6 - Les programmes de satellites
6.2 - Les satellites de télécommunication
Les premiers satellites géostationnaires
Les relations entre Thomson et Hughes Aircraft débutent bien
avant l'ère spatiale, à l'occasion de programmes militaires.
Lorsque
des représentants de Hughes, à l'occasion du Salon du Bourget
de juin 1961, font à la tour Eiffel une présentation de leur
projet de satellite de télécommunications géostationnaire
expérimental Syncom, qui sera financé par la NASA
à partir de fin 1961, Pierre Chavance et Pierre Deman, respectivement
Directeur et Directeur Technique du Département Télécommunications
de Thomson, sont séduits par cette approche du problème.
Il leur faut, à cette époque, un certain courage pour
faire connaître leur position, car la doctrine officielle de l'Administration
de tutelle dans ce domaine est en faveur des satellites à défilement
et exprime de sérieux doutes sur l'avenir opérationnel des
satellites géostationnaires.
Sous l'impulsion de Pierre Chavance, les relations entre Thomson et
Hughes se nouent progressivement, à partir de 1963, en particulier
avec Fred Adler, Directeur de la «Space Systems Division»,
et son ingénieur en chef Harold Rosen, ardent promoteur du programme
Syncom.
Jacques Chaumeron, alors au Bureau des Activités Spatiales, participe
aux premiers contacts qui seront suivis d'autres auxquels prendront part
Pierre Deman, Pierre Gautier et Claude Michaud.
Après les succès des Syncom, la Comsat, organisation
gouvernementale américaine nouvellement créée, commande
à Hughes le premier satellite expérimental opérationnel
baptisé Early Bird, qui est lancé le 6 avril 1965.
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Série des satellites Intelsat réalisés
par Hughes Aircraft Company. De droite à gauche: Intelsat I,
Intelsat II, Intelsat IV, Intelsat VI. Alcatel Espace a participé
à tous sauf à Intelsat I. |
Intelsat II
Entre-temps,
l'organisation internationale Intelsat a été créée.
Son accord préliminaire de constitution, signé par onze pays,
dont la France, est entré en vigueur le 20 août 1964. Intelsat
décide, dès son entrée en fonctionnement, de commander
quatre satellites géostationnaires destinés à créer
l'embryon de son réseau mondial.
C'est à Hughes Aircraft, dont l'avance technique est évidente,
qu'est tout naturellement attribué le marché.
Les pays membres d'Intelsat, qui possèdent déjà
une industrie spatiale naissante, demandent que les satellites, baptisés
Intelsat
II, ne soient pas exclusivement de fabrication américaine. C'est
là que Jean Voge, membre de la délégation française
désignée par l'administration des PTT auprès d'Intelsat,
a une action déterminante.
Hughes est invité à sous-traiter une partie de la fabrication
des satellites dans divers pays membres. Thomson, grâce à
ses relations anciennes avec Hughes, se trouve bien placée pour
obtenir la part française de la sous-traitance.
Ne souhaitant pas prendre trop de risques, Hughes se borne à
sous-traiter des fabrications sur plans de matériels dont il a fait
lui-même l'étude.
Thomson est chargée de la fabrication sur plans, de la mise au
point et des essais des émetteurs de télémesure VHF
du premier et du troisième satellites : les Intelsat IIA
et IIC.
Ce travail est effectué à Gennevilliers par le Service
NF dirigé par Roland Gosmand, l'ingénieur responsable étant
Jean-Paul Sigwald. La fabrication se déroule au cours des années
1964 et 1965, et les satellites sont lancés respectivement le 11
janvier et le 22 mars 1967. La technologie de fabrication est classique
pour l'époque : transistors et circuits localisés.
Intelsat III
Le programme Intelsat III qui suit ne donne lieu à
aucune participation de Thomson ni de CSF. Les marchés concernant
ces satellites sont attribués, à partir de 1966, par Intelsat
à la société américaine TRW dont le fournisseur
français est MATRA dans des domaines autres que celui des télécommunications
de servitude, terme fréquemment utilisé pour désigner
la télémesure et la télécommande.
Intelsat IV, «les grandes manoeuvres»
En
1968, à la suite d'une compétition dont les deux concurrents
finals sont Hughes et Lockheed, l'organisation passe à Hughes un
marché pour quatre satellites de la nouvelle série, baptisée
Intelsat
IV, avec une option pour quatre autres.
Les «grandes manoeuvres» pour la participation à ce
programme ont commencé en 1967. Bien que la décision de fusion
entre Thomson (groupe électronique) et CSF ait été
prise en septembre 1967, les deux compagnies ont continué de s'intéresser
au programme Intelsat IV via leurs partenaires respectifs, c'est-à-dire
Hughes pour Thomson et Lockheed pour CSF.
Des deux côtés, la tactique consiste à faire miroiter
au maître d'oeuvre américain le soutien éventuel de
la délégation française à Intelsat au cours
du vote final, à condition que la proposition contienne une participation
française substantielle, et de préférence supérieure
à celle contenue dans l'offre concurrente. La même tactique
est utilisée par les industriels britanniques et allemands vis-à-vis
de leurs délégations nationales.
L'appel d'offres est publié par Intelsat le 5 février
1968. À la Division Télécommunications de Thomson,
les premières négociations sont menées avec Hughes
par Pierre Gautier sur le plan commercial et par Pierre Deman et Claude
Michaud sur le plan technique. Elles aboutissent, en avril 1968, à
un MOU (Memorandum Of Understanding) signé, pour Hughes, par R.
Rooney, Directeur adjoint de la «Space Systems Division», et,
pour Thomson, par Jean Menard, Directeur de la Division Télécommunications.
Les fournitures prévues pour Thomson, dans la mesure, bien entendu,
où Hughes gagnerait le marché Intelsat IV, consistent
dans le sous-système complet de télémesure-télécommande,
comprenant les émetteurs de télémesure, les récepteurs
de télécommande en bande C, les décodeurs de télécommande,
les codeurs de télémesures et les antennes pour trois des
quatre satellites. Les matériels étant conçus par
Hughes, il s'agit d'une fabrication sur plans suivie des essais et de la
recette.
Les composants électroniques sont fournis gratuitement par Hughes.
Le montant prévu du marché pour l'ensemble de la fourniture
est de 2 392 000 dollars.
Le détachement éventuel d'ingénieurs et de techniciens
de Thomson chez Hughes, pour une période de formation puis pour
une participation à l'intégration des satellites, fera l'objet
d'une négociation séparée.
Parallèlement aux négociations menées par la Division
Télécommunications pour la fourniture de matériels,
le Bureau des Activités Spatiales du siège, avec Vladimir
Altovsky, tente d'obtenir une augmentation de la participation française
et, en particulier, de celle de Thomson.
