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Association Amicale des Anciens d'Alcatel Space
CHRONIQUES D'UN MÉTIER de 1963 à 1993
Table | Préf | Intro | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7 | 8 | 9

6 - Les programmes de satellites

6.3 - L'observation de la Terre

ERS

Les préliminaires


Les premières études de radars embarqués à bord de satellites entreprises par le Département Espace-Satellites (DSP puis ESA) de Thomson-CSF remontent à 1973.

Le Département fait, à cette époque, partie de la Division AVS (Avionique et Spatiale). Ce rattachement facilite grandement la coopération technique avec les spécialistes de cette Division qui mènent des études de SAR (Synthetic Aperture Radar : radar à ouverture synthétique) embarqués sur avions. C'est ainsi que de nombreux marchés d'étude peuvent être gagnés pour la plus grande partie à l'ESRO/ESA mais également au CNES et, plus tard, à la DTEN. Thomson-CSF devient rapidement le seul industriel européen connaissant bien le SAR.

Durant l'année 1973, de janvier à novembre, le contrat Sarsat, passé par l'ESRO, conclut à la faisabilité, en 1980-85, à bord d'un satellite en orbite basse (567 kilomètres), d'un radar latéral opérant à 10 GHz, balayant au sol une bande (fauchée) de 80 kilomètres de large avec une résolution de 50 x 50 mètres. Sa durée de vie prévue est de deux ans.

En janvier 1974, un contrat de l'ESRO, baptisé Sarlab, permet d'examiner la possibilité d'exploiter différentes charges utiles radar à bord de la navette spatiale à partir de 1980. Ces charges doivent avoir pour but d'effectuer des essais technologiques dans l'espace et également de tester les performances des matériels sur des «zones tests» au sol, afin de permettre aux scientifiques de préciser leurs exigences.

Les conclusions de cette étude sont présentées à un symposium organisé par l'université du Michigan aux États-Unis.

Les études sont pilotées par le Service Systèmes de DSP, dirigé par Claude Skenderoff, avec la participation de la Division AVS pour les radars et leurs antennes et de la société italienne Montedel, devenue plus tard Laben, pour le traitement de l'information. En plus de sa maîtrise d'oeuvre système, DSP se charge de la partie transmission.

Après une période de calme, à partir de 1978, une série de marchés d'études sont à nouveau gagnés par DSP, le concurrent principal pour ceux de l'ESA étant la société britannique MSDS (Marconi Space and Defense Systems). La maîtrise d'oeuvre est assurée par le Service SS2, dirigé par Jean-Claude Héraud, qui a été créé en juin 1977 à la suite de la scission en deux de l'ancien Service Systèmes. Bien que le Département DSP ait été, à partir de 1975, rattaché non plus à la Division AVS mais à la Division DFH, la collaboration avec la Division AVS se poursuit normalement.

Trois études sont menées en 1978 :

- Pour l'ESA

En collaboration avec AVS et CIMSA (filiale informatique de Thomson-CSF), une étude sur le traitement des signaux de Seasat-A, projet de satellite radar destiné à l'observation des océans.

- Pour le CNES

En collaboration avec AVS, étude de la compatibilité entre un SAR et la plate-forme de SPOT.

- Pour l'ESA

Ce qui est le début du programme ERS, une étude de phase A d'un satellite européen d'observation utilisant un SAR est notifiée le 18 avril 1978. Les coopérants de DSP y sont AVS, la société italienne Selenia et la société allemande Dornier, futur maître d'oeuvre du programme ERS. Le chef de projet est Jean Rozes.
 
 

Une étude de phase A concurrente est menée par MSDS. Suite à cette phase A, DSP obtient de l'ESA, en 1979-80, des marchés d'étude complémentaires au niveau du système, ainsi qu'un marché pour une maquette simplifiée d'antenne pour la validation du programme de calcul.

Dans le même domaine, la Division ASM (Acoustique Sous-Marine) de Thomson-CSF obtient en 1980 un marché portant sur la préévaluation technologique de filtres dispersifs à onde de surface, et la Division Tubes Électroniques, associée à Selenia, obtient en 1979 un marché d'étude prospective sur les amplificateurs pulsés.

Enfin, la DTEN (Direction Technique des Engins) manifeste son intérêt dans le domaine en 1978 en confiant à DSP un marché d'étude de missions SAR à des fins militaires.
 

Le programme ERS 1


BotswanaC'est en 1981 que le Conseil de l'ESA, tenant compte des études de phase A effectuées dans le cadre d'un programme préparatoire, décide de mettre en oeuvre un programme optionnel de satellite d'observation de la Terre par des moyens radioélectriques, y compris le segment sol correspondant. Dans un programme dit «optionnel», les États membres sont libres de fixer le pourcentage selon lequel ils participent financièrement, et le programme ne peut démarrer que si le total des pourcentages atteint ou dépasse un seuil minimum habituellement au moins égal à 90 %, les quelques pour cent manquants faisant alors l'objet d'une négociation.

La France a décidé de participer au programme avec une part assez importante, de l'ordre de 20 à 25 %. Malheureusement pour Thomson-CSF, le CNES a proposé et obtenu, afin de réduire les coûts de développement de la plate-forme, d'utiliser pour ERS celle, déjà développée, de SPOT, sous la maîtrise d'oeuvre de MATRA.

Compte tenu de cet engagement, le reste de la contribution française est très insuffisant pour qu'une société française, en l'occurrence Thomson-CSF, puisse prétendre à la maîtrise d'oeuvre du SAR, qui doit être la partie principale de la charge utile.

La porte s'ouvre donc pour que le seul concurrent déclaré pour cette maîtrise d'oeuvre, MSDS, l'obtienne sans compétition.

