6 - Les programmes de satellites
6.2 - Les satellites de télécommunication
La naissance du programme
Dès le milieu des années soixante, l'utilisation de
satellites pour l'aide à la navigation aérienne est mise
à l'ordre du jour.
Sur les routes transatlantiques, les liaisons entre les avions longs
courriers et les contrôleurs au sol sont effectuées en HF
avec tous les aléas que peut rencontrer la propagation dans cette
bande de fréquences. De plus, l'imprécision de la localisation
effectuée par les avions eux-mêmes oblige à faire respecter
entre ces derniers des distances d'espacement importantes.
Réduire ces distances grâce à de meilleures communications
et à une localisation plus précise doit permettre à
un plus grand nombre d'avions de se rapprocher de la route optimale et
de réaliser des économies de carburant non négligeables,
avec pour résultat immédiat une augmentation de la charge
marchande.
Un système de localisation par satellite, en donnant aux contrôleurs
une connaissance directe de la position précise de chaque avion,
et en permettant de communiquer en permanence, doit contribuer à
atteindre cet objectif.
Une étude publiée en 1967 par le CNES et le secrétariat
général à l'Aviation civile jette les bases du système
«Dioscures», dont la mise en oeuvre est prévue pour gérer,
à l'horizon 1980, un total de deux cents avions en vol simultanément
sur l'Atlantique nord, dont quatre-vingts supersoniques ! En 1970-71 une
expérimentation, où la Division Télécommunications
de Gennevilliers fournit les matériels au sol, utilise des ballons
stratosphériques pour simuler le satellite.
L'Organisation internationale de l'aviation civile (OACI), qui a exprimé
son intérêt dès 1966 pour l'étude d'un tel système,
recommande officiellement en 1972 la mise en oeuvre d'un programme d'évaluation
et d'expérimentation.
Il reste donc aux différentes agences à s'organiser pour
que le programme devienne une réalité.
Du côté européen, le CNES, qui a déjà
défini le système «Dioscures», propose à
l'ESRO de le réaliser à l'échelle européenne,
l'objectif étant le contrôle de la circulation sur l'Atlantique
nord.
L'ESRO adopte le projet, le baptise Aerosat et recherche une
participation de l'autre côté de l'Atlantique, c'est-à-dire
aux États-Unis, puis au Canada.
Les négociations avec les États-Unis sont entamées
en 1969. Le premier interlocuteur est la NASA, avec laquelle l'ESA signe
un mémorandum d'accord pour le pilotage conjoint d'un programme
expérimental. Malheureusement, peu après
la signature, le gouvernement des États-Unis fait savoir que la
NASA n'est pas habilitée à prendre un engagement dans le
domaine de l'aéronautique et que la seule administration américaine
ayant un tel pouvoir est la FAA (Federal Aviation Administration).
En janvier 1971, une déclaration d'intention de l'»Office
of Telecommunications Policy» (OTP) de la Maison-Blanche aboutit
à de nouvelles études techniques menées en commun
par l'ESRO et la FAA. Un programme est élaboré en 1971 avec
la participation du Canada. Le Japon et l'Australie manifestent également
leur intérêt vis-à-vis du programme.
Après un premier mémorandum d'accord proposé en
décembre 1971, les négociations entre l'ESRO, les États-Unis
et le Canada sont reprises sur les bases suivantes: le programme de satellites
sera financé à égalité par les gouvernements
européens d'une part (47 %) et la Comsat américaine d'autre
part (47 %), et par le Canada (6 %).
Un nouvel accord aboutit, le 2 août 1974, à la signature
d'un mémorandum au titre duquel les trois parties s'engagent à
mettre en place deux satellites préopérationnels destinés
à faire une expérimentation et à évaluer les
capacités d'un tel système. Les résultats doivent
permettre à l'OACI de définir les spécifications du
système opérationnel futur qui sera mis en place au cours
de la décennie suivante.
Les éléments du segment terrien doivent rester la propriété
de chacun des pays participants, leur développement étant
cependant coordonné par l'organisation commune.
Il convient de mentionner deux hommes qui, par leur volonté opiniâtre,
auront grandement contribué à l'aboutissement des négociations:
David Israël, de la FAA, et Jacques Villiers, du secrétariat
général à l'Aviation civile (France).
L'activité de Thomson dans le programme
Dès qu'il apparaît probable qu'un programme de satellite
puisse être entrepris par les autorités françaises
ou européennes, on commence à se préoccuper, à
Thomson-CSF, de la formation industrielle qui pourrait attaquer le problème.
