6 - Les programmes de satellites
6.4 - Les programmes militaires
L'environnement initial
Contrairement au domaine des applications civiles des satellites
auquel le CNES donne une impulsion significative dès sa création
en 1962, l'utilisation des satellites à des fins militaires ne suscite,
en France, avant la fin des années soixante-dix, que peu d'intérêt,
tout au moins apparent, auprès des autorités qui pourraient
être concernées.
Certes, le domaine des lanceurs, qui représente une suite logique
aux importants efforts consentis dans celui des missiles balistiques, donne
lieu aux remarquables développements qui aboutissent, dès
1965, à la mise en oeuvre du premier lanceur de la série Diamant.
Le soutien des agences militaires à ce programme est sans aucun
doute décisif pour son succès mais il faut noter, malgré
tout, qu'aucun lanceur Diamant n'aura l'occasion de mettre en orbite
un satellite d'application militaire.
Dès 1962, Vladimir Altovsky, à la tête du Bureau
des Activités Spatiales de Thomson, et les commerçants de
plusieurs unités ont commencé à rendre de fréquentes
visites à des agences telles que la DRME (Direction des Recherches
et des Moyens d'Essais) ou la DTEN (Direction Technique des Engins) pour
proposer des études liées aux applications militaires des
satellites. Du côté de CSF, avec Jean-Claude Simon à
la tête du groupement d'études spatiales, des démarches
analogues ont, bien entendu, été effectuées.
Pendant un certain nombre d'années, les résultats sont
maigres car seul l'intérêt exprimé des états-majors
pourrait encourager les responsables des organismes d'études, dont
la bonne volonté est évidente, à consacrer des crédits
substantiels aux études en question.
Les études préliminaires
Pour tenter d'éveiller cet intérêt, quelques
études de faisabilité sont entreprises. Les orientations
choisies oscillent périodiquement entre plusieurs applications :
l'observation, l'écoute radioélectrique et les télécommunications,
sans qu'une ligne directrice continue ne puisse être établie
en faveur de l'une d'elles.
La première étude de quelque importance, baptisée
Sarah, qui est confiée à Thomson en 1965, porte sur
l'écoute et l'identification des émissions radioélectriques,
et plus particulièrement sur celle des radars implantés dans
les pays de l'Est. Comme il a déjà été exposé
au chapitre consacré au début des activités spatiales
à Thomson, elle est effectuée en collaboration par la Division
RTT (Radiodiffusion, Télévision, Télécommunications)
de Gennevilliers et le GSER (Groupement Systèmes Électroniques
et Radars) de Bagneux.
L'espoir de projets aboutissant à des réalisations concrètes
se fait attendre. Une enquête effectuée en 1970 par la DAM
(Direction des Affaires Militaires), dirigée par Raymond Paul, révèle
qu'aucun programme de satellite d'application militaire ne pourra être
décidé avant 1975.
Parmi les études envisagées à cette date figurent
:
- une suite possible, sous la forme d'étude des procédés
d'accès multiples, à une étude de satellite de télécommunications
militaires dérivé de Symphonie, passée par
la DRME et baptisée Artemis ;
- une étude, baptisée Sytosat, d'un satellite destiné
à doubler les moyens de transmission de l'ordre de mise à
feu des armes nucléaires ainsi que de l'ensemble du système
comprenant des stations terriennes. Pour cette étude, qui doit en
principe utiliser au maximum des éléments du satellite Symphonie,
le client recommande une collaboration entre Thomson-CSF et l'Aérospatiale
;
- une étude des moyens à mettre en oeuvre pour l'utilisation,
à des fins de localisation, des signaux des satellites américains
Transit ;
- un avant-projet de satellite d'écoute des émissions
radioélectriques, baptisé Satrape, pour lequel Thomson-CSF
a quelques chances d'obtenir la maîtrise d'oeuvre.
La proposition pour l'étude Satrape est remise à
la DTEN (par la Division MAS) au début de 1970. Elle comprend une
participation de MATRA pour la définition du satellite.
Par la suite, en octobre 1970, et avant que le marché ne soit
passé, MATRA fait savoir qu'il ne souhaite plus collaborer avec
Thomson-CSF.
Entre-temps, le Département ESA a été créé
et c'est le Service Systèmes Spatiaux, dirigé par Claude
Skenderoff, qui est chargé de l'étude.
Un autre marché, dérivé du projet Sytosat,
porte sur la «transmission d'ordres par satellite».
Durant les quelques années qui suivent, les actions commerciales
entreprises sont quelque peu compliquées par des imprécisions
sur l'attribution des diverses responsabilités au sein de Thomson-CSF.