Tenant compte de ce fait, et quelque regrettable qu'il soit, la Direction de DSP cherche à se positionner pour obtenir au moins quelques fournitures d'équipements dans le SAR.
 

La charge utile


Au début de 1981, la charge utile d'ERS est définie pour assurer trois missions :

- AMI (Active Microwave Imagery) ;

- altimètre ;

- OCM (Ocean Color Monitoring).
 
 

L'AMI comprend deux instruments, le SAR et le «wind scatterometer» (diffusiomètre). Le SAR a pour missions : l'observation du champ de vagues des océans, l'analyse de la banquise et une mission expérimentale d'imagerie terrestre. Ce radar à visée latérale et à ouverture synthétique fonctionne en bande C (5,3 GHz). 

SAR d'ERS 1 - Crédit ESA

Le «wind scatterometer» est un radar à ouverture réelle utilisable uniquement sur l'eau. Il doit effectuer des mesures sur l'interface air-mer, sa mission étant complémentaire de celle du SAR avec lequel certains équipements peuvent être mis en commun.

L'altimètre, radar fonctionnant en bande Ku (13,8 GHz), doit mesurer la hauteur des vagues. Au début de la phase B, sa présence à bord n'est pas garantie, il risque d'être éliminé pour des raisons budgétaires. Il est, malgré tout, maintenu dans la mission finale.

L'OCM doit utiliser un radiomètre passif multispectral, en particulier dans l'infrarouge, et ayant une faible résolution (de l'ordre de 800 mètres).

Un examen des compétences de DSP ainsi que de celles de la concurrence confirme que l'objectif doit être, avec l'aide des spécialistes de la Division AVS, d'obtenir la responsabilité d'un ou plusieurs sous-systèmes du SAR et la fourniture des équipements correspondants.

La phase B


À la fin de 1981, l'ESA se trouve en possession des résultats d'études de phase A pour l'ensemble du satellite et pour la charge utile et ses différents éléments.

Le coût du programme est évalué à 450 MUC, dont 280 pour le satellite. Le principal candidat pour la maîtrise d'oeuvre du programme est Dornier.

Les avant-projets pour l'AMI, établis aussi bien par Thomson-CSF que par MSDS, ont montré que le SAR et le diffusiomètre peuvent comprendre un certain nombre d'éléments en commun et doivent donc être considérés comme faisant partie d'un ensemble unique exploité selon plusieurs modes.

La pression de l'Allemagne, dont la participation financière au programme est majeure, incite l'ESA à désigner Dornier comme maître d'oeuvre sans mettre cette fonction en compétition.

Concernant l'AMI, le Département DSP de Thomson-CSF décide de s'allier à MSDS, qui est candidat à sa maîtrise d'oeuvre.

Au cours d'une réunion tenue le 6 janvier 1982 entre sir Peter Anson, de MSDS, assisté de Ian Mac Millan, et Jacques Chaumeron, Directeur de DSP, assisté de Jean-Claude Héraud et Yves Farbos, il est conclu et enregistré que les deux sociétés ont décidé de s'allier pour la phase B de l'AMI et souhaitent, pour des raisons économiques évidentes, n'avoir à préparer de futures propositions qu'à destination d'un seul maître d'oeuvre pour le satellite.

Suit alors un projet de partage des tâches et des fournitures, étant entendu que certains matériels peuvent être mis en compétition hors des deux sociétés, afin de satisfaire la loi du «juste retour» de l'ESA.

MSDS, maître d'oeuvre de l'AMI, accepte de partager à 50 % avec Thomson-CSF les tâches d'ingénierie du système. Pour les équipements, dans les grandes lignes, Thomson-CSF doit prendre la responsabilité de la partie radio-fréquences alors que MSDS se charge des matériels de traitement des signaux ainsi que de l'alimentation électrique.

La phase B commence en août 1982. Le chef de projet à DSP est Jean-Claude Anne, succédant à Jean Rozes qui n'a pas souhaité suivre le Département à Toulouse.

Dornier est maître d'oeuvre de l'ensemble du satellite et MSDS (Marconi) est maître d'oeuvre de l'AMI.

Dans ce dernier, Thomson-CSF a la responsabilité de cinq sous-systèmes :

- radio-fréquences (RF) ;

- amplificateur de puissance (HPA) ;

- calibrage ;

- «wind scatterometer» ;

- antenne.
 
 

L'équipe ERS 1 en 1984-1985. De gauche à droite Dominique Marquet, Christian bassoua, Robert Rouy, Claude Argagnon, Jean bouguet, Jean-Benoît Nocaudie, François Witrand, X., Jacques Osier, Patrick Martinot, Isabelle Polesel et Yvon Menard

À la Division DES, quelques difficultés apparaissent dans la mise en place d'une équipe de projet suffisante, la surcharge de travail des ingénieurs, chronique depuis 1980, n'étant pas encore résorbée, et la perspective de défections à l'occasion du transfert à Toulouse n'autorise aucun optimisme dans ce domaine.

À partir de la première revue du programme, la revue préliminaire tenue en décembre 1982, il est demandé à chacun des coopérants de fournir des estimations budgétaires des phases C/D pour les éléments dont il est responsable.

Bien qu'il soit assez habituel, dans ce genre de programme, que l'examen des premières estimations donne lieu à des passes d'armes entre le maître d'oeuvre et ses sous-traitants, il faut bien constater que ces dernières atteignent des sommets dans le cas du programme ERS.

Incluant celle fournie par Thomson-CSF pour sa propre part, la première estimation fournie par MSDS pour l'AMI atteint près du double de l'objectif de 70 MUC, l'objectif de prix pour le satellite complet étant de 230 MUC.