Sous la pression de ses trois principaux partenaires européens,
le Britannique British Aircraft (BAC), l'Allemand Telefunken et le Français
Thomson, Hughes a accepté de discuter la possibilité d'intégrer
un ou deux modèles du satellite, ou tout au moins de la plate-forme,
en Europe. On acquiert le principe que sur la première tranche de
quatre satellites, les deux derniers, F3 et F4, seront intégrés
chez BAC à Bristol.
Cependant, BAC ne dispose pas de tous les moyens matériels pour
se charger de la totalité des essais finaux, en particulier les
essais de vibrations et en vide thermique.
De tels moyens d'essais existant ou étant en cours d'installation
au centre de Toulouse du CNES, Vladimir Altovsky propose que, au lieu de
retourner les satellites chez Hughes pour les essais finals, ces derniers
soient effectués à Toulouse avec la participation d'une équipe
européenne dont Thomson ferait partie.
Initialement, Hughes donne un avis favorable à cette proposition,
tout en posant des conditions impératives quant à la disponibilité,
en temps utile, des moyens du CNES.
Ensuite, et après de nombreuses discussions, Hughes estime ne
plus pouvoir mettre en oeuvre cette solution, et les seuls travaux d'intégration
sous-traités en Europe seront l'intégration par BAC à
Bristol des plates-formes de F3 et F4.
Entre-temps, suite à la décision prise en avril 1968 par
Thomson et CSF de regrouper les activités spatiales à la
Division MAS, cette dernière a pris la responsabilité de
l'affaire Intelsat IV, et la suite des négociations avec
Hughes est conduite, outre Vladimir Altovsky du Bureau des Activités
Spatiales, par Louis Julien-Binard, Directeur de la Division, et Yves Laurens,
Directeur Commercial.
Du côté de Lockheed, seul concurrent de Hughes encore en
course, la proposition faite par CSF avant la fusion a été
maintenue.
Les matériels proposés sont les filtres multiplexeurs
d'entrée et de sortie (IMUX et OMUX) dans les répéteurs
de télécommunications en bande C, pour un montant d'environ
1 300 000 dollars.
Le succès éventuel de Lockheed est évidemment moins
intéressant pour la nouvelle compagnie Thomson-CSF mais il est,
par contre, globalement plus intéressant pour la France, et donc
pour la délégation française à Intelsat, car
Lockheed propose d'acheter à la SAT (Société Anonyme
de Télécommunications) les cellules solaires et leur installation
pour un montant proche de 5 millions de dollars.
Le «lobbying» de Thomson-CSF se développe dans deux
directions pour tenter d'obtenir un vote de la délégation
française favorable à Hughes ; il s'agit de :
- démontrer que la nature des matériels qui doivent être
fabriqués par Thomson-CSF pour Hughes représente la meilleure
occasion pour former l'industrie française à la réalisation
de matériels électroniques spatiaux ;
- tenter d'obtenir de Hughes qu'il approvisionne au moins une partie
des cellules solaires de ses satellites à partir de la SAT afin
de relever le montant financier de la part française.
En juillet 1968, se tient la réunion des «gouverneurs»
d'Intelsat au cours de laquelle doit être choisi l'industriel avec
lequel l'organisation entrera en négociation pour le contrat de
fourniture des Intelsat IV.
Préalablement, le «gouverneur» français, Jean
Voge, est invité à rendre visite aux deux industriels concurrents.
Jacques Chaumeron est dépêché à El Segundo pour
assister à sa visite chez Hughes et pour continuer ensuite le «lobbying»
à Washington autour de la réunion des «gouverneurs».
Enfin, le 12 juillet 1968, la décision est prise d'entrer en
négociation avec Hughes. Le programme Intelsat IV peut démarrer.
Le déroulement du programme
Pour Thomson-CSF, si l'on excepte les négociations finales
qui aboutiront aux contrats de sous-traitance, le travail industriel commence
en 1969 sous trois formes différentes.
1-
Le détachement chez Hughes de dix-sept ingénieurs et techniciens
pour participer à la définition des matériels et recevoir
une formation afin de s'assurer que les prestations et fournitures de Thomson-CSF
soient en conformité avec les normes définies par Hughes.
Les séjours individuels durent, pour la plupart, environ deux
à trois mois chacun, et couvrent l'ensemble des spécialités
nécessaires (études, technologie, fabrication, essais, assurance
de qualité).
On peut voir sur une photo, auprès d'une maquette d'Intelsat
IV, l'ensemble des participants à ces stages, qui représentent
le début d'une formation qui, tout au long du programme, permet
à l'ensemble du personnel du Département Espace-Satellites
d'acquérir les connaissances et expérience nécessaires
à son succès dans les programmes ultérieurs.
Deux des ingénieurs du groupe, Guy Bertaud et Jean Guillemin,
voient leur mission prolongée et restent en fait à El Segundo
de février 1969 à septembre 1970.
Guy Bertaud participe à l'étude mécanique des structures
jusqu'aux essais du prototype de qualification. Jean Guillemin participe,
dans les mêmes conditions, aux études des sous-systèmes
électroniques.
|
L'équipe de la division MAS détachée chez Hughes
Aircraft en 1969 pour Intelsat IV, avec Albert T. Owens, Program Manager
de Hughes Aircraft Company (1).
De Thomson-CSF au premier plan Guy Bertaud (2), Gérard Gourgon
(3), Marcel Olivier (4), Jean-Paul Sigwald (5), Jean Gilet (6),
au 2ème plan Guy Courregelongue (7), Jean Guillemin (8), Bruno
Koenig (9), Jean-Louis Gautier (10),
au dernier plan Michel Charrier (11), Jean Seigeot (12), Jean Angot
(13), Eric Botterling (14), Christian Martin (15) et Gilbert Hamart (16).
Et Gérard Beghin, Claude Dupont et Marcel Moreau. |
2- Le détachement de longue durée (quinze à dix-huit
mois) de quatre ingénieurs qui participent aux activités
d'intégration des modèles de vol à partir de mai 1970.
Leurs affectations sont les suivantes :
- Georges Blondin participe au développement des matériels
d'essais ;
- Jean-Marie Fourquet est affecté à l'une des équipes
(«shift») chargée, au rythme des 3 x 8 heures, de l'intégration
du modèle de vol F4 ;
- Gilles Griffon du Bellay est affecté à l'équipe
qui apporte son support aux différentes équipes d'intégration
pour les essais des charges utiles de télécommunications
;
- Jean-Claude Héraud participe d'abord à l'intégration
du modèle de vol F2 avant de se voir confier la responsabilité
d'un «shift», qu'il assurera de bout en bout, pour l'intégration
du modèle F3.
À l'exception de Gilles Griffon du Bellay qui, pour des raisons
personnelles, a décidé de rester en Californie, les autres
ingénieurs reviennent au Département Espace-Satellites à
l'automne de 1971 avec une formation et une expérience qui apportent
beaucoup au Département, ainsi qu'à eux-mêmes pour
la suite de leur carrière.