Au siège, par exemple, dont l'organisation nouvelle a été
mise en place à l'occasion de la fusion de Thomson et de CSF, le
Bureau des Activités Spatiales (BAS), chargé de la promotion
dans le domaine spatial, dépend de la Direction des Affaires Civiles
(DAC), dirigée par Marc de Saint-Denis. Les affaires militaires
sont prises en charge par la Direction des Affaires Militaires, dirigée
par Raymond Paul. Il faut quelque temps pour que, à la lumière
de l'expérience, les actions de ces deux organismes en arrivent
à se coordonner et à éviter toute interférence
nuisible au succès des démarches.
D'autre part, si l'attribution du domaine des satellites, civils ou
militaires, au Département ESA est incontestée, il n'en est
pas de même pour les études concernant le segment sol et quelques
aspects «système».
Le système NICS-Satcom de l'Otan est en cours de réalisation
et l'affaire est suivie par la Division Systèmes Électroniques
(DSE).
Si, dans ce système, Thomson-CSF n'a aucun espoir raisonnable
de participer à la construction d'éventuels satellites, qui
doivent être américains, il n'en est pas de même pour
le segment sol.
La DSE est chargée de suivre ce programme. La Marine nationale,
par l'intermédiaire du STCAN, exprime un certain intérêt
pour l'étude d'une station embarquée.
Elle suit également de près la possibilité d'utiliser,
pour ses liaisons, le satellite militaire britannique Skynet, soit
en faisant développer des stations en France, soit en achetant des
stations déjà développées à l'industriel
anglais Marconi. Il semble inutile de préciser que l'éventualité
de la seconde solution provoque une vive réaction de la part de
Thomson-CSF.
Un problème se pose au sein de Thomson-CSF quant à la
responsabilité du développement de telles stations car, si
le pilotage de ce genre d'affaire militaire a été, en principe,
attribué à DSE, le groupement d'intérêt économique
Telspace a été spécialement créé pour
recevoir les marchés de stations terriennes, tout au moins dans
le domaine civil.
Après quelques échanges de notes suivis de négociations,
DSE se voit confirmer la responsabilité du pilotage, étant
entendu qu'elle sous-traitera certains travaux aux unités compétentes.
C'est ainsi que la Division Télécommunications
(DTC) prend en charge l'étude des modems SSMA.
La Division DSE peut finalement, après de longs efforts, obtenir
du SCTI un marché pour la réalisation d'une maquette de station
terrienne baptisée Sextius et fait, pour cela, appel à
la collaboration des Divisions DFH, DRS (Radars de Surface) et DTE (Tubes
Électroniques). Cette station est installée sur le site du
CELAR, près de Rennes, et exploitée en «calibration»
sur le satellite Symphonie. Les suites de ce programme sont mentionnées
au chapitre SYRACUSE. Le chef de projet est Robert Ouriou.
Sur le plan général, la coordination des démarches
commerciales est d'autant plus difficile à mettre en oeuvre que les
organismes d'études susceptibles d'intervenir à plus où
moins long terme dans le domaine spatial sont relativement nombreux : DRME
(Direction des Recherches et Moyens d'Essais), DTEN (Direction Technique
des Engins), STTA (Service Technique des Télécommunications
de l'Air), SCTI (Service Central des Télécommunications Interarmes),
STCAN (Service Technique des Constructions et Armes Navales), et, enfin,
CELAR (Centre d'ÉLectronique des ARmées).
À son niveau, et tout en s'efforçant de maintenir un minimum
de coordination avec la DAM, le Service Commercial du Département
ESA maintient un contact quasi permanent avec la plupart des services ci-dessus
et parvient à obtenir quelques marchés d'étude.
On peut citer, en particulier :
- pour la DRME, un marché d'étude d'un avant-projet de
satellite militaire de télécommunications ;
- pour la DTEN, un marché d'étude des nuisances causées
à la Défense nationale par l'utilisation des satellites.
Les deux marchés sont obtenus en 1973.
Certaines actions commerciales sont menées en liaison avec l'Aérospatiale
qui, depuis 1973, a entrepris la promotion d'un futur lanceur, baptisé
LS434, et de charges utiles potentielles pour ce lanceur.
L'Aérospatiale mène, auprès du SCTI, une action
commune avec Thomson-CSF pour promouvoir un satellite militaire de télécommunications
léger (70 kilos) adapté à ce lanceur.