Thomson-CSF devient rapidement le bouc émissaire et se voit accusé d'être le principal responsable de ces dépassements.
 

Ensemble RF
Sous-système radio-fréquence (RF Sub-System) d'ERS

C'est là le danger habituel d'avoir à établir des estimations de prix alors que l'avancement technique des études de phase B ne fournit pas encore une définition suffisante des matériels. Ce danger, que Thomson-CSF a, à la suite d'expériences passées, probablement mieux perçu que MSDS, résulte du fait d'avoir à «naviguer», à ce stade du programme, entre deux positions extrêmes.

L'une consiste à présenter des estimations «tirées vers le bas» afin d'éviter un arrêt du programme par l'ESA, en raison d'un manque de ressources, mais avec le risque évident de se voir opposer ces estimations par le client lors de la négociation des prix de la phase C/D.

L'autre, choisie par Thomson-CSF, consiste, à partir de bases les plus réalistes possibles, à prendre une certaine marge de sécurité pour s'assurer contre le phénomène bien connu qui voit les prix augmenter progressivement lorsque les études révèlent des difficultés techniques non prévues au départ. Au cas très improbable où une partie de ces marges subsisterait après la fin de la phase B, elle serait fatalement éliminée au cours de la négociation de la phase C/D.

Le maître d'oeuvre Dornier, qui se voit répéter par l'ESA que, s'il devait coûter trop cher, «son» programme risquerait d'être abandonné, fait bien entendu pression sur son sous-traitant MSDS pour «tirer vers le bas» les estimations.

Tout en défendant ses propres estimations, MSDS répercute cette pression sur son sous-traitant Thomson-CSF, et même sur Dornier, qui est son sous-traitant pour l'antenne du SAR.

De revue de programme en revue de programme, de «management meetings» en «management meetings», les discussions orageuses se poursuivent entre les trois partenaires, accompagnées d'échanges de lettres et de Télex aigres-doux.

Lorsqu'on commence à discuter des plannings de la future phase C/D, Thomson-CSF se retrouve dans la même position, accusée de saboter le programme en affichant des délais trop longs. Visiblement, ni Dornier ni MSDS ne sont en mesure d'apprécier, à ce stade, que la partie des matériels dont Thomson-CSF doit assumer la responsabilité est celle qui présente le plus d'innovations et de difficultés techniques et technologiques.

Sur le plan technique, après un début difficile, l'équipe qui a été constituée sous la direction de Jean-Claude Anne réussit, à partir de la revue intermédiaire des 25 et 26 février 1983, à assurer de bonnes prestations, malgré quelques problèmes de compréhension avec l'équipe de MSDS qui finissent par être résolus grâce à un travail en «colocation» à Portsmouth.

Jean-Benoît Nocaudie, devenu le commerçant de l'affaire, succédant à Yvan Farbos qui n'a pas souhaité suivre le Département DSP à Toulouse, mène, en équipe soudée avec Jean-Claude Anne, la bataille des négociations de prix. Son chef de service, Alain Roger, avec son dynamisme bien connu, lui apporte son soutien dans les «coups durs».
 

Une proposition perdue… et regagnée


À partir de mars 1983, MSDS fait savoir que, suite à des consignes de l'ESA, il va consulter d'autres industriels que Thomson-CSF pour les équipements du sous-système RF.

Thomson-CSF demande à être informée de ces consultations en faisant remarquer qu'elles sont contraires à l'accord du 6 janvier 1982.

En avril, MSDS communique la liste des sociétés qu'il prévoit de consulter pour tous les matériels initialement affectés à Thomson-CSF :

- sous-système RF : Thomson/SPAR ;

- sous-système calibrage : Thomson/SPAR/LM Ericsson ;

- amplificateur de puissance (NPA) : Thomson/Dornier ;

- antenne du scatterometer : Thomson/LM Ericsson.
 
 

Depuis février 1983, Thomson-CSF a renforcé, pour le programme ERS, ses relations avec le CNES. Des réunions d'information ont lieu à Paris et à Toulouse. Le CNES, tenu au courant du déroulement et des difficultés de l'affaire, accepte de soutenir financièrement Thomson-CSF sur les technologies qui l'intéressent.

Les pourparlers se poursuivent jusqu'en juillet 1983 et il est finalement décidé que le CNES passera un certain nombre de marchés d'étude sur divers points critiques des sous-systèmes RF et calibration, pour un montant global d'environ 5 MUC, et s'étalant jusqu'à fin 1985. Ce montant doit venir en déduction du prix de la proposition pour la phase C/D qui sera remise à l'ESA via MSDS.

Pendant ce temps, la phase B se poursuit et s'achève par une revue finale les 8 et 9 mai 1983 à Toulouse.

Les équipes technique et commerciale de DES entament alors le travail de préparation des propositions pour la phase C/D, qui sont remises à MSDS le 15 juillet. Le seul concurrent qui apparaît alors est SPAR.

L'essentiel des exposés techniques qui doivent faire partie de ces propositions est contenu dans le rapport de fin de phase B, et il a donc été convenu avec MSDS que seules seraient remises une mise à jour de ce rapport ainsi qu'une matrice de conformité. C'est une erreur funeste, car les propositions sont examinées à l'ESA par un comité extérieur à l'équipe de projet, qui n'est apparemment pas en possession du rapport de fin de phase B.

La proposition de Thomson-CSF est donc jugée par ce comité comme beaucoup moins complète que celle de SPAR qui, n'ayant pas participé à la phase B, a fourni un document beaucoup plus détaillé.

Par ailleurs, les prix de Thomson-CSF et de SPAR dépassent l'objectif fixé par MSDS, mais Thomson-CSF est nettement plus chère que SPAR qui, encore en raison de sa non-participation à la phase B, n'a peut-être pas anticipé toutes les difficultés du programme.

