6 - Les programmes de satellites
6.4 - Les programmes militaires
À l'automne 1978, un rapport rédigé par DSE (Division
Systèmes Électroniques de Thomson-CSF) est remis aux militaires
: c'est le point de départ des transmissions militaires par satellite
pour notre nation. Saluons ici au passage l'opiniâtreté de
l'amiral Bovis, chef du Bureau TEI (Bureau Technique de l'Électronique
et de l'Informatique) à l'État-Major des armées, initiateur
clairvoyant et futuriste, ainsi que notre ami Louis Colliaux, ancien ingénieur
de Thomson-CSF/DSP, qui avait, contraint, quitté toute activité
pendant une longue période suite à une douloureuse maladie,
et que nous avions la grande joie de retrouver comme animateur de cette
expérimentation au CELAR (Centre ÉLectronique de l'ARmement).
Il participera ensuite, pendant quelques années, jusqu'à
son décès en 1988, à l'élaboration et au développement
des matériels actuellement en service.
La Direction Générale des Télécommunications
(Jean Grenier de la Direction des Affaires Industrielles et Internationales)
est en relation avec l'État-Major des armées (amiral Bovis)
pour intégrer éventuellement une charge utile militaire (7/8
GHz) sur le satellite Telecom 1. Cependant, on rencontre à
la fois des problèmes de budget pour les militaires qui, jusque-là,
ne considéraient pas les satellites de télécommunications
comme indispensables, et des risques techniques, puisque le satellite Telecom
1, premier satellite de télécommunications français,
aurait une grande complexité avec trois bandes de fréquences.
Avec l'aide de Jacques Chaumeron, Directeur de DSP (Département
Espace-Satellites de Thomson-CSF), qui peut garantir la faisabilité
technique de la charge utile, Gérard Coffinet, ex-ingénieur
en chef de l'armement, spécialiste des transmissions de la marine,
Directeur Commercial de DFH (Division Faisceaux Hertziens de Thomson-CSF),
convainc les différents services de la Direction Générale
de l'Armement (à savoir : le Service Central des Télécommunications
et de l'Informatique : l'IGA Alberge et l'IGA Dages, et les Services Techniques
des Constructions et Armes Navales : l'IC Gueldry) de l'intérêt
de mettre en place le système SYRACUSE I (SYstème
de RAdioCommunication Utilisant un SatellitE) sous le pilotage de l'État-Major
des armées.
Il convainc également la Direction Générale de
Thomson-CSF (en particulier Jean-Pierre Bouyssonnie et Raymond Paul) de
la nécessité de créer au sein de DFH une section commerciale
militaire afin de coordonner de l'intérieur comme de l'extérieur
l'activité spatiale militaire qui prend vraiment son essor. Jean
Rémondin, ex-technicien du Radar, alors ingénieur commercial
à DRS (Division Radars de Surface), est muté début
1979 de Bagneux à DFH Levallois pour assurer la responsabilité
commerciale de ces activités auprès de Gérard Coffinet.
Dans les laboratoires de Levallois, Pierre Luginbuhl et André
Le Roux, avec leurs ingénieurs, «fignolent» les spécifications
techniques de préétude d'un système dont les premières
expressions de besoin ont été dictées par l'ICA Dages.
En février de la même année, le Gouvernement prescrit
au secrétariat d'État aux Postes et Télécommunications
et au ministère de l'Industrie le lancement d'un satellite opérationnel
de télécommunications baptisé Telecom 1, et
sa mise en service en 1983. Une partie de ce satellite doit être
réservée à la satisfaction des besoins du ministère
de la Défense : «doter les forces implantées outre-mer,
les forces navales, et éventuellement en secours les forces agissant
en Europe, de moyens de transmissions fiables et protégés
avec les autorités métropolitaines». Le programme
spécifiquement militaire SYRACUSE est né.
Les caractéristiques générales de SYRACUSE I
Le programme SYRACUSE I permettra la réalisation de
liaisons protégées en télégraphie, transmissions
de données et téléphonie numérique, entre divers
types de stations. Il est constitué des éléments à
incorporer au segment spatial de Telecom 1, de stations fixes métropolitaines,
de stations mobiles transportables et légères, ainsi que
de stations navales qui seront embarquées sur les navires de la
Marine nationale.
L'objectif fixé aux P&T est de mettre à poste deux
satellites géostationnaires à 5° et 8° ouest (dont
un en réserve), qui pourront couvrir le territoire de la France
métropolitaine et une partie de l'Europe, ainsi que les départements
et territoires français d'outre-mer, de la mer des Antilles à
l'océan Indien.
Le système Telecom 1 utilisera les bandes 14/12 GHz pour
les services intraentreprises et vidéotransmission, 8/7 GHz à
usage spécifiquement militaire (SYRACUSE) et 6/4 GHz pour
les liaisons téléphoniques et de télévision
avec les Dom-Tom.