Deux unités sont candidates pour le pilotage de l'affaire,
le Département ESA parce qu'il s'agit de satellites, et la filiale
TVT parce qu'il s'agit de contrôle du trafic aérien.
Après quelques réunions «animées»,
la balance semble pencher au début en faveur de TVT. Ensuite, il
faut bien constater que, pour un tel programme de satellite de l'ESRO,
Thomson, représentée par le Département ESA, est membre
du consortium STAR, spécialement formé pour répondre
aux appels d'offres de satellites lancés par l'ESRO. C'est finalement
ce point de vue qui l'emporte et il est décidé que le Département
ESA, assisté par TVT, pilotera la participation de Thomson au programme,
dans le cadre du consortium STAR.
Il faut ensuite décider qui, au sein du consortium, prendra la
maîtrise d'oeuvre du programme. Pour la première étude
préliminaire de phase A lancée par l'ESRO, cette administration
décide de faire appel aux trois consortiums existants: Cosmos, MESH
et STAR, afin d'aboutir à trois projets conçus par des équipes
différentes et d'en tirer ensuite le meilleur parti. BAC (British
Aircraft) est désigné par le consortium STAR pour être
maître d'oeuvre de cette étude, Thomson y participant pour
la charge utile. Cette participation est confiée au Service Systèmes
dirigé à l'époque par Claude Skenderoff. Jean-Claude
Héraud est l'animateur de l'équipe, dont font partie quelques
ingénieurs de TVT.
Dès que commencent à se préciser les nouvelles
règles de retour industriel, où les participations européenne,
canadienne et américaine doivent respecter au plus près les
pourcentages de financement apportés par les différents pays,
il faut rechercher des partenaires américains et canadiens. Thomson
est chargée de ce rôle par le consortium STAR.
Au début des années soixante-dix, Thomson-CSF entretient
des relations très suivies avec Hughes Aircraft dans le programme
Intelsat
IV. La question d'une éventuelle association pour le programme
Aerosat
est posée tout naturellement à cette société.
Il apparaît rapidement que les dirigeants de Hughes n'ont aucune
confiance dans les possibilités d'aboutissement du programme et
ne sont pas disposés à engager des dépenses pour une
proposition.
Côté européen, au contraire, la confiance règne.
Une réunion de présentation du programme, organisée
à Washington par la FAA et l'ESRO le 29 septembre 1971, a contribué
à la renforcer.
Il est donc décidé, à Thomson, et avec l'accord
des membres de STAR, de rechercher un autre partenaire.
Cette recherche se déroule en 1971 et 1972. Après des
contacts avec Lockheed, Fairchild et RCA, cette dernière société
semble être la meilleure candidate. Elle achève, en effet,
l'étude d'un satellite de télécommunications auquel
on peut facilement adapter la charge utile requise pour le satellite Aerosat.
De plus, RCA possède une filiale au Canada, RCA Limitée,
qui deviendra par la suite Spar Aerospace, et qui est apte à fournir
la contribution canadienne.
En novembre 1974, Thomson-CSF signe avec RCA un accord pour la constitution
d'un groupement industriel où RCA, maître d'oeuvre, assumera
la direction du projet et fournira le véhicule spatial, engin dérivé
du satellite de télécommunications Satcom, construit
par RCA pour un réseau national américain. Le consortium
STAR, sous la responsabilité de Thomson-CSF, réalisera la
charge utile du satellite et en particulier les répéteurs
de télécommunications, RCA Limitée étant chargée
des antennes.
La proposition
Après une longue attente, consacrée aux négociations
entre administrations et à l'estimation de ce que pourrait être
le programme, le travail de «mock proposal» commence, sous
la maîtrise d'oeuvre de RCA, Thomson ayant la responsabilité
de la charge utile et de la supervision générale de la participation
européenne. Ce travail consiste, selon les méthodes adoptées
par la plupart des maîtres d'oeuvre américains, à rédiger
pratiquement une proposition complète avant la sortie de l'appel
d'offres, à partir d'estimations de ce que pourraient être
les spécifications. Cette méthode permet, en principe, d'éviter
toute précipitation après la sortie de l'appel d'offres et
de n'avoir à effectuer, après cette sortie, que des modifications
supposées être mineures à une proposition déjà
presque complètement rédigée.
