rochefoucauld.
Les mêmes technologies que pour HEOS sont utilisées.
Les parties radiofréquences sont construites en circuits localisés
à base de transistors. Le décodeur à tons codés
est assemblé en modules cordwood. Le développement ne pose
pas de problème particulier mais un sérieux problème
de fabrication mérite d'être mentionné. Les responsables
de l'atelier de câblage chercheront pendant de longues semaines pourquoi
les circuits intégrés du premier décodeur de télécommande
sont parfois endommagés et rendus inutilisables pendant les opérations
de regroupement des différents modules.
Toutes les installations de câblage et d'essais de la salle blanche
seront «passées au peigne fin» et l'on finira par découvrir
que les dégâts sont causés par les régimes transitoires
créés par la commutation des thermostats des fers à
souder.
Il faudra revenir en arrière sur ce que l'on avait pensé
être une amélioration du procédé de fabrication.
Les thermostats seront supprimés et il n'y aura plus aucun problème.
Le décodeur en question, convenablement réparé,
mais toujours refusé par le client qui craint une détérioration
de sa fiabilité, prouvera par la suite, au cours d'essais de vieillissement
accéléré, qu'il aurait été capable d'assurer
sans défaillance la mission d'un modèle de vol.
Les antennes hyperfréquences
Les spécifications initiales de l'appel d'offres prévoient
pour le sous-système antennes les couvertures suivantes :
- en réception, couverture globale avec une ouverture de faisceau
de 18° ;
- en émission, trois couvertures différentes, une couverture
globale (18°), une couverture dite eurafricaine (10,5°), et une
couverture fine dite Antilles-Guyane (4°).
Durant
la PDP, le pinceau fin de 4° est abandonné et la version finale
du sous-système antennes comprend :
- un cornet de réception ayant une couverture globale ;
- deux antennes d'émission pratiquement identiques avec une ouverture
elliptique de 14,4° x 9,3°, et destinées à couvrir
d'une part l'Europe et l'Afrique, jusqu'à Madagascar et la Réunion,
et d'autre part l'Amérique du Sud, l'Amérique centrale, dont
les Antilles et la Guyane, et la partie orientale de l'Amérique
du Nord.
L'étude se déroule sans incident majeur si l'on excepte
quelques dérogations obtenues pour des déviations mineures
du gain (0,5 dB) en quelques points très restreints de la limite
de couverture. C'est au cours d'une discussion mémorable, poursuivie
en présence de la Direction du Département jusque vers 2
heures du matin, qu'est décidée et préparée
la demande de dérogation.
Les deux antennes d'émission sont identiques, composées
chacune d'un cornet rectangulaire illuminant un miroir parabolique de forme
approximativement elliptique, le tout fonctionnant à 4 GHz en polarisation
circulaire gauche. Le gain est supérieur à 19,5° dans
toute la zone de couverture. La fabrication des réflecteurs est
sous-traitée à l'Aérospatiale. L'antenne de réception
est un cornet conique fonctionnant à 6 GHz en polarisation circulaire
droite, avec une ouverture de faisceau de 18° et un gain supérieur
à 16 dB en bordure de couverture.
Les répéteurs
L'étude
des matériels des répéteurs n'est pas a priori
sans poser quelques problèmes. Ceux que Thomson-CSF doit réaliser
ne sont pas exactement ceux qu'il a conçus dans sa proposition initiale.
En effet, pour des raisons n'ayant que peu de rapport avec la technique,
le résultat de la symétrisation a été le choix
du schéma de répéteurs proposé par Siemens.
Les répéteurs, d'une bande passante de 90 MHz chacun,
doivent fonctionner en bande C (réception à 6 GHz, émission
à 4 GHz). Ils sont au nombre de deux, ce qui ne signifie pas une
redondance car chacun est réglé sur une fréquence
centrale différente. Afin d'avoir un oscillateur local commun, on
a utilisé un schéma de double conversion, les fréquences
intermédiaires étant choisies afin de permettre l'utilisation
d'une seule fréquence d'oscillateur local à la réception,
ainsi qu'une seule fréquence à l'émission.
Un autre problème potentiel, interne cette fois, est dû
à l'éloignement des équipes chargées respectivement
de l'étude (Levallois) et de la réalisation (Vélizy),
et au fait que ces équipes, issues de deux sociétés
qui viennent juste de fusionner, doivent d'abord apprendre à se
connaître et à homogénéiser leurs méthodes
de travail.
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Oscillateur locat des répéteurs
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Finalement, malgré, et parfois à l'aide d'explications
qu'un langage diplomatique qualifierait de «franches», la séquence
études-fabrication-essais se déroule sans incident majeur,
aussi bien pour les oscillateurs locaux que pour les mélangeurs
d'émission qui représentent la part de Thomson-CSF.
Le problème technique le plus ardu à résoudre est
celui de la stabilité de l'oscillateur pilote. Craignant la fiabilité
insuffisante des thermostats, il a été décidé
de ne pas loger cet oscillateur dans une enceinte thermostatée.