Pour toutes ces raisons, Thomson-CSF se trouve éliminée du programme ERS. L'énorme malentendu dont elle a été victime lors de la préparation de la proposition ne peut que susciter de sa part de violentes protestations auxquelles le CNES accepte de souscrire.

Après un certain nombre de discussions, une réunion à haut niveau est organisée à l'ESA, le 12 septembre, entre des représentants de l'ESA, du CNES, de Dornier, de MSDS et de Thomson-CSF.

Vingt-deux personnes se trouvent autour de la table, parmi lesquelles Jean-Marie Luton, Directeur Général adjoint du CNES, le Dr Pfeiffer, chef du projet ERS à l'ESA, le Dr Ulke, membre du directoire de Dornier Systems, et Jacques Imbert, alors Directeur de la branche Télécommunications de Thomson-CSF. Seul MSDS n'a pas envoyé de directeur. Sa délégation est composée du chef de projet ERS, Ian Mac Millan, et du commerçant de l'affaire, M. Ellingham.

Dans la délégation de Thomson-CSF, Jacques Imbert est assisté de Gérard Coffinet, Jacques Chaumeron, Alain Roger, Jean-Claude Héraud et Jean-Claude Anne, tous de la Division DES, ainsi que d'un juriste du siège social, car on ne prend jamais assez de précautions dans une telle affaire.

Après que chacune des parties a exposé son point de vue et que les discussions se sont poursuivies pendant près de deux heures, il apparaît clairement que la France ne participera probablement pas au financement d'ERS si Thomson-CSF n'est pas retenue pour la fourniture d'une part «substantielle» de l'AMI. C'est un risque mortel pour le programme.

Devant cette constatation, le débat est rapidement clos et il est demandé à Thomson-CSF de fournir, dans un délai de cinq semaines, une proposition, cette fois-ci complète et conforme aux critères de l'ESA. Un échange de lettres entre les différents dirigeants confirme ensuite cet accord.

La fin de l'été, qui coïncide avec le transfert de l'ensemble de la Division DES de Thomson-CSF à Toulouse, est donc consacrée à la réécriture de cette proposition. 

Jean-Claude Anne conduit cette opération avec trois sous-systèmes de l'AMI en vue : le «RF subsystem» - le coeur du radar, générant les impulsions et les recevant - (responsable technique Benoît Durand, avec le soutien de Jacques Richard, pour les problèmes de traitement du signal) ; le «calibration subsystem», dont la fonction est de permettre l'exploitation des images radar grâce à des références stables (responsable Yvon Menard) ; enfin, le «HPA, High Power Amplifier», tube bande C capable de délivrer des impulsions de 5 kW crête, et son ensemble d'alimentation (responsable technique Alain Corain). 

Cet été d'efforts laissera quelques souvenirs tenaces au sein de l'équipe, parmi lesquels les visites de Philippe Blanchet, venu soutenir le moral des troupes qui n'ont ni horaires ni week-ends, comme il se doit !

L'effort n'aura pas été vain car Thomson-CSF/DES se voit attribuer deux des trois sous-systèmes : le «RF» et la «calibration», Dornier se réservant le «HPA».

Cette satisfaction est très théorique et à court terme, car ERS ne démarre pas, faute de financement. Après une extension de la phase B, pour quelques semaines, l'ESA se voit obligée de renoncer au financement de certaines équipes, dont celle de Thomson-CSF.

La version finale de la proposition de DSP a été livrée le 17 octobre 1983. Elle est particulièrement volumineuse si l'on en croit les chiffres révélés à l'époque par le chef de projet :

- poids d'un exemplaire : 53 kilos ;

- hauteur de la pile : 1,5 mètre ;

- nombre total de classeurs utilisés : 325 gros, 50 moyens, 125 petits.
 
 

Le nombre d'exemplaires et les destinations sont :

- ESA : 10 exemplaires / 530 kilos

- MSDS : 6 exemplaires / 318 kilos

- Dornier : 1 exemplaire / 53 kilos

- CNES Toulouse : 2 exemplaires / 106 kilos

- CNES Paris : 1 exemplaire / 53 kilos

- DES-DSP : 5 exemplaires / 265 kilos
 

Les actions remontent


L'une des raisons du non-démarrage du programme est son coût, de l'ordre du milliard d'unités de compte, qui fait peur à certaines délégations. D'autres sont insatisfaites du retour industriel qui s'annonce et ne donnent pas leur accord a priori. Patiemment, les promoteurs du programme à l'ESA résolvent les problèmes et, fin 1983, début 1984, le financement de l'Agence réapparaît pour une préphase C de six mois. Celle-ci est encourageante pour la suite de l'affaire car son coût est déductible de celui de la phase C/D, à la demande, très formelle, de l'ESA.

L'équipe de DES se reconstitue peu à peu autour du nouveau chef de projet, Claude Argagnon, qui voit son futur projet passer par tous les stades, y compris celui de la mort clinique : «Le projet ERS n'existe pas, M. Chaussedoux l'a dit !», s'est-il, en particulier, fait dire à l'entrée du bureau d'études.

C'est finalement un Conseil de l'ESA, tenu les 28 et 29 novembre 1984, qui décide la poursuite du programme et la mise en oeuvre de la phase C/D. Le «kick off» est donné par Dornier le 4 décembre 1984 et la réunion de «kick off» entre MSDS et ATES a lieu en janvier 1985.

La préphase C/D a pour but de régler quelques problèmes système (à quoi sert donc le calibrage ?) : s'attaquer aux points durs de la conception, mobiliser les fournisseurs pour un éventuel démarrage, etc. 