À ce sujet, une anecdote mérite d'être mentionnée,
qui témoigne de la qualité du travail fourni par ces ingénieurs
et de l'excellent souvenir que certains d'entre eux ont laissé chez
Hughes. En 1972, pendant l'intégration des quatre modèles
suivants d'Intelsat IV, Hughes a quelques problèmes de tenue
de délais et décide d'augmenter momentanément ses
effectifs d'intégration. C'est alors que Bill Murray, responsable
de cette activité chez Hughes, demande à la Direction du
Département ESA s'il lui serait possible de détacher à
nouveau pour quelque temps Jean-Marie Fourquet, Jean-Claude Héraud,
ou les deux. Malheureusement, les besoins opérationnels de l'époque
ne permettent pas de donner suite à cette demande, d'autant que,
pour des raisons tant familiales que personnelles, les intéressés,
très honorés par cette demande, ne souhaitent pas s'expatrier
à nouveau pour un travail qu'ils ont jugé particulièrement
épuisant.
Il convient enfin de noter que Gilles Griffon du Bellay, resté
en Californie, obtient, environ une année plus tard, un poste à
la «Space and Communications Division» de Hughes où
il poursuivra une brillante carrière.
3- La fabrication et les essais pour trois des quatre modèles
de vol de la première tranche du sous-système complet de
télémesure et télécommande en bande C : émetteurs,
récepteurs, codeurs, décodeurs et antennes.
Il s'agit d'une fabrication sur plans de matériels conçus
par Hughes, qui fournit gratuitement les composants haute fiabilité.
Il y aura quelques «alertes composants» déclenchées
par des problèmes de fiabilité détectés chez
Hughes ou chez d'autres sous-traitants. Dans chaque cas, il faudra, selon
des procédures précises et mises en oeuvre avec minutie, ex-traire
les composants présumés défectueux de matériels
qui sont parfois terminés et les remplacer en reprenant, bien entendu,
tous les essais après le remplacement.
Ces travaux de fabrication et d'essais, encadrés par un inspecteur
résident de Hughes, qui se comporte certes comme un inspecteur,
mais aussi comme un professeur, contribuent énormément à
la formation des services techniques et de fabrication du Département
ESA ainsi que de son service «Qualité».
On peut dire, sans exagérer, que le programme Intelsat IV,
où le client direct est un industriel qui non seulement signale
les anomalies mais participe activement à l'élaboration de
leurs solutions, aura été pour la Division MAS puis pour
le Département ESA la meilleure école, dont l'enseignement
aura créé une compétence et un état d'esprit
engageant l'avenir pour la décennie suivante.
Les matériels et leur réalisation
Les satellites Intelsat IV de la première tranche
emportent douze répéteurs en bande C (6/4 GHz) entièrement
redondants et équipés de tubes à ondes progressives
de 7,5 watts.
La masse sèche de chaque satellite est d'environ 500 kilos
pour une masse totale au lancement d'environ 1 500 kilos. Ils sont
stabilisés par la rotation du corps du satellite, la partie supérieure
de ce dernier, contenant entre autres les antennes, étant «despinnée»,
c'est-à-dire asservie à une orientation fixe par rapport
à la Terre.
La participation non américaine pour les répéteurs
de télécommunications est répartie entre Northern
Electric (Canada), AEG-Telefunken (Allemagne) et NEC (Japon). Le sous-traitant
non américain pour les antennes de télécommunications
est Selenia (Italie). Quant à Thomson-CSF, elle est chargée
de fabriquer le sous-système complet de télécommande
et télémesure. Celui-ci fonctionne en bande C, avec par conséquent
des émetteurs à 4 GHz et des récepteurs à 6
GHz dont la technologie est, à l'époque, classique, c'est-à-dire
celle des circuits localisés.
Les antennes, émission et réception, sont constituées
chacune d'un bicône et sont placées sur l'axe de rotation
du satellite, au sommet des antennes de télécommunications,
afin d'assurer un diagramme de rayonnement torique.
|
Codeur de télémesures (despun encoder) d'Intelsat
IV.
Exemple de techologie "MICAM"
|
Les parties digitales du sous-système (codeur et décodeur)
sont réalisées selon une technologie originale baptisée
MICAM et développée par Hughes. Les composants (transistors,
circuits intégrés, résistances, condensateurs) sont
alignés par collage sur des plaquettes d'aluminium de forme allongée
qui portent chacune de cinq à dix composants.
Des pattes de connexions isolées sont fixées sur la face
opposée de chaque plaquette, perpendiculairement à son grand
axe. C'est sur ces pattes que l'on fixe, par soudure électrique,
les connexions des composants en laissant une longueur suffisante pour
que, en cas de nécessité de changement du composant, on puisse
couper la partie soudée, enlever le composant et souder les connexions
de son remplaçant sur la partie restante de la patte. Ce système
permet d'effectuer jusqu'à deux changements successifs du même
composant.
Après alignement des plaquettes dans un boîtier plat, les
connexions entre plaquettes sont effectuées dans un plan qui leur
est perpendiculaire. Le boîtier est ensuite «potté»
et fermé.
Lorsque, à la suite d'une panne en cours d'essais ou d'une «alerte
composants», un remplacement s'avère nécessaire, les
«artistes» du Service Fabrication ouvrent le boîtier,
pratiquent, avec l'équivalent d'une fraise de dentiste, des tranchées
dans le matériau du «potting», afin de pouvoir ensuite
couper les connexions de la plaquette, extraire celle-ci et y remplacer
enfin le composant défectueux.
Le «moniteur de travaux pratiques» pour ce genre d'opération,
tout au moins à leur début, est John Wood, inspecteur résident
de Hughes, qui y fait preuve d'une grande patience associée à
une parfaite courtoisie. Sous l'impulsion de Francis Violet, le Département
ESA fait ensuite évoluer le procédé MICAM en y apportant
des améliorations.
Après la fabrication, les mises au point et essais de matériels
sont exécutés par les deux services techniques du Département,
le Service HY de Marcel Palazo, assisté de Jacques Gillet et André
Arbonel, pour les émetteurs, récepteurs et antennes, et le
Service ES de Roland Gosmand, pour les codeurs et décodeurs.
Afin de coordonner l'ensemble des travaux et de canaliser les liaisons
avec Hughes, un chef de projet Intelsat IV a été nommé
pour le Département ESA : ce poste est occupé initialement
par Roger Durand qui, affecté ensuite au programme Symphonie,
est remplacé, à partir du début de 1971, par Guy Bertaud
qui vient de rentrer d'El Segundo.
La fabrication et les essais de trois sous-systèmes pour les
modèles F2, F3 et F4 s'échelonnent de fin 1969 à fin
1970.
Finalement, des matériels fabriqués par Thomson-CSF pour
F2 voleront malgré tout sur le modèle F1, le dernier de la
série, lancé le 22 mai 1975. À la suite d'incidents
sur les matériels fabriqués par Hughes et destinés
à F1, les matériels de Thomson-CSF auront, en cours d'intégration,
été utilisés comme rechanges et remplacés ensuite
sur F2 par les matériels de Hughes réparés.
