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Association Amicale des Anciens d'Alcatel Space
CHRONIQUES D'UN MÉTIER de 1963 à 1993
Table | Préf | Intro | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7 | 8 | 9

6 - Les programmes de satellites

6.4 - Les programmes militaires

Les premières affaires militaires

L'environnement initial


Contrairement au domaine des applications civiles des satellites auquel le CNES donne une impulsion significative dès sa création en 1962, l'utilisation des satellites à des fins militaires ne suscite, en France, avant la fin des années soixante-dix, que peu d'intérêt, tout au moins apparent, auprès des autorités qui pourraient être concernées.

Certes, le domaine des lanceurs, qui représente une suite logique aux importants efforts consentis dans celui des missiles balistiques, donne lieu aux remarquables développements qui aboutissent, dès 1965, à la mise en oeuvre du premier lanceur de la série Diamant. Le soutien des agences militaires à ce programme est sans aucun doute décisif pour son succès mais il faut noter, malgré tout, qu'aucun lanceur Diamant n'aura l'occasion de mettre en orbite un satellite d'application militaire.

Dès 1962, Vladimir Altovsky, à la tête du Bureau des Activités Spatiales de Thomson, et les commerçants de plusieurs unités ont commencé à rendre de fréquentes visites à des agences telles que la DRME (Direction des Recherches et des Moyens d'Essais) ou la DTEN (Direction Technique des Engins) pour proposer des études liées aux applications militaires des satellites. Du côté de CSF, avec Jean-Claude Simon à la tête du groupement d'études spatiales, des démarches analogues ont, bien entendu, été effectuées.

Pendant un certain nombre d'années, les résultats sont maigres car seul l'intérêt exprimé des états-majors pourrait encourager les responsables des organismes d'études, dont la bonne volonté est évidente, à consacrer des crédits substantiels aux études en question.
 

Les études préliminaires


Pour tenter d'éveiller cet intérêt, quelques études de faisabilité sont entreprises. Les orientations choisies oscillent périodiquement entre plusieurs applications : l'observation, l'écoute radioélectrique et les télécommunications, sans qu'une ligne directrice continue ne puisse être établie en faveur de l'une d'elles.

La première étude de quelque importance, baptisée Sarah, qui est confiée à Thomson en 1965, porte sur l'écoute et l'identification des émissions radioélectriques, et plus particulièrement sur celle des radars implantés dans les pays de l'Est. Comme il a déjà été exposé au chapitre consacré au début des activités spatiales à Thomson, elle est effectuée en collaboration par la Division RTT (Radiodiffusion, Télévision, Télécommunications) de Gennevilliers et le GSER (Groupement Systèmes Électroniques et Radars) de Bagneux.

L'espoir de projets aboutissant à des réalisations concrètes se fait attendre. Une enquête effectuée en 1970 par la DAM (Direction des Affaires Militaires), dirigée par Raymond Paul, révèle qu'aucun programme de satellite d'application militaire ne pourra être décidé avant 1975.

Parmi les études envisagées à cette date figurent :

- une suite possible, sous la forme d'étude des procédés d'accès multiples, à une étude de satellite de télécommunications militaires dérivé de Symphonie, passée par la DRME et baptisée Artemis ;

- une étude, baptisée Sytosat, d'un satellite destiné à doubler les moyens de transmission de l'ordre de mise à feu des armes nucléaires ainsi que de l'ensemble du système comprenant des stations terriennes. Pour cette étude, qui doit en principe utiliser au maximum des éléments du satellite Symphonie, le client recommande une collaboration entre Thomson-CSF et l'Aérospatiale ;

- une étude des moyens à mettre en oeuvre pour l'utilisation, à des fins de localisation, des signaux des satellites américains Transit ;

- un avant-projet de satellite d'écoute des émissions radioélectriques, baptisé Satrape, pour lequel Thomson-CSF a quelques chances d'obtenir la maîtrise d'oeuvre.
 
 

La proposition pour l'étude Satrape est remise à la DTEN (par la Division MAS) au début de 1970. Elle comprend une participation de MATRA pour la définition du satellite.

Par la suite, en octobre 1970, et avant que le marché ne soit passé, MATRA fait savoir qu'il ne souhaite plus collaborer avec Thomson-CSF.

Entre-temps, le Département ESA a été créé et c'est le Service Systèmes Spatiaux, dirigé par Claude Skenderoff, qui est chargé de l'étude.