Parmi les craintes initiales des ingénieurs figure en particulier l'effet «Multipactor», phénomène d'arrachement d'électrons qui peut devenir résonant sous certaines conditions, interrompre le signal et éventuellement dégrader l'état de surface des guides ou dispositifs hyperfréquence. L'impulsion de 5 kW crête cause bien des soucis, et la réalisation d'un banc de test susceptible de délivrer réellement la puissance est à l'ordre du jour.

Alcatel Thomson Espace, intéressée par la perspective de disposer de ce site d'essais, fait une proposition en ce sens à l'ESA avec l'entreprise Dateno et un tubiste américain. Elle n'aura pas de suite, du moins pour elle. C'est finalement le «projet» qui, sur les «retours» français, paye cette installation aux Anglais, à Dateno et au tubiste américain. Un mauvais goût restera un certain temps dans la bouche de l'équipe Alcatel Thomson Espace.

En ce qui concerne le matériel qu'ATES s'apprête à fournir ou à acheter à des partenaires européens, les éléments critiques sont français. Il s'agit notamment des lignes à ondes de surface, filtres dispersifs réalisant, à l'émission, l'étalement de l'impulsion radar avant amplification de puissance et, à la réception, sa compression après préamplification. Thomson-CSF/DASM (Valbonne) doit réaliser ces composants, et Jacques Richard part les rejoindre. 

Pour sa part, au titre des équipements, ATES doit fournir une enceinte thermostatée de haute précision pour garantir la stabilité des performances, et toute l'électronique associée. 

Thomson-CSF Montreuil a en charge les commutateurs en guide à ferrite qui, mis en anneau de six, permettent d'assurer les redondances de HPA et les interfaces avec les différentes antennes de l'AMI (véritable couteau suisse de l'espace, avec trois antennes «scatt» et une antenne SAR), ainsi que les limiteurs, destinés à isoler les récepteurs pendant l'émission de l'impulsion. Comme un radar doit recevoir exactement la fréquence d'émission, au Doppler près, cette fonction, qui ne peut être réalisée par filtrage, est vitale. 

Thomson Montreuil a proposé un dispositif très performant qui élimine automatiquement toute impulsion dépassant un certain seuil, grâce à l'autopolarisation instantanée de diodes PIN. L'électronique proprement dite, notamment la partie à fréquence intermédiaire, doit être étudiée concurremment par Thomson-CSF/AVS (Malakoff) et ATES.

En particulier, la technologie «CMS» (composants montés en surface), maîtrisée par Malakoff pour l'avionique, doit, pour la première fois, être spatialisée par Toulouse.

Depuis la fin de 1983, la séparation entre la Division Espace et Thomson-CSF a commencé pour aboutir à la création d'ATES.

Les relations avec la Division AVS de Thomson-CSF, qui a apporté une assistance technique dans le domaine radar, doivent donc être définies d'une manière plus formelle qu'elles ne l'ont été au sein d'une même société. Un accord est négocié dans ce sens, non seulement pour le programme ERS 1, mais également pour tout ce qui peut concerner, dans l'avenir, les radars embarqués à bord des satellites.

Cet accord, signé le 5 juin 1985, s'inscrit dans le cadre de l'accord général signé entre la CGE et Thomson, où il est précisé que le domaine des matériels embarqués à bord de satellites est attribué à la CGE, Thomson-CSF conservant, bien entendu, son expertise dans le domaine des radars. Outre ce domaine particulier, il couvre également celui des matériels de visualisation dérivés de ceux développés pour Spacelab, les techniques de pointage utilisant le laser, les méthodes de localisation, de pointage et d'accostage pour les véhicules spatiaux, et l'utilisation de l'infrarouge et de l'holographie.
 

L'équipe industrielle


Parmi les fournisseurs européens d'ATES choisis pour les nécessités de retour industriel du fait du financement du programme ERS, il faut signaler deux faux départs. D'une part, Bell Telephone à Anvers, sollicitée pour réaliser le banc de test intégration du «RF subsystem», annonce que, surchargée, elle déclare forfait mais propose une société suisse, CIR, à Gals. D'autre part, Christian Rovsing, retenu pour réaliser quelques convertisseurs d'alimentation et le «Switch matrix controller», dépose son bilan. On fait alors reprendre les engagements de l'ancienne société par la nouvelle.

Les partenaires d'ATES comptent, outre les sociétés susmentionnées, Ericsson, chargée de réaliser les convertisseurs FI/RF et le générateur de fréquences, dont l'oscillateur ultrastable sera fourni par FEI.

Côté client, trois étages hiérarchiques s'occupent d'ATES : Marconi, Dornier et l'ESA. Marconi (MSDS : Marconi Space and Defence Systems) deviendra plus tard Matra-Marconi Space, et son usine de Portsmouth se partage entre le spatial et les torpilles, usine que le «groupe projet» local ignore jusqu'à l'achèvement de nouveaux bâtiments. 

Pendant deux ans, l'équipe ERS est logée en plein Portsmouth, face au port et à l'entrée de l'arsenal, dans un bâtiment de bureaux en location appelé «Warrior House», du nom du premier vapeur de la marine britannique, visitable et mouillé à quelques mètres de ces bureaux. 

Mais à l'époque, l'amateur de marine a quand même de quoi faire. Qui des visiteurs de l'équipe ERS de Marconi n'a pas «séché» une fois le repas de midi pour visiter, au sein de l'arsenal, le Victory, toujours officiellement en service, mais en cale sèche, et le Mary Rose, coulé devant l'île de White par son surarmement qui l'a rendu instable, et repêché quelques siècles plus tard en assez mauvais état.