La seconde tranche de matériels pour Intelsat IV
Vers la fin de l'année 1969, Hughes entre en négociations
avec Intelsat pour la fourniture de quatre satellites supplémentaires
(F5 à F8) prévus en option dans son premier contrat.
La discussion sur les prix est sévère et cette sévérité
est, bien entendu, répercutée par Hughes dans ses négociations
avec ses sous-traitants.
Les négociations avec Thomson-CSF pour cette nouvelle fourniture,
commencées fin 1969, durent jusqu'à fin avril 1970. L'expérience
des trois premiers satellites a permis d'établir une proposition
basée sur des données plus précises mais, entre-temps,
suite aux événements de 1968, les taux horaires d'une bonne
partie de l'industrie française, et donc de la Division MAS, ont
sérieusement augmenté par rapport à ceux utilisés
pour la première proposition.
Dans cette dernière, les faibles taux horaires pratiqués
chez Thomson par rapport à ceux de Hughes avaient permis aux prix
de vente de Thomson d'être à peu près comparables aux
coûts de production de Hughes. Ce dernier n'avait donc aucun désavantage
à sous-traiter, si ce n'est celui qui résulte des frais entraînés
par la formation et le contrôle du sous-traitant.
En 1970, si les prix de vente de Thomson-CSF sont peut-être encore
compétitifs avec les prix de vente de Hughes, ils sont loin de l'être
vis-à-vis de ses coûts de production, et c'est ce dernier
critère que Hughes utilise dans les négociations. N'ayant
pu obtenir d'Intelsat qu'une compensation très partielle pour ce
qu'il estime être une contrainte nouvelle, Hughes décide de
réduire les quantités de matériels sous-traités
à Thomson.
Pour les trois satellites F6, F7 et F8 de la seconde tranche des Intelsat
IV, Thomson-CSF n'aura à fabriquer, dans le sous-système
de télémesure-télécommande, que les émetteurs,
récepteurs et antennes. La fabrication des codeurs et décodeurs
reste chez Hughes.
À Thomson-CSF, les fabrications des matériels pour cette
seconde tranche débutent au milieu de l'année 1970, et les
dernières livraisons sont effectuées au début d'octobre
1971. L'inspecteur résident de Hughes, John Wood, quitte Vélizy
vers le 10 octobre.
Depuis le début de 1970, la «Space Systems Division»
de Hughes, dirigée par Fred Adler, est devenue une unité
plus importante : le «Space and Communications Group». Il est
dirigé par Albert Wheelon dès sa création et jusqu'au
programme Intelsat VI dont il sera question un peu plus loin.
Les lancements d'Intelsat IV
Le tableau ci-dessous donne les dates des lancements des satellites
Intelsat
IV où figurent des matériels fabriqués par Thomson-CSF
:
F2
|
25-01-1971
|
F3
|
19-12-1971
|
F4
|
22-01-1972
|
F6
|
20-02-1975
|
F7
|
23-08-1973
|
F8
|
21-11-1974
|
F1
|
22-05-1975
|
Hughes
tient à donner un aspect solennel au premier lancement, celui de
F2. Trois représentants de Thomson-CSF sont invités : Marc
de Saint-Denis, Directeur des Affaires Civiles, qui représente le
Président Bouyssonnie, Alexandre Boudigues, Directeur de la Division
AVS (à droite sur la photo), et Jacques Chaumeron, Directeur du
Département ESA.
Après un dîner solennel émaillé de discours,
tenu dans la soirée du 20 janvier, et une visite officielle du centre
spatial Kennedy dans la matinée du 21, le lancement est prévu
le même jour, vers 19 h 30. Malheureusement, dans le courant de l'après-midi,
un sondage météorologique révèle l'existence
d'un cisaillement de vents (wind shear) atteignant jusqu'à 240 kilomètres/heure
entre les altitudes de 40 000 et 45 000 pieds (12 000 à 13 500 mètres).
C'est bien au-delà des conditions que peut supporter le lanceur
Atlas,
et le lancement est reporté de vingt-quatre heures.
Le lendemain matin 22 janvier, les conditions météorologiques
sont bonnes mais le sondage de l'après-midi annonce le retour du
cisaillement à un niveau semblable à celui de la veille.
Ce scénario se reproduit les deux jours suivants et ce n'est que
le lundi 25 janvier que le lancement peut avoir lieu, à 19 h 26
heure locale. Aucun des invités n'ayant prévu dans son emploi
du temps plus d'un ou deux jours de retard, ce lancement est effectué
en petit comité. Aucun représentant de Thomson-CSF ne peut
y assister.
Intelsat IVA
Dès
le début de 1970, des rumeurs commencent à circuler sur ce
que sera la suite du programme Intelsat après la réalisation
de huit Intelsat IV. On peut s'attendre, dans les années
à venir, à l'élaboration par Intelsat de nouvelles
spécifications devant aboutir à un nouvel appel d'offres
pour des satellites de capacité plus importante, et bénéficiant
de l'évolution de la technologie. On commence donc à parler
du futur Intelsat V.
Il est de bonne guerre que le titulaire du précédent contrat
cherche à tirer profit de ses réalisations en les faisant
évoluer.
Hughes élabore donc une nouvelle proposition à Intelsat
pour des satellites d'une masse voisine de celle des Intelsat IV
mais fournissant vingt canaux de répéteurs entièrement
redondants, au lieu de douze, et des antennes permettant une couverture
mieux adaptée aux zones à desservir, ainsi que la réutilisation
de fréquences obtenue grâce au découplage des différents
faisceaux.
Cette proposition donne suite à un nouveau contrat pour la fourniture
de six satellites baptisés Intelsat IVA. Le Département
ESA espère fermement participer à la réalisation de
ces satellites, au moins dans les mêmes conditions que pour la seconde
tranche des Intelsat IV.
Malheureusement, il n'en sera pas ainsi, pour les raisons qui sont exposées
ci-après.
La brouille avec Hughes
Dès les premières rumeurs sur un futur programme Intelsat
V, la question se pose pour Thomson-CSF de rechercher les conditions
optimales pour y préparer une participation substantielle. L'une
des ambitions est en particulier de ne pas se limiter à la télémesure
et à la télécommande, baptisées par certains
«télécommunications de servitude», mais de participer
à ce qu'il convient d'appeler la partie «noble», c'est-à-dire
la charge utile de télécommunications : répéteurs
et antennes. Ce devrait être un moyen de valoriser dans le domaine
des satellites les compétences acquises par la Division DFH dans
le domaine des faisceaux hertziens.
Vladimir Altovsky, Directeur du Bureau des Activités Spatiales
auprès de la Direction Générale, et à ce titre
responsable de l'animation de ces activités, entreprend de rechercher
une solution au problème posé.
À l'époque, il est difficile d'envisager, pour un programme
Intelsat, et pour de multiples raisons, que le maître d'oeuvre ne
soit pas américain. C'est donc vers les États-Unis que s'orientent
les recherches.