Un autre marché, dérivé du projet Sytosat, porte sur la «transmission d'ordres par satellite».

Durant les quelques années qui suivent, les actions commerciales entreprises sont quelque peu compliquées par des imprécisions sur l'attribution des diverses responsabilités au sein de Thomson-CSF.

Au siège, par exemple, dont l'organisation nouvelle a été mise en place à l'occasion de la fusion de Thomson et de CSF, le Bureau des Activités Spatiales (BAS), chargé de la promotion dans le domaine spatial, dépend de la Direction des Affaires Civiles (DAC), dirigée par Marc de Saint-Denis. Les affaires militaires sont prises en charge par la Direction des Affaires Militaires, dirigée par Raymond Paul. Il faut quelque temps pour que, à la lumière de l'expérience, les actions de ces deux organismes en arrivent à se coordonner et à éviter toute interférence nuisible au succès des démarches.

D'autre part, si l'attribution du domaine des satellites, civils ou militaires, au Département ESA est incontestée, il n'en est pas de même pour les études concernant le segment sol et quelques aspects «système».

Le système NICS-Satcom de l'Otan est en cours de réalisation et l'affaire est suivie par la Division Systèmes Électroniques (DSE).

Si, dans ce système, Thomson-CSF n'a aucun espoir raisonnable de participer à la construction d'éventuels satellites, qui doivent être américains, il n'en est pas de même pour le segment sol.

La DSE est chargée de suivre ce programme. La Marine nationale, par l'intermédiaire du STCAN, exprime un certain intérêt pour l'étude d'une station embarquée.

Elle suit également de près la possibilité d'utiliser, pour ses liaisons, le satellite militaire britannique Skynet, soit en faisant développer des stations en France, soit en achetant des stations déjà développées à l'industriel anglais Marconi. Il semble inutile de préciser que l'éventualité de la seconde solution provoque une vive réaction de la part de Thomson-CSF.

Un problème se pose au sein de Thomson-CSF quant à la responsabilité du développement de telles stations car, si le pilotage de ce genre d'affaire militaire a été, en principe, attribué à DSE, le groupement d'intérêt économique Telspace a été spécialement créé pour recevoir les marchés de stations terriennes, tout au moins dans le domaine civil.

Après quelques échanges de notes suivis de négociations, DSE se voit confirmer la responsabilité du pilotage, étant entendu qu'elle sous-traitera certains travaux aux unités compétentes. C'est ainsi que la Division Télécom­mu­nications (DTC) prend en charge l'étude des modems SSMA.

La Division DSE peut finalement, après de longs efforts, obtenir du SCTI un marché pour la réalisation d'une maquette de station terrienne baptisée Sextius et fait, pour cela, appel à la collaboration des Divisions DFH, DRS (Radars de Surface) et DTE (Tubes Électroniques). Cette station est installée sur le site du CELAR, près de Rennes, et exploitée en «calibration» sur le satellite Symphonie. Les suites de ce programme sont mentionnées au chapitre SYRACUSE. Le chef de projet est Robert Ouriou.

Sur le plan général, la coordination des démarches commerciales est d'autant plus difficile à mettre en oeuvre que les organismes d'études susceptibles d'intervenir à plus où moins long terme dans le domaine spatial sont relativement nombreux : DRME (Direction des Recherches et Moyens d'Essais), DTEN (Direction Technique des Engins), STTA (Service Technique des Télécommunications de l'Air), SCTI (Service Central des Télécommunications Interarmes), STCAN (Service Technique des Constructions et Armes Navales), et, enfin, CELAR (Centre d'ÉLectronique des ARmées).

À son niveau, et tout en s'efforçant de maintenir un minimum de coordination avec la DAM, le Service Commercial du Département ESA maintient un contact quasi permanent avec la plupart des services ci-dessus et parvient à obtenir quelques marchés d'étude.

On peut citer, en particulier :

- pour la DRME, un marché d'étude d'un avant-projet de satellite militaire de télécommunications ;

- pour la DTEN, un marché d'étude des nuisances causées à la Défense nationale par l'utilisation des satellites.
 
 

Les deux marchés sont obtenus en 1973.

Certaines actions commerciales sont menées en liaison avec l'Aérospatiale qui, depuis 1973, a entrepris la promotion d'un futur lanceur, baptisé LS434, et de charges utiles potentielles pour ce lanceur.

L'Aérospatiale mène, auprès du SCTI, une action commune avec Thomson-CSF pour promouvoir un satellite militaire de télécommunications léger (70 kilos) adapté à ce lanceur.