Le choix s'est porté sur l'introduction dans les circuits d'un jeu
de thermistances aux coefficients de température judicieusement
choisis. La difficulté de la mise au point justifie l'intervention
personnelle du Directeur Technique de DFH, Philippe Magne, qui consacre
quelques longues soirées au problème, finalement résolu
avec succès.
L'intégration des répéteurs est exécutée
par une équipe mixte Thomson-CSF/Siemens, pour moitié à
Munich et pour moitié à Vélizy, toujours pour satisfaire
un parfait équilibre franco-allemand. Michel Romain et Robert Hagenbucher
participent à ces opérations pour Thomson-CSF.
Il en est de même pour l'intégration des satellites, exécutée
pour moitié aux Mureaux (MV1) par une même équipe franco-allemande
du groupe de projet du CIFAS. Philippe Gsell et Jean-Pierre Jullien y représentent
Thomson-CSF.
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Photos Ph. Gsell - Crédit MBB
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Depuis la passation du contrat final, il est devenu évident que
l'objectif initial d'avoir au moins l'un des modèles de vol en orbite
pour retransmettre les images des Jeux olympiques de Munich en 1972 ne
pourra être tenu. Un lancement en 1973 paraît possible. Les
prévisions sont le premier et le deuxième trimestres de 1973,
respectivement pour chacun des modèles de vol. Mais c'est compter
sans les malheurs de la fusée Europa II.
Les lancements
À
la fin de 1972, le développement des satellites
est pratiquement terminé, mais il manque un senseur
infrarouge qui devait initialement être acheté
aux États-Unis, mais dont le gouvernement a interdit
la livraison en Europe. Il faut donc le faire développer
en France par la société Sodern, ce qui
prend du temps, et l'intégration du prototype de
Symphonie n'est vraiment terminée qu'en
novembre 1973.
La fusée Europa II va de défaillance en défaillance
dans ses tirs d'essais, et, à la suite de l'échec du premier
tir en Guyane, le 5 novembre 1971, et de la décision d'arrêt
du programme le 1er mai 1973, il faut rechercher un autre lanceur
pour Symphonie. La solution évidente sur le plan technique
est la fusée américaine Thor-Delta. Or, dans l'accord
créant l'organisation Intelsat, dont la France et l'Allemagne sont
membres, il est spécifié qu'aucun des pays membres ne peut
utiliser de satellites de télécommunications autres que ceux
d'Intelsat à des fins commerciales sans l'autorisation de cette
organisation.
Le gouvernement des États-Unis fait état de cette clause
pour refuser le lancement par une fusée américaine. Il faudra
un an d'âpres discussions pour que ce lancement soit accepté
à condition d'utiliser Symphonie à des fins purement
expérimentales. Plusieurs mois seront encore nécessaires
pour modifier les satellites en vue de les adapter au nouveau lanceur.
Enfin, après quelques péripéties dues entre autres
à un problème de valve de remplissage sur le lanceur et à
un violent orage, qui firent retarder le lancement de vingt-quatre heures,
Symphonie
A est mis en orbite le 19 décembre 1974 à 21 h 39 (heure
locale) à partir du centre de Cap Canaveral. Toutes les opérations
suivant le lancement : mise en marche du moteur d'apogée, largage
du yo-yo, déploiement des panneaux solaires, mise en marge du système
de stabilisation sur trois axes, et dérive jusqu'à la position
finale à 11,5° ouest sont couronnées de succès.
Il faut bien admettre que le premier satellite géostationnaire
stabilisé sur trois axes est en place, et que le premier moteur
d'apogée biliquide a correctement fonctionné. Malgré
cela, quelques esprits chagrins expriment des doutes sur la durée
de ce succès, estimant qu'il ne s'agit que d'un heureux hasard,
l'Europe n'étant pas, pour eux et par définition, capable
de reproduire un tel succès. Un incident survenu quelques jours
après le lancement sera sur le point de leur donner raison.
La panne de l'oscillateur local
Environ une semaine après le lancement, alors que les répéteurs
ont été mis sous tension et que l'on procède sur eux
à divers essais, l'oscillateur local qui est en service cesse de
fonctionner. Heureusement, cet équipement est redondant (le seul
dans les répéteurs) et l'on met en marche le second oscillateur.
Lorsqu'on essaye de remettre en marche le premier, il a d'abord un fonctionnement
intermittent puis cesse définitivement de fonctionner le 29 décembre.
La mission du satellite n'en est nullement affectée, comme nous
le verrons plus loin.
Néanmoins, une large publicité est faite à l'incident,
qui est, par exemple, relaté dans une revue spécialisée
qui y consacre pas moins de huit articles différents parus au cours
de l'année 1975.
À Vélizy, on accorde bien entendu une grande importance
à cette première panne d'un matériel en orbite fourni
par la société.
Le second modèle de vol doit être lancé quelques
mois plus tard et il est impensable de procéder à ce lancement
avant d'avoir élucidé la cause de la panne et effectué
les modifications qui pourraient s'avérer nécessaires.
Les enregistrements des télémesures sont examinés
avec la plus grande attention et l'on finit par constater la coïncidence
de l'arrêt de l'oscillateur et d'une variation très faible
(2 bits) du courant dans le circuit pilote.