La réalisation de ce satellite est proposée pour un début
en 1976 et pourrait être suivie, à partir de 1985, par celle
d'un satellite «lourd» adapté à un lanceur lourd
baptisé L3S.
Au milieu de 1974, l'Aérospatiale organise aux Mureaux, avec
la participation de Thomson-CSF, dont le Département ESA, une présentation
du projet de satellite militaire léger de télécommunications
à laquelle sont notamment invités des représentants
des états-majors.
Les résultats en sont décevants, un certain nombre des
invités ayant nettement indiqué que l'utilisation de satellites
pour les transmissions militaires paraissait beaucoup trop onéreuse
en comparaison avec les services qui pourraient être rendus. Par
exemple, les liaisons avec Djibouti sont, de l'avis de l'un d'entre eux,
suffisamment bien assurées par les vieux postes HF du modèle
399 et un avion KC135 servant de relais.
Il faut bien se rendre compte qu'en dépit de l'intérêt
manifesté par les seuls représentants de la marine, beaucoup
de travail reste à faire avant que l'utilisation des satellites
puisse être admise.
Le premier (faux) départ
C'est à partir de 1975 que semble se dessiner un intérêt
réel pour un satellite militaire d'observation optique.
Le Département DSP (ex-ESA) se voit confier, en coopération
avec l'Aérospatiale, une suite d'études préliminaires
dans le cadre d'un programme appelé Tebaldi, financé
par la DTEN. C'est l'origine du programme SAMRO (Satellite d'Application
Militaire de Reconnaissance Optique) prévu pour être
opérationnel.
L'objectif de DSP est d'obtenir la responsabilité des équipements
assurant le traitement des signaux à bord et leur transmission vers
le sol avec, si possible, celle du sous-système qu'ils constituent.
La responsabilité du sous-système TM-TC est également
recherchée.
Afin d'assurer une part dans le système complet aux unités
de Thomson-CSF compétentes pour développer les équipements
de réception au sol, la revendication porte en fait sur la responsabilité
de l'ensemble de la «chaîne image».
Cette revendication se heurte, dès la fin de 1975, à celle
de la SEP (Société Européenne de Propulsion) qui,
bien que spécialisée dans le domaine des moteurs de fusées,
recherche une possibilité de diversification dans celui des stations
de réception et de traitement au sol des signaux émis par
les satellites d'observation optique.
Après quelques passes d'armes au cours de réunions tripartites
organisées par l'Aérospatiale, les chances de compromis apparaissent
relativement faibles, chacune des parties insistant pour avoir la maîtrise
d'oeuvre des stations terriennes, tout en étant d'accord pour en
sous-traiter une partie à l'autre.
Au niveau de la maîtrise d'oeuvre du satellite, il faut s'attendre,
et ce sera le cas, à une compétition entre l'Aérospatiale
et MATRA, DSP ne s'estimant pas compétent pour assumer cette responsabilité
dans ce genre de satellite.
Le début de la phase A de l'étude de SAMRO est
programmé pour avril 1979, la décision d'engagement du programme
étant attendue pour avril 1980, avec le début de la phase
B en juillet 1980.
En décembre 1978, une décision de la nouvelle Direction
de la Division Faisceaux Hertziens (DFH), dont DSP fait partie, retire
au Département la responsabilité des systèmes comportant
satellites et équipements au sol pour la confier à la DEPA.
Cette unité, jusqu'alors chargée des travaux d'installation
des stations de faisceaux hertziens, est désormais chargée
du système SAMRO et va devoir prendre en charge l'étude
et le développement d'une chaîne image de satellite d'observation.
Le chef de projet désigné pour le système est Pierre
Houzelot, Jean-Claude Héraud restant responsable de la partie satellites
à DSP. Sur le plan commercial, la responsabilité de la proposition
passe au Service Commercial de DFH, jusque-là spécialisé
dans le domaine et vers la clientèle des faisceaux hertziens, le
Service Commercial de DSP devant dès lors lui apporter son assistance.
À partir de cette date, DSP consacre donc uniquement ses efforts
aux équipements de la charge utile et au sous-système télémesure-télécommande.
L'apparition en 1978 du programme civil d'observation SPOT, où
DSP se voit confier en 1979 la responsabilité de la télémesure
charge utile (TMCU), de l'électronique des instruments HRV ainsi
que des transpondeurs de TM-TC, aura une certaine influence dans l'attribution
des tâches dans le satellite SAMRO.
Tout naturellement, les actions de DSP sont orientées en vue
de tirer profit d'une synergie entre les deux programmes malgré
le handicap constitué par le fait que, s'il a le contrôle
entier des actions vis-à-vis du programme SPOT, celui du
programme SAMRO lui échappe en partie.