La réalisation de ce satellite est proposée pour un début en 1976 et pourrait être suivie, à partir de 1985, par celle d'un satellite «lourd» adapté à un lanceur lourd baptisé L3S.

Au milieu de 1974, l'Aérospatiale organise aux Mureaux, avec la participation de Thomson-CSF, dont le Département ESA, une présentation du projet de satellite militaire léger de télécommunications à laquelle sont notamment invités des représentants des états-majors.

Les résultats en sont décevants, un certain nombre des invités ayant nettement indiqué que l'utilisation de satellites pour les transmissions militaires paraissait beaucoup trop onéreuse en comparaison avec les services qui pourraient être rendus. Par exemple, les liaisons avec Djibouti sont, de l'avis de l'un d'entre eux, suffisamment bien assurées par les vieux postes HF du modèle 399 et un avion KC135 servant de relais.

Il faut bien se rendre compte qu'en dépit de l'intérêt manifesté par les seuls représentants de la marine, beaucoup de travail reste à faire avant que l'utilisation des satellites puisse être admise.
 

Le premier (faux) départ


C'est à partir de 1975 que semble se dessiner un intérêt réel pour un satellite militaire d'observation optique.

Le Département DSP (ex-ESA) se voit confier, en coopération avec l'Aérospatiale, une suite d'études préliminaires dans le cadre d'un programme appelé Tebaldi, financé par la DTEN. C'est l'origine du programme SAMRO (Satellite d'Application Militaire de Reconnais­sance Optique) prévu pour être opérationnel.

L'objectif de DSP est d'obtenir la responsabilité des équipements assurant le traitement des signaux à bord et leur transmission vers le sol avec, si possible, celle du sous-système qu'ils constituent. La responsabilité du sous-système TM-TC est également recherchée.

Afin d'assurer une part dans le système complet aux unités de Thomson-CSF compétentes pour développer les équipements de réception au sol, la revendication porte en fait sur la responsabilité de l'ensemble de la «chaîne image».

Cette revendication se heurte, dès la fin de 1975, à celle de la SEP (Société Européenne de Propulsion) qui, bien que spécialisée dans le domaine des moteurs de fusées, recherche une possibilité de diversification dans celui des stations de réception et de traitement au sol des signaux émis par les satellites d'observation optique.

Après quelques passes d'armes au cours de réunions tripartites organisées par l'Aérospatiale, les chances de compromis apparaissent relativement faibles, chacune des parties insistant pour avoir la maîtrise d'oeuvre des stations terriennes, tout en étant d'accord pour en sous-traiter une partie à l'autre.

Au niveau de la maîtrise d'oeuvre du satellite, il faut s'attendre, et ce sera le cas, à une compétition entre l'Aérospatiale et MATRA, DSP ne s'estimant pas compétent pour assumer cette responsabilité dans ce genre de satellite.

Le début de la phase A de l'étude de SAMRO est programmé pour avril 1979, la décision d'engagement du programme étant attendue pour avril 1980, avec le début de la phase B en juillet 1980.

En décembre 1978, une décision de la nouvelle Direction de la Division Faisceaux Hertziens (DFH), dont DSP fait partie, retire au Département la responsabilité des systèmes comportant satellites et équipements au sol pour la confier à la DEPA. Cette unité, jusqu'alors chargée des travaux d'installation des stations de faisceaux hertziens, est désormais chargée du système SAMRO et va devoir prendre en charge l'étude et le développement d'une chaîne image de satellite d'observation.

Le chef de projet désigné pour le système est Pierre Houzelot, Jean-Claude Héraud restant responsable de la partie satellites à DSP. Sur le plan commercial, la responsabilité de la proposition passe au Service Commercial de DFH, jusque-là spécialisé dans le domaine et vers la clientèle des faisceaux hertziens, le Service Commercial de DSP devant dès lors lui apporter son assistance.

À partir de cette date, DSP consacre donc uniquement ses efforts aux équipements de la charge utile et au sous-système télémesure-télécommande.

L'apparition en 1978 du programme civil d'observation SPOT, où DSP se voit confier en 1979 la responsabilité de la télémesure charge utile (TMCU), de l'électronique des instruments HRV ainsi que des transpondeurs de TM-TC, aura une certaine influence dans l'attribution des tâches dans le satellite SAMRO.