Marconi est responsable de l'instrument AMI (Active Microwave Instrument), et dans ce cadre est le client direct. Ses activités industrielles, hormis le management, l'ingénierie et l'intégration de l'instrument, portent sur la réalisation de l'équipement de gestion de l'instrument en mode SAR et de numérisation du signal reçu, le SAR Processor, monstre (pour l'époque, où les «Asics» n'existent pas) avec ses 50 kilos d'électronique et sa face avant couverte de connecteurs. L'intégration de l'instrument est faite à Portsmouth, ainsi que les essais de «Multipactor».

Une tradition sur ERS 1 semble être le choix du chef de projet-instrument parmi les Écossais. D'abord, c'est Bill Jackson, un instant remplacé par Ian Mac Millan, et finalement remplacé par Joe Mac Caughey.

Dornier, à Friedrichshafen, est responsable de l'ensemble du satellite, et donc le client de Marconi. L'interlocuteur d'ATES est pendant la durée de l'affaire Hermann Bottger, secondé par un autre ingénieur, qui est, pendant un temps, Félix Petz, aujourd'hui à l'ESA, à qui succédera Jurgen Fritz.

L'équipe ESA de l'AMI est pilotée par un Allemand, Georg Graf, secondé par deux Anglais, Bob Gelsthorpe et David Hounam, et un Espagnol, Juan Guijarro. Il n'y a pas, pour ainsi dire, de réunion contractuelle, avancement, revue, mise en recette, etc. chez ATES ou l'un de ses fournisseurs sans que les trois organismes clients participent, et souvent à plusieurs ingénieurs.
 

La bataille des spécifications


Dès le démarrage, ATES est en retard, ce qui est humain ! Ce qui l'est moins, c'est la situation des clients. La définition du système est peu mûre et l'encre pour écrire des spécifications se fige, en particulier chez Marconi.

L'équipe projet toulousaine est prise en étau entre des laboratoires qui affichent des délais peu conformes à ce que demande le client et exigent de voir figer leurs demandes, et le client qui trouve assez prématuré de s'avancer à préciser ce qu'il veut, tout en souhaitant être livré à l'heure.

Elle doit donc investir dans la rédaction des spécifications Alcatel en prenant en compte sa connaissance de l'état technique du projet, et indiquer au client que faute d'autre chose de sa part, ou d'un signal d'arrêt clair, c'est sa base technique qui deviendra contractuelle.

Marconi ne revient vers ATES qu'un an après avec un document de son cru pour chacun des sous-systèmes. Il y a, bien sûr, des écarts à chaque ligne, ou presque. Plusieurs mois sont nécessaires, des séminaires ad hoc et l'action des clients de rang supérieur pour qu'un accord soit trouvé. Celui-ci entraîne une vague de demandes de modifications contractuelles qui s'ajoute à celle liée au démarrage chaotique de l'affaire. 

Ces deux premières vagues sont traitées dans le cadre de la négociation du contrat de phase C/D qui règle le sort d'une soixantaine d'entre elles. Sur la totalité de la durée de l'affaire, plus de cent modifications contractuelles seront émises, et une quantité raisonnable d'entre elles acceptées avec un délai moyen de l'ordre d'un an.
 

Le contrat de phase C/D


Compte tenu du risque technique de l'affaire et du manque de références techniques tant du client ESA que des industriels, le contrat de phase C/D est pour les principaux contractants un contrat en dépenses contrôlées avec intéressement. ATES peut bénéficier d'un tel contrat.

Ses fournisseurs, dans le groupe Thomson ou ailleurs, ont par contre des contrats à prix fixes. Il faut plus d'un an pour conclure les accords sur les conditions des contrats avec les fournisseurs, l'ESA intervenant directement dans la phase finale de négociation des prix, quel que soit le niveau du fournisseur dans l'organisation du projet. 

En ce qui concerne ATES, le problème le plus difficile à résoudre est celui des taux horaires, bien plus important que les multiples modifications identifiées depuis l'offre, le gonflement de devis que le contrôleur de projet François Witrand recueille, ou le montant même du prix objectif à atteindre, point de départ du calcul de l'intéressement.

En effet, les taux horaires ont à peu près doublé depuis la proposition, car à l'époque l'activité spatiale n'est qu'un département d'une division de Thomson dont elle reprend les EGC (éléments généraux de coûts) établis sous le contrôle de l'Administration. La filialisation et le transfert à Toulouse, avec des moyens techniques et industriels adaptés mais spécifiques, ont eu un impact certain sur les taux horaires. C'est une chose à faire accepter à l'ESA, car dans un marché en dépenses contrôlées, le taux horaire est un facteur commun de toutes les recettes.

La négociation conduite par Jean-Benoît Nocaudie dure de longs mois au terme desquels les taux proposés sont acceptés par le client, grâce au soutien du CNES et de la DGA. L'ESA fait même preuve de bienveillance dans la fixation des termes des intéressements, notamment sur les points techniques où il est possible de faire «carton plein». Toutefois, un désaccord concernant l'intéressement de «solidarité» sur les performances en vol du satellite reporte à plus tard la signature du contrat.

Toute la phase C/D est en fait financée par des engagements provisoires de l'ESA (Limit Of Liability), et le contrat final n'est signé que très peu de temps avant le lancement du satellite.
 

La bataille des plannings


Le programme a démarré d'une manière classique : tout le monde est déjà en retard. Notamment, Alcatel Thomson Espace, qui affiche des délais très importants pour le développement des équipements les plus complexes : «calibration unit» et «IF radar», tous deux contenant des dispositifs à ondes de surface dans des enceintes thermostatées et ayant recours à la technologie «CMS». 