La question est naturellement posée en premier lieu à
Hughes de l'éventuelle participation de Thomson-CSF à un
programme Intelsat V.
Hughes, qui travaille exclusivement à la promotion de sa
proposition de satellites Intelsat IVA et dont l'intérêt
est de retarder au maximum un éventuel programme Intelsat V,
répond qu'il est prématuré de parler d'Intelsat
V et qu'il n'envisage pas, sur Intelsat IVA, de modifier son
plan de sous-traitances par rapport à celui pratiqué sur
Intelsat
IV. En d'autres termes, Thomson-CSF doit se contenter pour l'instant
de fabriquer des matériels de télémesure et télécommande
sur plans de Hughes.
Cette position ne comblant en rien les désirs de la Direction
Générale de Thomson-CSF, Vladimir Altovsky va poser les mêmes
questions à Lockheed, concurrent malheureux de Hughes pour Intelsat
IV et qui a, à l'époque, fait participer CSF à
sa proposition.
Les dirigeants de Lockheed, qui, à la suite de leur échec
sur Intelsat IV, ont ressenti l'existence d'une faiblesse dans le
domaine des télécommunications, acceptent avec un certain
enthousiasme l'arrivée dans leur équipe d'une société
capable de remédier à cette faiblesse.
Dans la seconde moitié de 1970, un accord est négocié
entre Lockheed et Thomson-CSF d'après lequel, dans la proposition
préparée par Lockheed pour Intelsat V, Thomson-CSF
prendra la maîtrise d'oeuvre de la charge utile de télécommunications.
Lorsque l'existence de cet accord est connue de Hughes, la sanction est
immédiate : Thomson-CSF ne se verra confier aucune sous-traitance
dans le programme Intelsat IVA.
Le plan de charge à court terme du Département ESA s'en
trouve sérieusement affecté mais les perspectives à
moyen terme restent grandioses. On peut toujours rêver !
Le rattrapage d'Intelsat IVA
La compétition pour le programme Intelsat V, qui sera
évoquée en détail plus loin, a lieu en 1975.
Les candidats à la maîtrise d'oeuvre entreprennent chacun
la promotion de leur proposition auprès des gouverneurs d'Intelsat.
C'est là que les dirigeants de Hughes se rendent compte que le fait
d'avoir éliminé le constructeur français Thomson-CSF
risque d'indisposer à leur égard le gouverneur français.
Afin de renouer des relations acceptables, Hughes, avec lequel la Direction
du Département ESA, personnalisée par Jacques Chaumeron et
Pierre Gautier, a maintenu des contacts, décide de sous-traiter
à Thomson-CSF les parties radioélectriques (émetteurs,
récepteurs et antennes) des deux derniers modèles, F5 et
F6, des satellites de la série Intelsat IVA.
Il s'agit toujours d'une fabrication sur plans fournis par Hughes, de
matériels très voisins de ceux déjà fournis
pour Intelsat IV.
Arrivant à un moment où la charge de travail du Département
DSP diminue dangereusement, ce marché, quoique modeste, est le bienvenu,
et son exécution se déroule sans incident notable.
Les deux satellites sont lancés respectivement le 29 septembre
1977 pour F5 (échec) et le 31 mars 1978 pour F6.
Les premières primes de vol
C'est à l'occasion du programme Intelsat IV que le
Département DSP fait connaissance avec le système des «incentives»,
également appelées primes de vol, qui consistent pour le
client à différer le paiement d'un certain pourcentage du
montant du contrat et à procéder à des règlements
échelonnés en fonction des performances des satellites au
cours de leur vie en orbite.
Ce système est repris en Europe dans le programme Symphonie
et se généralisera par la suite à la plupart des programmes
de satellites de télécommunications.
Pour Intelsat IV et IVA, Hughes fait participer ses sous-traitants
au système, et les paiements à Thomson-CSF des primes de
vol correspondantes se termineront en 1979.
Intelsat V, les études préliminaires
Comme il a été mentionné plus haut dans le
paragraphe consacré à Intelsat IVA, les premiers contacts
sont établis avec Lockheed par Vladimir Altovsky dès 1970.
Les relations dans le domaine spatial entre la Division DFH (Faisceaux
Hertziens), qui détient la compétence technique pour les
répéteurs de télécommunications, et le Département
ESA (Espace-Satellites) de la Division AVS (Avionique et Spatial), bien
que définies dans leurs grandes lignes par diverses notes d'organisation,
ne sont pas encore codifiées dans le détail, ce qui laisse
la porte ouverte à de nombreuses divergences d'interprétation.
Lorsque les premières discussions entre Vladimir Altovsky et
les dirigeants de Lockheed convergent vers une attribution à Thomson-CSF
de la responsabilité de l'ensemble des répéteurs de
télécommunications dans une future proposition Intelsat
V, il apparaît que les premières tâches devront
porter sur des études de définition préliminaires
de ces répéteurs, et que ce type de tâche devra être
pris en charge par la Division DFH.
Alors que les répéteurs des satellites Intelsat
précédents opéraient uniquement en bande C (6/4 GHz),
il est admis que les futurs satellites Intelsat V auront quelques
répéteurs fonctionnant en bande Ku, qui, au moins pour les
zones du globe où le régime et la nature des pluies ne causeront
pas une atténuation prohibitive, permettront de pallier l'encombrement
prévisible de la bande C.
Pour se préparer à la future compétition, il va
falloir mener des études préliminaires, aussi bien au niveau
du sous-système répéteurs que des différents
matériels (récepteurs, filtres, amplificateurs) qui doivent
y entrer.
Sur le plan technique, la direction des opérations est confiée
au Bureau Spatial de la Division DFH avec pour principaux intervenants
Savely Schirmann et Bruno Blachier, récemment rentré d'un
séjour de plusieurs années aux «Comsat Laboratories»
où il s'est illustré dans des études de filtres multiplexeurs
pour les satellites Intelsat. Pour les matériels de répéteurs
en bande C, une expérience est en cours d'acquisition avec le programme
Symphonie.
Pour la bande Ku, la Division DFH s'intéresse dès 1970 aux
appels d'offres lancés par l'ESRO pour des études de matériels
fonctionnant dans cette bande, et partage ensuite avec AEG-Telefunken l'étude
d'un répéteur dit «modulaire», qui sera celui
du futur satellite OTS (Orbiting Test Satellite).
On peut donc prévoir qu'au moment où sortira l'appel d'offres
pour Intelsat V Thomson-CSF disposera de quelques références.
De nombreuses discussions ont lieu entre représentants de Thomson-CSF,
principalement le BAS et la Division DFH, et représentants de la
Missile and Space Division de Lockheed, installée à Sunnyvale
(Californie) près de San Francisco.
La proposition avec Lockheed
Au début de 1972, la Comsat lance pour Intelsat une consultation
pour un premier programme d'étude baptisé Early Intelsat
V qui doit aboutir à un avant-projet de satellite permettant
à cette organisation de préciser les spécifications
des futurs satellites Intelsat V.