Les instructions de la DAM ont initialement préconisé
une coopération avec l'Aérospatiale mais il est bien entendu
prudent de ne pas écarter la possibilité que MATRA devienne
le maître d'oeuvre du satellite.
Les propositions pour la contribution de DSP à la phase A sont
préparées en parallèle en direction de l'Aérospatiale
et de MATRA. Elles sont basées sur une participation analogue à
celle prévue pour SPOT, c'est-à-dire la responsabilité
de la chaîne image, de la chaîne télémesure-trajectographie
et de la télécommande opérationnelle de la charge
utile avec, en plus, dans le cas de l'Aérospatiale, une participation
aux études «système» au sein du groupe de projet.
Les travaux de la phase A se déroulent sans événement
notable. Au milieu de l'année 1980 se pose le problème du
choix du maître d'oeuvre.
Parallèlement à la phase A de définition du système,
se déroule une compétition pour l'étude et la fourniture
de l'instrument optique du satellite. MATRA ayant gagné la compétition
pour l'instrument de SPOT, on peut s'attendre à la même
décision pour l'instrument de SAMRO. Or c'est l'Aérospatiale
qui l'emporte.
Pour la suite des opérations, l'Aérospatiale est désignée,
en avril 1980, comme maître d'oeuvre du système, et MATRA comme
maître d'oeuvre du satellite.
L'interlocuteur de DSP pour la participation au satellite est donc désormais
MATRA, qui invite DSP à négocier un partage de ce qu'il est
convenu d'appeler la «case équipements» du satellite,
c'est-à-dire :
- le sous-système de traitement à bord des signaux d'image
;
- la télémesure image chargée de transmettre ces
signaux vers le sol ;
- la télécommande protégée des équipements
du satellite.
La négociation est particulièrement serrée car
l'objectif de DSP, fort de sa participation déjà prévue
au satellite SPOT, vise à obtenir la maîtrise d'oeuvre
des trois sous-systèmes en question et la fourniture de tous leurs
équipements. DSP obtient une totale satisfaction pour la télémesure
image et pour la télécommande protégée.
La maîtrise d'oeuvre du sous-système de traitement est finalement
attribuée à DSP, étant entendu que certains de ses
équipements seront sous-traités à MATRA. Une seule
boîte du sous-système reste en litige et il est décidé
que, le moment venu, sa fourniture sera mise en compétition entre
les deux sociétés.
DSP a obtenu le maximum possible, c'est-à-dire la maîtrise
d'oeuvre de chacun des sous-systèmes de l'électronique de
bord. Malheureusement, cet accord a été négocié
par le Directeur de DSP.
La Direction de la Division DFH estime que ce dernier a outrepassé
ses pouvoirs en menant seul cette négociation et, en novembre 1980,
elle fait savoir à la Direction de la branche Espace de MATRA qu'en
aucun cas elle ne reconnaîtra la validité de l'accord.
Bien entendu, MATRA en profite pour reprendre les concessions qu'il
a faites et il ne sera plus jamais question pour Thomson, et donc DSP,
de conserver la maîtrise d'oeuvre du sous-système de traitement.
Seules des sous-traitances d'équipements peuvent lui être
attribuées et cela risque d'être la cause du transfert vers
MATRA de connaissances acquises à l'occasion du programme SPOT.
Les travaux de phase B sont entrepris sur ces bases. À DSP, au
sein du Service SS2 dirigé par Jean-Claude Héraud, les principaux
travaux sont menés par Jean Rozes et Guy Schang.
À partir de janvier 1982, la Division Espace a été
créée, ce qui a permis de resserrer les liens entre l'équipe
chargée du satellite et celle chargée du système,
qui est désormais dirigée par Claude Michaud. En fait, la
participation aux travaux sur le système avec l'Aérospatiale
ne pourra jamais se concrétiser.
Des bruits alarmistes commencent à circuler sur une annulation
possible du programme SAMRO, laquelle est effectivement annoncée
en août 1982.
Entre-temps, le projet d'utilisation de Telecom 1 à des
fins dites «gouvernementales» a été annoncé
et, à partir de 1979, le système de télécommunications
par satellites, baptisé SYRACUSE 1, va constituer le point
de départ de l'utilisation concrète des satellites par les
armées françaises.
L'aspect «charge utile» en est relaté dans le chapitre
Telecom 1 et l'aspect «système» fait l'objet
d'un chapitre particulier appelé SYRACUSE. |