Et encore, le chef de projet ne montre pas ce que le Département Équipement lui transmet, mais ce qu'il souhaite obtenir ! À cette époque, il apprécie tout particulièrement Ericsson qui n'éprouve aucune difficulté à fournir des plannings conformes aux exigences de l'affaire, et il les donnerait volontiers en exemple à la Division Équipement (DEQ). Il est vrai que l'équipe est encore jeune dans le métier ! 

Les livraisons de maquettes fonctionnelles et les «PDR» (Preliminary Design Review) se passent à peu près bien pour tous les fournisseurs, et le test en intégration du «RF system» commence. Cette opération, heureusement non contractuelle et en temps masqué par rapport aux travaux sur les MI (modèles d'identification) contractuels, dure le temps nécessaire pour que le banc de test livré par CIR fonctionne, c'est-à-dire un bon semestre et quelques nocturnes. Le peloton commence à s'étirer pour les livraisons de MI et les «CDR» (Critical Design Review).

Les vrais ennuis apparaissent alors : Ericsson revendique la place du cancre. «Unfortunately…» est la formule de reporting la plus fréquente. Thomson Montreuil a des ennuis techniques sérieux sur son limiteur miracle : les diodes, leur technologie d'assemblage, le montage, le «multipactor», tout y passe. 

Le «circulator assembly» apparaît critique pour d'autres raisons, il faut d'abord trouver le bon «ferrite», qui encaisse la puissance mais présente peu de pertes. Gérard Forterre trouve finalement la bonne formule, avec juste ce qu'il faut de dysprosium. En parallèle, la réalisation des modèles de vol devrait démarrer.

L'ESA a mis en place sur cette affaire une centrale commune d'approvisionnement de composants, afin d'ouvrir le programme aux industriels de petite taille incapables d'approvisionner dans des conditions économiques des composants «Hi-rel», et, pour «amortir l'opération», l'a rendue obligatoire pour tous. ATES a dénoncé cette approche, mais, devant la pression de l'ESA, s'est inclinée, à l'exception des transpondeurs pour lesquels l'approvisionnement des composants est fait globalement par tranches de cinq équipements. 

La plupart des composants doivent être fournis par l'une des deux centrales retenues, IGG (Grande-Bretagne) pour les composants européens, et TRW pour les composants US et japonais. Comme les dates de besoin des différents équipementiers sont très proches, il en résulte un embouteillage des centrales, aggravé par les évolutions des listes, et les retards dans les expressions de besoins. 

À l'heure où le câblage devrait commencer, malgré la gesticulation de rigueur auprès des agences, les magasins de Toulouse sont vides. C'est alors que, dans l'intérêt suprême du programme, ATES propose d'ouvrir ses tiroirs et d'utiliser ses composants en stock, reliquats d'affaires précédentes, pour avancer le câblage des équipements critiques, avec l'avenant correspondant qui est accepté.
 

Un nouveau fournisseur


Les nouvelles de Montreuil sont mauvaises depuis un certain temps, en ce qui concerne le limiteur. Les diodes «de vol» ont pu être fabriquées mais la structure porteuse, l'équipement proprement dit, est percluse de problèmes mécaniques, maintien des diodes, multipactor, dégazage, etc. L'ESA s'inquiète sérieusement du fait que les problèmes se multiplient alors que les solutions se font attendre. 

L'équipe de Toulouse est convaincue de la viabilité du principe, elle l'est moins des talents de l'équipe de Montreuil. La question d'une solution alternative est de plus en plus précisément évoquée, et Alcatel Thomson reçoit l'action d'instruire le dossier. MaCom GB, qui avait réalisé un commutateur pendant la phase des prédéveloppements, et EMS (Atlanta) sont alors consultés. 

Il faut abandonner la solution automatique pour une solution commandée, moins simple mais ici plus facile à maîtriser techniquement. Cela entraîne quelques modifications dans le harnais et le séquenceur. EMS est choisi, et après d'âpres discussions où ATES doit se faire prier pour admettre la nécessité d'une solution alternative, il est admis que le contrat EMS sera payé par l'ESA, les modifications du reste de la charge utile devant être payées par Alcatel si Thomson Montreuil reste défaillante, ou par l'ESA si le matériel Thomson est fourni et qualifié en temps utile. 

Cette décision soulage tout le monde, et l'ESA est assez surprise de voir avec quel dynamisme l'équipe de Toulouse met les choses en place ! Quant à Montreuil, devenu Tekelec, il rate largement le train ERS 1. Si la livraison d'un limiteur de vol qualifié a lieu avant le tir ERS 2 et est fêtée dignement par une soirée au Paradis latin, l'ESA ne fait pas l'effort de le monter en remplacement du matériel EMS déjà en place.
 

Migrations


C'est à peu près vers l'époque de la livraison des MI que le chef de projet se trouve confronté à un problème particulier : la fuite de ses équipes vers l'ESA. Elles y sont encore de nos jours. Yvon Menard, responsable du calibrage ; Christian Bassoua, responsable EMC ; Bruno Naulais, ingénieur intégration ; Jean-Luc Gerner, qui fait la conception de la «FI radar», tous quatre prennent le chemin de Noordwijk. 

Cette vague est d'une certaine manière le pendant de la vague d'embauches par ATES de personnels de l'équipe Observation de l'ESA, lorsqu'elle fut transférée de Toulouse à Noordwijk en 1983.
 

L'enlisement nordique


Les soucis en matière de livraison de matériel se focalisent très vite sur Ericsson, les MI sont particulièrement en retard et doivent être profondément modifiés pour être acceptés ; pour les MV (modèles de vol), la conception n'est pas davantage maîtrisée, et les règles de qualité font obstacle aux solutions retenues pour faire marcher les MI. L'équipe locale, très jeune et très dynamique, n'a pas son pareil pour boire les paroles des visiteurs mécontents, reconnaître ses torts, prendre toutes les actions possibles… et, apparemment, ne rien faire jusqu'à la prochaine visite.