Lockheed a fait savoir très clairement dès le début
que le budget alloué par la Comsat ne permettrait pas de financer
la totalité des travaux et qu'il appartiendrait à chacun
de ses partenaires de participer au financement de sa contribution respective.
Le Département ESA, qui devra intervenir pour la fabrication
des matériels et qui souhaite ne pas rester étranger à
leur étude afin de veiller dès le départ au respect
des contraintes spatiales, estime devoir assurer une certaine présence
dans le dispositif initial.
Il s'ensuit une longue négociation qui a été relatée
par ailleurs, et qui aboutit à la signature en février 1972
d'un protocole d'accord définissant le plus précisément
possible le partage des responsabilités entre les Divisions DFH
et AVS dans ce type d'affaire.
Du côté d'AVS (Département ESA), Jean Guillemin
est désigné comme interlocuteur de Savely Schirmann et de
Bruno Blachier dans l'affaire Early Intelsat V.
Le travail sur l'étude Early Intelsat V commence en avril
1972. Il faut fournir à Lockheed non seulement un avant-projet de
répéteurs mais également tous les autres éléments
devant entrer par la suite dans une proposition : organisation, répartition
des travaux, plannings, estimation des coûts. Il s'agit en fait de
ce que les Américains appellent un «Mock Proposal»,
c'est-à-dire un premier exercice de proposition dans son ensemble.
Pour cette dernière partie, le Département ESA doit intervenir
en tant que futur responsable de la phase de réalisation des matériels
et du sous-système. Il prend donc la direction de cette dernière
partie du travail où Guy Bertaud remplit un rôle important.
Le Service Commercial du Département ESA en achève la
mise en forme, en particulier pour la partie financière. Pierre
Gautier et Guy Muzard y sont les principaux acteurs. L'ensemble du travail
est achevé au début de 1974.
En même temps, un protocole d'accord, spécifique à
Intelsat
V, est établi entre les Divisions AVS et DFH pour définir
avec précision les tâches et les responsabilités de
chacun en cas d'exécution du programme.
Après remise du travail à Lockheed, l'année 1974
et une bonne partie de l'année 1975 voient se dérouler quelques
discussions et travaux complémentaires.
Au début de 1974, le responsable du projet chez Lockheed a été
changé. Joseph Knopow a été remplacé par John
Hockenberry, ce qui a causé quelques perturbations à ce stade
avancé de la préparation de la proposition.
En fait, parmi les principaux acteurs participant au programme à
Thomson-CSF, l'optimisme ne règne pas quant aux chances de Lockheed
de s'imposer dans la compétition pour Intelsat V.
Du côté du Département ESA, qui devient DSP en 1975,
on commence à envisager des solutions de secours pour préserver
quelques chances de participer au programme.
Les solutions de secours
La recherche de ces solutions est menée à partir de
la fin de 1975, essentiellement par les dirigeants du Département
DSP, Jacques Chaumeron, Directeur, et Pierre Gautier, chef des services
commerciaux, avec le plein accord d'André Lepeigneux, nouveau Directeur
de la Division DFH à laquelle DSP vient d'être rattaché.
Outre Lockheed, les compétiteurs prévus sont Hughes, TRW
et l'ancienne société Philco, récemment rachetée
par le constructeur d'automobiles Ford et qui prendra le nom de Ford Aerospace.
Les études financées par l'Agence spatiale européenne
pour son programme expérimental de satellites de télécommunications
en bande Ku permettent à Thomson-CSF de faire état d'une
expérience et d'une certaine avance technique dans le domaine des
récepteurs en bande Ku, où des solutions originales ont été
expérimentées. Aucun développement équivalent
n'a été fait de l'autre côté de l'Atlantique.
Il est donc décidé de proposer à Hughes de nous
confier la réalisation des récepteurs en bande Ku avec laquelle
nous pouvons apporter un «plus» à sa proposition.
Après quelques discussions, Hughes comprend l'intérêt
de cette offre qui, valorisant la technologie développée
en Europe, peut lui apporter, lors du vote final, l'appui de quelques délégations
européennes.
La sous-traitance par Hughes à Thomson-CSF de matériels
pour les deux derniers satellites Intelsat IVA est une autre action
dans le sens de la «réconciliation» et de la recherche
de l'appui de la délégation française.
Vis-à-vis de TRW et de Ford, l'approche est plus générale.
Outre l'offre des récepteurs en bande Ku, on fait valoir qu'une
importante participation de Thomson-CSF peut influencer favorablement le
vote de la délégation française.
Les dirigeants de TRW acceptent le principe d'une sous-traitance de
matériels à Thomson-CSF sous forme de récepteurs en
bande C ou en bande Ku, les quantités ne pouvant être très
importantes car cette société a déjà prévu
une part française non négligeable en direction de son allié
habituel : MATRA.
Chez Philco, par contre, dont des représentants ont visité
Vélizy en 1975, Jacques Chaumeron et Pierre Gautier se voient répondre
à Palo Alto que Ford a déjà prévu d'importantes
sous-traitances à l'Aérospatiale, et qu'il n'y a nul besoin
d'augmenter la participation française au-delà des TOP à
12 GHz qui doivent être fournis par la Division Tubes Électroniques
(DTE) de Thomson-CSF.
Le dénouement
Le bilan des participations du Département DSP aux différentes
propositions est le suivant :
- Lockheed : maîtrise d'oeuvre du sous-système répéteurs
avec des sous-traitances d'équipements dans différents pays
;
- Hughes : fourniture des récepteurs à 14 GHz ;
- TRW : promesse de sous-traitance de quelques récepteurs ;
- Ford : néant.
Au cours d'un premier examen des propositions remises au début
de 1976, le Conseil des gouverneurs d'Intelsat décide d'éliminer
Lockheed et TRW, et de retenir provisoirement Hughes et Ford en leur donnant
quelques semaines pour fournir une «Best and Final Offer».
Les grandioses espoirs de Thomson-CSF, entretenus pendant les cinq dernières
années, s'écroulent et, pour avoir l'espoir que DSP fournisse
quelques matériels électroniques, il faut soutenir à
fond la proposition de Hughes.
Un effort important de «lobbying» est entrepris par Pierre
Gautier qui, à peine rétabli d'une intervention chirurgicale,
se rend à Washington, en juillet 1976, pour assister les dirigeants
de Hughes dans leurs dernières démarches. Malheureusement,
Hughes n'a pu suivre la baisse de prix de dernière heure faite par
Philco-Ford et ce sont ces derniers qui l'emportent.
Pour Thomson-CSF, l'honneur est sauf car la Division DTE va fournir
des TOP, mais pour DSP c'est le néant, et une aggravation de la
«traversée du désert» déjà commencée.
Il reste cependant un élément positif : les contacts noués
avec TRW permettront à DSP d'être consulté l'année
suivante pour les soixante récepteurs en bande Ku du programme TDRSS,
et ensuite de gagner cette affaire.