Une équipe de projet est constituée au Département
ESA, dont le chef de projet est Maurice Dumas. Il s'ensuit, pour cette
équipe, un long travail de préparation qui comprend des contacts
avec les clients pour avoir une idée des spécifications futures,
des discussions avec les partenaires pour définir la part de chacun
puis les différentes interfaces, des séjours plus ou moins
longs chez RCA à Highstown (New Jersey) pour coordonner la définition
des différents éléments du satellite, les plannings
de réalisation, etc.
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Une réunion du groupe de management. Assis de gauche à
droite: Bob Hume de RCA, Pierre Gautier, Jacques Chaumeron et Maurice Dumas
de Thomson-CSF, MM. Ditmar et Rausch de Dornier Systems |
Le travail de «mock proposal» occupe le second semestre
de 1975. Le chef de projet de RCA, Bob Hume, un ancien militaire, y mène
tout le monde à la baguette.
Le Département ESA a eu le temps, pendant cette longue période
d'attente, d'effectuer les études nécessaires à l'éclaircissement
de certains «points durs» dans la définition de la charge
utile.
L'ESRO a passé quelques marchés d'études dans ce
but et, en particulier, le Service Hyperfréquences au sein d'ESA,
devenu DSP à partir de 1975, dirigé par Marcel Palazo, a
réalisé une maquette d'un émetteur à l'état
solide d'une puissance d'environ 50 watts en bande L. La maquette de cet
émetteur, avec ses circuits de mise en parallèle des transistors
de puissance, qui ont donné des sueurs froides à quelques
ingénieurs et techniciens, figurera longtemps dans le musée
du Service Hyperfréquences.
L'appel d'offres finit par sortir le 15 février 1976. Il reste
quatre mois pour remettre la proposition finale. Étant donné
le travail déjà fait sur la «mock proposal»,
ce délai peut paraître long mais, pour le tenir, il faut en
fait maintenir le rythme infernal des mois précédents. Le
week-end de Pâques 1976 se passe à Highstown dans des discussions
«au finish» sur les prix.
Le dénouement
La proposition est remise à la date prévue; les membres
du groupe de projet de DSP, qui ont réalisé une «première»
dans une proposition de charge utile complexe, peuvent enfin se détendre
tout en restant anxieux du choix que vont faire les clients.
Ce choix met longtemps à se dessiner et ce n'est qu'à
l'automne de 1976 que le couperet tombe. Les trois offres sont équivalentes
sur le plan technique, mais, grâce à une imagination plus
grande du maître d'oeuvre General Electric dans le maniement des «overhead»
(traduction: coûts hors production), l'association General Electric-Cosmos
a soumis un bien meilleur prix que ses concurrents.
Nous perdons, et c'est le début d'une baisse de charge qui conduira
finalement DSP à mettre en oeuvre, en 1977, ce que l'on n'appelle
pas encore, à l'époque, un plan social, mais qui oblige néanmoins
à reclasser, en grande partie dans le groupe Thomson, environ quatre-vingts
personnes sur un total de trois cents, tout en essayant de maintenir le
minimum de compétences qui permettront de redémarrer à
partir de 1980.
Ayant perdu Aerosat, DSP et le consortium STAR ne sont pas les
dernières dupes du projet. En effet, dès 1975, de nombreuses
compagnies aériennes commencent à éprouver des difficultés
financières et un certain nombre de facteurs les incitent à
devenir très réticentes vis-à-vis du programme.
L'apparition des avions gros porteurs les oblige à supporter
des investissements importants. L'augmentation de la capacité des
avions tend à ralentir la croissance du nombre de vols sur l'Atlantique.
À l'exception de quelques Concorde, il n'y aura pas de supersoniques.
L'amélioration de la précision des moyens de navigation due
à l'usage des centrales à inertie diminue, à leurs
yeux et au moins provisoirement, l'intérêt d'une localisation
par satellites. Elles ne sont prêtes ni à supporter les frais
d'achat de nouveaux matériels à bord des avions, ni à
payer les redevances qui leur seraient réclamées pour financer
le fonctionnement d'un nouveau service.
C'est ainsi qu'après avoir passé plusieurs mois à
négocier le contrat des satellites avec les organisations clientes,
le consortium General Electric-Cosmos apprend que le programme est annulé.
Nos amis de Hughes Aircraft ont eu finalement raison de ne pas engager
de dépenses dans cette entreprise. |