Devant cette technique de l'édredon, il reste l'arsenal habituel : «management meeting» à l'ESTEC, mise en place d'un résident (de nationalité française), missions hebdomadaires («unfortunately» se dit «Tüvair» en suédois, le chef de projet de l'époque s'en souvient encore !), étude de solutions alternatives, tout cela continue jusqu'au lancement. L'intégration des sous-systèmes se fait en grande partie sans le matériel de vol Ericsson, qui est livré au dernier moment.
 

Après la livraison


Les dernières livraisons des modèles de vol d'ATES ont lieu courant 1989.

Il est possible de revoir ERS à Toulouse quand le satellite complet est testé dans les installations d'Intespace, puis il part à Kourou. Le premier créneau de tir prévu pour le 3 mai 1991 est, suite à une alerte sur le système de propulsion d'Ariane, repoussé de deux mois jusqu'au 16 juillet, où le vol 44 quitte la Guyane. 

Quelques jours après, l'ESA publie la première image radar : une vue des côtes de Hollande faite indépendamment de la couverture nuageuse. On peut contempler les structures dessinées par la variété des gris de la mer, en fonction du niveau des vagues, des courants et des sillages de navires. Les antennes de l'AMI se sont bien déployées, et l'instrument fonctionne dans sa totalité. Plusieurs années d'efforts sont récompensées. Et puis, pour les amateurs de formalisme, on peut signaler la signature du contrat en juin 1991. C'est quand même avant le tir, mais il faut qu'Ariane y mette du sien.
 

ERS 2, le frère cadet


Remplissage ERS 2 - Crédit ArianespaceUn deuxième satellite est, à l'origine, prévu en option. Les difficultés de financement l'ont fait rapidement disparaître des plans et des budgets. Le succès technique d'ERS 1 incite l'ESA à lancer la réalisation d'un deuxième modèle de vol.

Côté ATES, pour s'accommoder du budget français disponible après la prise en compte de la plate-forme MATRA, il faut trouver des économies ou des transferts. ATES se limite à fournir des équipements non intégrés, Marconi prenant à sa charge l'intégration des sous-systèmes sur le panneau, ainsi que le management des sous-traitances d'Ericsson, en soulignant que l'affaire Eutelsat les oblige par ailleurs à être très présents à Goetoborg, chez Ericsson qui est l'un des fournisseurs. 

De même, Alcatel Kirk voit ses tâches augmentées par la fabrication sur plans, dite «built to print», de la paire de séquenceurs et des convertisseurs d'alimentation des équipements «calibration et IF radar», naguère produits par Toulouse.

Roger Saturnin est désigné chef de projet, et la phase C/D débute à l'automne 1990 avec un contrat à prix fixe qui est signé début avril 1992.

Mise de la coiffe - Crédit ArianespaceBien qu'en principe identique à son frère aîné, ERS 2 a droit à quelques ennuis inédits. L'un d'entre eux est, après la perte d'une broche de connecteur sans raison apparente, le rebut complet des dispositifs à ondes de surface modèles de vol produits par Thomson/DASM, victimes de «stress corrosion», suite à un nettoyage malencontreux avec un produit chloré. 

Le «circulator assembly» MV2 est, lui aussi, rebuté suite à une intervention malheureuse. Cette pièce imposante ne pouvant être refaite dans les délais, c'est le modèle de rechange, précédemment écarté pour ERS 1, qui est choisi et qui vole. ATES a la satisfaction de livrer avant Ericsson qui, dans l'ensemble, n'a pas démérité sur ce contrat et apporté un certain nombre de solutions à ses difficultés précédentes. 

Le satellite est lancé le 21 avril 1995. Quand sa recette commence, quelques difficultés se font jour. Notamment, des arrêts de l'instrument en mode imageur sont observés. L'enquête montre que le dispositif de protection du radar contre un TOS trop élevé de la voie émission n'est pas réglé comme il faut. Petit savoir-faire qui n'a pas traversé la Manche ? Quoi qu'il en soit, il faut apprendre à vivre avec ce défaut. Par ailleurs, de l'effet «Corona» est observé dans les tout premiers temps de la vie orbitale de l'instrument, problème attribué à un dégazage insuffisant du satellite à la première mise sous tension.

Depuis cette date, la principale menace qui pèse sur les deux satellites est sans doute la suppression possible d'une ligne budgétaire suffisante pour que l'ESA puisse assurer les opérations nécessaires à leur usage en orbite, lesquels n'ont aucune vocation commerciale, contrairement au programme canadien Radarsat, mis en orbite après les deux ERS.

ERS en vol

Les transpondeurs d'ERS


En parallèle avec les péripéties qui marquent la fourniture des sous-systèmes de l'AMI, ATES doit fournir, pour les satellites ERS 1 et ERS 2, les transpondeurs du sous-système TM-TC de la plate-forme. Celle-ci étant la même que pour les satellites SPOT où ATES a déjà été retenu pour cette fourniture, il n'y a aucune compétition et l'affaire ne donne lieu à aucun problème particulier.

Deux modèles de vol et un modèle de rechange de transpondeurs de la première génération sont livrés pour ERS 1.

Pour ERS 2, la deuxième génération de transpondeurs existe déjà, mais certaines interfaces étant différentes, des modifications ont été nécessaires. Par mesure d'économie, l'ESA n'accepte pas cette solution et se contente d'utiliser le modèle de rechange déjà livré pour ERS 1 et de commander un seul modèle de vol supplémentaire de la première génération.

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