Intelsat VI
Les
préparatifs pour la compétition en vue d'Intelsat VI
commencent en 1980, c'est-à-dire quatre ans après celle d'Intelsat
V.
Dès le milieu de 1980, Intelsat décide de préparer
un appel d'offres pour un Intelsat VI de capacité élevée
(trois fois celle d'Intelsat V), et bénéficiant de
nouvelles technologies devenues disponibles. Le premier modèle doit
être mis en orbite en 1986. Les lanceurs envisagés sont la
navette spatiale (STS) et la future Ariane IV, mais ni l'une ni
l'autre n'est encore opérationnelle.
La sortie de l'appel d'offres est prévue pour mars 1981. L'organisation
fait savoir qu'elle apprécierait une importante participation d'industriels
non américains.
Depuis la compétition pour Intelsat V, le Département
DSP a acquis quelques bons arguments pour attirer l'attention des maîtres
d'oeuvre potentiels. En particulier, l'offre de récepteurs à
14 GHz contenue dans la proposition de Hughes a été la seule
fourniture étrangère ayant fait l'objet, dans le rapport
d'évaluation technique d'Intelsat sur cette proposition, d'un commentaire
particulier en termes très favorables.
D'autre part, la phase de réalisation du programme Telecom
1 a commencé au début de 1980, et le Département
y est maître d'oeuvre de la charge utile.
Trois compagnies américaines suggèrent initialement à
Thomson-CSF de participer à leur proposition : General Electric,
Hughes et Ford Aerospace.
Avec General Electric, les contacts initiaux ne seront pas poursuivis
car cette société décide assez rapidement de ne pas
présenter de proposition. Entre Hughes et Ford se manifestera une
concurrence acharnée pour attirer la participation de Thomson-CSF.
Lorsque Intelsat publiera l'annonce préliminaire de l'appel d'offres,
seules ces deux compagnies exprimeront l'intention d'y répondre.
L'appel d'offres est publié par Intelsat le 26 mars 1981 et les
propositions sont remises le 24 juillet suivant.
Le Département DSP remet à Hughes, le 5 juin 1981, sa
proposition pour la part qui lui est offerte.
Selon les habitudes d'Intelsat, chaque proposition doit comprendre un
chapitre sur les prix, livré séparément des autres
chapitres (technique, organisation, planning, etc.). Le premier examen
des offres doit porter uniquement sur ces autres chapitres.
Intelsat doit, suite à cet examen, choisir un ou deux soumissionnaires
pour une première négociation, ces derniers pouvant ensuite
introduire dans leur offre les modifications résultant de la négociation,
et soumettre une offre de prix définitive tenant compte de ces modifications.
C'est à la suite de ce processus qu'Intelsat doit choisir le bénéficiaire
du contrat.
L'appel d'offres demande que le plan de paiement prévoie que
le règlement d'une partie du montant du contrat soit différé
après la livraison des satellites, et soit lié au bon fonctionnement
en orbite de chacun d'eux.
C'est la poursuite de la méthode des «incentives»,
mise en oeuvre depuis Intelsat IV, mais où le pourcentage
retenu pour les paiements différés augmente de programme
en programme sous l'effet de la concurrence pour atteindre des valeurs
de l'ordre de 20 %.
Une clause nouvelle est apparue : le soumissionnaire doit s'engager
à ne pas souscrire d'assurance contre la perte éventuelle
de ces «incentives».
L'appel d'offres porte sur une quantité initiale de cinq satellites,
avec ensuite des options pouvant aller jusqu'à onze satellites supplémentaires,
soit un total de seize.
Afin de s'assurer que Thomson-CSF fera l'effort maximum auprès
de la délégation française à Intelsat pour
obtenir un vote en sa faveur, Hughes offre à Thomson-CSF de lui
sous-traiter, pendant huit ans, des matériels supplémentaires,
soit pour des satellites Intelsat, soit pour d'autres satellites de télécommunications,
américains ou non.
Les prix de la part du Département DSP dans la proposition de
Hughes sont de 21 millions de dollars pour les cinq premiers satellites,
13,2 millions pour les trois satellites suivants, et des prix proportionnels
à ce dernier pour des options supplémentaires allant jusqu'à
huit satellites. Il faut ajouter à chacun de ces deux prix des montants
respectifs de 6,8 et 3,5 millions de dollars correspondant à des
TOP à 14 GHz fournis par la Division Tubes Électroniques.
Les sous-traitances supplémentaires que Hughes s'engage à
passer, après avoir gagné le contrat Intelsat VI et
bénéficié dans ce but du soutien de la délégation
française, doivent s'élever à un montant compris entre
30 et 60 millions de dollars échelonnés sur huit ans.
Hughes s'engage de plus à subir une pénalité si
le montant minimum des sous-traitances prévues n'est pas atteint.
Cet accord est négocié par Paul Visher pour Hughes, et
par Jacques Chaumeron et Michel Lasalle, sous l'égide de Philippe
Giscard d'Estaing, pour Thomson-CSF. Il est conclu le 23 juillet 1981,
c'est-à-dire la veille de la remise de la proposition à Intelsat.
Vient ensuite l'examen des offres par Intelsat. En septembre 1981, le
Conseil des gouverneurs rend visite aux deux soumissionnaires afin de se
faire présenter leurs moyens industriels et juger sur pièces
des travaux préparatoires sur le programme et de la façon
dont il est prévu de le gérer.
Jacques Chaumeron et Michel Lasalle sont invités à cette
présentation chez Hughes, qui a lieu les 20 et 21 septembre 1981.
Enfin, après six mois d'un «suspense» émaillé,
surtout vers la fin, de rumeurs qui attribuent alternativement la victoire
à Ford et à Hughes, le rapport de la Direction Générale
d'Intelsat en date du 20 janvier 1982 recommande au Conseil des gouverneurs
d'entrer en négociations avec Hughes pour le contrat de fourniture
des Intelsat VI. Le 12 février 1982, le Conseil des gouverneurs
approuve cette proposition. Les négociations avec Hughes commencent
sans délai et se terminent au début de mars, et le contrat
est approuvé par le Conseil des gouverneurs le 26 mars. Le travail
peut commencer, ou plutôt continuer, pour plus de quatre ans.
Pour Intelsat VI, Hughes est resté à la stabilisation
par rotation, qu'il a déjà utilisée de Syncom
à Intelsat IV. La masse sèche prévue pour chaque
satellite est de 1 780 kilos, le corps principal du satellite ayant un
diamètre de 3,6 mètres et une hauteur de 6,4 mètres,
la hauteur totale après déploiement des antennes atteignant
11,7 mètres. La masse au lancement est de 3 750 kilos.