Tout naturellement, les actions de DSP sont orientées en vue de tirer profit d'une synergie entre les deux programmes malgré le handicap constitué par le fait que, s'il a le contrôle entier des actions vis-à-vis du programme SPOT, celui du programme SAMRO lui échappe en partie.

Les instructions de la DAM ont initialement préconisé une coopération avec l'Aérospatiale mais il est bien entendu prudent de ne pas écarter la possibilité que MATRA devienne le maître d'oeuvre du satellite.

Les propositions pour la contribution de DSP à la phase A sont préparées en parallèle en direction de l'Aérospatiale et de MATRA. Elles sont basées sur une participation analogue à celle prévue pour SPOT, c'est-à-dire la responsabilité de la chaîne image, de la chaîne télémesure-trajectographie et de la télécommande opérationnelle de la charge utile avec, en plus, dans le cas de l'Aérospatiale, une participation aux études «système» au sein du groupe de projet.

Les travaux de la phase A se déroulent sans événement notable. Au milieu de l'année 1980 se pose le problème du choix du maître d'oeuvre.

Parallèlement à la phase A de définition du système, se déroule une compétition pour l'étude et la fourniture de l'instrument optique du satellite. MATRA ayant gagné la compétition pour l'instrument de SPOT, on peut s'attendre à la même décision pour l'instrument de SAMRO. Or c'est l'Aérospatiale qui l'emporte.

Pour la suite des opérations, l'Aérospatiale est désignée, en avril 1980, comme maître d'oeuvre du système, et MATRA comme maître d'oeuvre du satellite.

L'interlocuteur de DSP pour la participation au satellite est donc désormais MATRA, qui invite DSP à négocier un partage de ce qu'il est convenu d'appeler la «case équipements» du satellite, c'est-à-dire :

- le sous-système de traitement à bord des signaux d'image ;

- la télémesure image chargée de transmettre ces signaux vers le sol ;

- la télécommande protégée des équipements du satellite.
 
 

La négociation est particulièrement serrée car l'objectif de DSP, fort de sa participation déjà prévue au satellite SPOT, vise à obtenir la maîtrise d'oeuvre des trois sous-systèmes en question et la fourniture de tous leurs équipements. DSP obtient une totale satisfaction pour la télémesure image et pour la télécommande protégée.

La maîtrise d'oeuvre du sous-système de traitement est finalement attribuée à DSP, étant entendu que certains de ses équipements seront sous-traités à MATRA. Une seule boîte du sous-système reste en litige et il est décidé que, le moment venu, sa fourniture sera mise en compétition entre les deux sociétés.

DSP a obtenu le maximum possible, c'est-à-dire la maîtrise d'oeuvre de chacun des sous-systèmes de l'électronique de bord. Malheureusement, cet accord a été négocié par le Directeur de DSP.

La Direction de la Division DFH estime que ce dernier a outrepassé ses pouvoirs en menant seul cette négociation et, en novembre 1980, elle fait savoir à la Direction de la branche Espace de MATRA qu'en aucun cas elle ne reconnaîtra la validité de l'accord.

Bien entendu, MATRA en profite pour reprendre les concessions qu'il a faites et il ne sera plus jamais question pour Thomson, et donc DSP, de conserver la maîtrise d'oeuvre du sous-système de traitement. Seules des sous-traitances d'équipements peuvent lui être attribuées et cela risque d'être la cause du transfert vers MATRA de connaissances acquises à l'occasion du programme SPOT.

Les travaux de phase B sont entrepris sur ces bases. À DSP, au sein du Service SS2 dirigé par Jean-Claude Héraud, les principaux travaux sont menés par Jean Rozes et Guy Schang.

À partir de janvier 1982, la Division Espace a été créée, ce qui a permis de resserrer les liens entre l'équipe chargée du satellite et celle chargée du système, qui est désormais dirigée par Claude Michaud. En fait, la participation aux travaux sur le système avec l'Aérospatiale ne pourra jamais se concrétiser.

Des bruits alarmistes commencent à circuler sur une annulation possible du programme SAMRO, laquelle est effectivement annoncée en août 1982.

Entre-temps, le projet d'utilisation de Telecom 1 à des fins dites «gouvernementales» a été annoncé et, à partir de 1979, le système de télécommunications par satellites, baptisé SYRACUSE 1, va constituer le point de départ de l'utilisation concrète des satellites par les armées françaises.

L'aspect «charge utile» en est relaté dans le chapitre Telecom 1 et l'aspect «système» fait l'objet d'un chapitre particulier appelé SYRACUSE.

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