Les ingénieurs et techniciens du Service Hyperfréquences
entreprennent donc, en utilisant le modèle d'identification de l'oscillateur,
de simuler toutes les pannes possibles en cherchant laquelle ou lesquelles
sont à l'origine de cette variation de courant. Ils sont assez heureux
pour constater qu'une seule panne provoque ce phénomène d'une
manière suffisamment reproductible. C'est la coupure d'un certain
sensistor, utilisé pour la stabilisation de la fréquence
en fonction de la température, qui est la cause la plus probable,
bien qu'il soit impossible d'en avoir la parfaite certitude.
Il faut maintenant déterminer pourquoi ce sensistor s'est «coupé».
Il reste une quantité suffisante de sensistors du même lot
pour que l'on puisse faire subir à un échantillonnage d'entre
eux un maximum «d'outrages» conformes aux essais de qualification
: vibrations, cycles thermiques, vieillissement accéléré.
Après plusieurs mois, aucun défaut systématique n'ayant
pu être découvert, on en déduit que la panne constituait
un phénomène strictement aléatoire, et il est décidé,
tout en renforçant les contrôles sur ce type de composant,
de n'effectuer aucune modification sur les oscillateurs locaux destinés
au second modèle de vol.
Cette décision est certainement bonne puisque aussi bien les
oscillateurs de Symphonie B que le «survivant» de Symphonie
A fonctionneront sans aucune défaillance pendant environ neuf
ans chacun, jusqu'au moment où il sera décidé de faire
quitter aux satellites l'orbite géostationnaire et d'interrompre
le fonctionnement des répéteurs.
Les utilisations de Symphonie
Il
n'est pas dans notre propos de décrire en détail les nombreuses
utilisations de ces satellites expérimentaux. Après le lancement
de Symphonie A, la première transmission de signaux de télévision
a lieu à l'occasion du sommet franco-allemand célébrant,
le 22 janvier 1975, le douzième anniversaire de l'accord franco-allemand
de 1963 où le président français Valéry Giscard
d'Estaing et le chancelier allemand Helmut Schmidt ont eu un entretien
télévisé viaSymphonie.
Outre la France et l'Allemagne, de nombreux pays sont demandeurs de
l'utilisation de Symphonie, en particulier pour des expériences
de télévision éducative. Symphonie B, lancé
le 26 août 1975, vient renforcer le potentiel d'utilisation que mettent
à profit, notamment, l'Inde, la Chine et divers pays africains.
Des essais de transmissions de données ont également lieu
par-dessus l'océan Atlantique. Au bout de cinq à six ans
pour chacun des satellites, on limite l'utilisation du peu d'ergols qui
restent dans les réservoirs au contrôle d'attitude aux dépens
du maintien en position, ce qui permet de continuer d'accomplir des missions
partiellement dégradées.
Enfin, comme il a été dit, quand les ergols sont
très proches de l'épuisement, leur reliquat est utilisé,
après environ neuf ans de vie, pour éjecter ces satellites
de l'orbite géostationnaire, opération réalisée
pour la première fois au monde afin de laisser la place aux successeurs
sur une orbite dont l'encombrement ne fait que croître.
Les décharges électrostatiques
Sur le plan purement technique, Symphonie est l'un des premiers
satellites géostationnaires où se manifeste un phénomène
qui fera couler beaucoup d'encre avant d'être finalement élucidé.
Quelque temps après la mise en marche de tous les équipements
du satellite, il apparaît que, presque tous les jours et au même
moment de la journée, un ordre de télécommande intempestif
fait basculer le fonctionnement d'un convertisseur d'alimentation sur le
convertisseur de secours. Bien que l'incident soit, en apparence, mineur,
car il suffit d'envoyer l'ordre de télécommande inverse pour
tout remettre en ordre, le fait qu'il se reproduise à peu près
systématiquement est considéré comme inquiétant.
Ce n'est que quelques mois plus tard qu'un début d'explication
est trouvé dans la littérature scientifique américaine.
Il s'agit très vraisemblablement de «claquages» périodiques
du condensateur formé par les couches de mylar aluminisé
qui constituent la «superisolation» thermique du satellite.
Ce condensateur est chargé progressivement par des particules ionisantes
émises par le soleil et un claquage se produit à partir d'une
certaine tension de charge. Le signal de haut niveau induit dans le circuit
de télécommande provoque l'ordre intempestif. Un projet de
satellite américain est en préparation pour étudier
le phénomène. Pour Symphonie, lorsque les claquages
successifs ont provoqué suffisamment de courts-circuits entre les
couches métalliques, les ordres intempestifs finissent par disparaître.
Bien entendu, ce problème sera pris en compte dans les programmes
de satellites suivants et on veillera à ce que le condensateur créé
par la superisolation soit court-circuité au départ.
Les primes
Après l'achèvement du programme, les sociétés
membres du consortium CIFAS décident, d'un commun accord, de distribuer
une prime à tous les membres de leur personnel y ayant participé.
Cette prime est un témoignage de la bonne gestion du projet, malgré
les multiples difficultés qui ont retardé son achèvement.
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