Pour ce lancement, les satellites doivent être compatibles avec
Ariane
4 et avec la navette américaine. Leur durée de vie estimée
est de dix ans. La couverture des antennes, outre des pinceaux étroits
(spot beams) et une couverture globale, comprend deux zones hémisphériques
et quatre zones dans la région atlantique. La charge utile permet
une grande capacité de trafic téléphonique (soixante-dix
mille demi-circuits), l'utilisation du TDMA et la réutilisation
de fréquences. Le premier modèle de vol doit être livré
avant mars 1986.
Le déroulement du programme à DSP
Le contrat entre Hughes et Thomson-CSF est signé en juin
1982. Il prévoit la fourniture d'équipements pour cinq satellites
avec une option pour onze satellites supplémentaires. Son montant
est d'environ 130 millions de francs.
Les équipements à livrer sont les suivants :
- 12 équipements modèles d'identification (MI), soit :
- 3 récepteurs en bande C en 2 types,
- 3 récepteurs en bande Ku,
- 6 OMUX en bande C en 2 types ;
- 76 équipements modèles de vol (y compris des modèles
de qualification MQ), soit :
- 32 récepteurs en bande C en 3 types,
- 10 récepteurs en bande Ku,
- 34 OMUX en bande C en 2 types.
Jean Bouguet est désigné comme chef de projet pour l'ensemble
de l'affaire. Il est suivi à ce poste par Jacques Beaucher en 1985
puis par Pierre Jaubert en 1986.
Les travaux doivent démarrer pendant la période du transfert
du Département DSP à Toulouse. Afin d'éviter que ce
transfert ne soit préjudiciable aux délais de livraison très
réduits, les travaux d'étude et de réalisation commencent
directement à Toulouse.
Les MI doivent être livrés en juin 1983, les MQ en novembre
1983, les premiers modèles de vol destinés au modèle
de qualification du satellite (Y1) en février 1984, et les huit
récepteurs du premier satellite opérationnel (F1) en juillet
1984.
La mise au point et la réalisation des multiplexeurs de sortie
(OMUX), suivant les spécifications techniques et dans les délais
imposés, ne présentent pas de difficultés particulières,
bien que ce soit la première utilisation de la technologie de l'invar
mince qui vient de faire l'objet de brevets déposés par DSP,
qui promet d'être plus économique et offre une plus grande
précision dimensionnelle que celle des fibres de carbone utilisées
dans Telecom 1. Les modèles de vol destinés successivement
aux cinq satellites seront livrés dans les délais contractuels.
Pour les récepteurs, l'hypothèse faite au moment de la
proposition a été que malgré quelques différences
dans les spécifications, ils pourraient être dérivés
assez facilement de ceux développés pour Telecom 1.
En fait, il s'avère assez rapidement que les performances demandées
sont très difficiles à atteindre d'une manière répétitive
et fiable avec les technologies utilisées. Il faut reprendre complètement
la conception, ce qui demande des efforts techniques et des durées
d'études plus importants que prévu. Le planning de livraison
des modèles de vol s'en trouve très affecté.
Malgré ces efforts, les MI ne sont prêts qu'en octobre
1983 pour la bande C et en novembre 1983 pour la bande Ku.
Compte tenu des retouches des plans, de l'élaboration des gammes
et de l'arrivée tardive de certains composants, il apparaît
que les modèles de qualification, en dépit des mesures exceptionnelles
qui ont été prises, ne pourront être livrés
au mieux que fin mai 1984, ce qui compromet les livraisons des modèles
Y1 et F1 et rend très risquée la tenue des délais
sur F2.
Aussi, tout en mettant en place une organisation séparée
pour la fabrication et les essais, il est nécessaire de négocier
avec Hughes une diminution du nombre des récepteurs à livrer
pour Y1 et F1, soit au total six récepteurs (deux Y1 et quatre F1),
afin de pouvoir tenir les délais pour la suite du programme. À
partir du milieu de 1985, la situation du planning se détériore
à nouveau.
La situation générale d'Alcatel Espace (ATES qui a succédé
à la Division Espace) a nécessité la mise en oeuvre
d'un plan social avec, au sein de la Direction Industrielle, des mesures
de chômage partiel et de réduction de personnel. Ces événements,
ajoutés à une augmentation dramatique des coûts cumulés
de développement, conduisent à envisager l'hypothèse
de l'abandon par ATES du programme Intelsat VI et de la résiliation
du contrat.
Finalement, il est décidé de tout mettre en oeuvre pour
minimiser les retards de livraisons. Il faut rétablir le moral du
personnel de fabrication, très affecté par l'annonce du plan
social. Pour renforcer l'équipe d'encadrement et de suivi du projet,
on fait appel aux «anciens» aguerris par le projet Telecom
1 : Jacques Beaucher et Pierre Jaubert. Un nouveau calendrier est accepté
par Hughes, il constitue la limite acceptable pour la tenue du planning
d'ensemble du programme.
L'organisation de l'activité en trois fois huit heures, sept
jours sur sept, permet de surmonter les dernières difficultés
et d'assurer les livraisons échelonnées des modèles
de vol des récepteurs avec beaucoup de retard par rapport au programme
initial, mais conformément au dernier calendrier accepté,
ce qui restaure la confiance de Hughes. De plus, les coûts sont malheureusement
très supérieurs aux prévisions initiales.
La réaction de conscience professionnelle manifestée par
tous les participants durant la dernière année du programme
évite d'ajouter aux séquelles morales d'un plan social, certes
passagères, les conséquences d'un discrédit grave
et probablement plus durable, auprès des industriels et opérateurs
internationaux, et permet de confirmer le savoir-faire et la présence
d'ATES dans l'industrie spatiale.
Dans la «foulée» d'Intelsat VI, ATES livre
à la Chine, au milieu de 1986, deux récepteurs pour satellites
en bande C dérivés de ceux d'Intelsat VI. Cette référence
technique et commerciale contribuera certainement au choix effectué
en faveur d'ATES, dix ans plus tard, pour la fourniture de la charge utile
du satellite Sinosat.
Un événement survenu pendant le déroulement du
programme Intelsat VI fait les gros titres de la presse toulousaine.
Du 21 au 23 mars 1984, ATES est chargée d'organiser à Toulouse
l'une des réunions périodiques, présidée par
Hughes, de «management» du programme. Outre les directions
d'ATES, de la Division «Space and Communications»
de Hughes, sont présents des représentants des autres sociétés
membres de l'équipe de Hughes : NEC du Japon, MBB de RFA, Selenia
Spazio d'Italie, SPAR du Canada et British Aerospace de Grande-Bretagne,
ce qui est annoncé par le journal La Dépêche
comme : «Le sommet de l'Espace à Toulouse».
L'affaire se termine le 18 septembre 1986, par un fax adressé
par Henry Di Christina, Directeur adjoint du programme chez Hughes, à
Jacques Imbert, Président d'ATES, pour le remercier de la livraison
des derniers matériels dus par ATES, et lui demander, au nom de
la Direction et des équipes de Hughes, de remercier les équipes
d'ATES pour leurs efforts et la qualité du travail fourni. |