La capacité offerte en téléphonie est de 125 Mbit/s
pour les liaisons intraentreprises, et supérieure à deux
mille voies téléphoniques pour les liaisons avec les Dom-Tom.
Le satellite est constitué d'une plate-forme emportant une charge
utile de douze répéteurs.
MATRA est le maître d'oeuvre du satellite et le réalisateur
de la plate-forme. Le Département Espace-Satellites (DSP) de Thomson-CSF
est responsable et réalisateur de la charge utile.
L'organisation étatique
Un groupe de projet est mis en place à la DGT avec à
sa tête l'ingénieur en chef des télécommunications
Ramat, bien connu et apprécié de nos techniciens. Il aura
la responsabilité de la réalisation et de la commercialisation
du système. Un comité de programme paritaire DGT/CNES est
chargé de la conception et de la réalisation du segment spatial
: satellite, lancements et stations terriennes de contrôle.
Le premier lancement est prévu en juillet 1983, le deuxième
trois mois plus tard, et la mise en service après la recette du
deuxième satellite lancé.
Le programme SYRACUSE I
Le programme militaire SYRACUSE I comprend donc la définition
fine des spécifications techniques d'ensemble du système
et de la charge utile correspondante, le développement et la réalisation
d'une vingtaine de stations terriennes.
Le coût est de l'ordre de 400 millions de francs en études,
et 600 millions de francs en fabrications (francs hors taxes au 01-01-1992),
la partie spatiale militaire représentant environ 100 millions de
francs.
La charge utile militaire
La charge utile militaire comprend deux répéteurs (7/8
GHz) associés à une paire de cornets de couverture mondiale
et à une balise non modulée, permettant le pointage des antennes
au sol. Pour des raisons de délai, elle est entièrement sous-traitée
par DSP à Ford Aerospace. Malgré la compétence reconnue
de cette société, on rencontrera des difficultés (en
particulier pour les alimentations des TOP) et des retards qui, heureusement,
pourront être circonscrits dans le calendrier final de Telecom
1.
Le segment solOn distingue essentiellement quatre types de
stations qui se particularisent par la taille des antennes, l'utilisation
qui en est faite, et le nombre d'éléments constitutifs.
Les trois stations terriennes métropolitaines fixes
Ces stations ont une antenne autopointée de 8 mètres de
diamètre. Elles assurent l'ensemble du trafic du réseau avec
les autres stations et entre elles.
Les stations navales
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Syracuse I, antenne de 1,5 mde diamètre
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Ces stations sont embarquées sur les bâtiments de la Marine
nationale (une vingtaine de navires de taille égale ou supérieure
aux corvettes, soit environ 3 000 tonnes). Chaque station est composée
de deux antennes stabilisées 3 axes, de diamètre 1,5 mètre
sous radôme (l'une ou l'autre, bâbord ou tribord, étant
commutée en fonction des masques présentés par les
superstructures du navire), d'un shelter transbordable installé
sur le pont, et d'équipements déportés dans les locaux
techniques du bâtiment.
Les stations terrestres mobiles
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Station transportable de Syracuse I
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Ces stations sont transportables par avion Transall. Chacune est composée
d'une antenne de 3 mètres de diamètre et d'un shelter qui
peut être installé sur camion.
Les stations mobiles légères
Ces stations diffèrent des précédentes par un allègement
de certains sous-ensembles : entre autres, antenne de taille réduite
à 1,3 mètre, et émetteur de moindre puissance.
L'organisation du programme
Cette affaire complexe et tendue du point de vue des délais nécessite
la mise en place à la DGA d'une Direction de Programme placée
au SCTI sous la responsabilité de l'ingénieur en chef Dages,
et supervisée par un comité de direction présidé
par l'ingénieur général Alberge, alors chef du SCTI.
Le comité directeur est assisté, pour la préparation
de ses décisions par :
- un groupe opérationnel relevant de l'État-Major des
armées (EMA-TEI), dont dépend l'officier de programme ;
- un groupe technique placé sous l'autorité du Directeur
de Programme.
Les relations avec l'organisme responsable de Telecom 1 et les
relations internationales (États-Unis, Royaume-Uni et OTAN) sont
également assurées par le Directeur de Programme, l'ingénieur
en chef Dages, à qui nous rendons ici hommage pour la perspicacité
et l'opiniâtreté qu'il a manifestées, tant dans le
domaine technique qu'en matière économique, tout au long
des phases d'étude et de développement du segment militaire
du système, en jouant à la fois le rôle de chef d'orchestre
et d'aiguillon. Sans lui, SYRACUSE ne serait pas la réelle
réussite reconnue de tous aujourd'hui.
Les contrats
Du côté des réalisations, la totalité des
contrats est notifiée à la Division Espace de Thomson-CSF.
La charge utile militaire fait partie du contrat principal du satellite
passé par la DGT à MATRA qui sous-traite l'ensemble de la
charge utile à Thomson-CSF (contrat passé en 1980).
Pour les stations sol, il faut monter des contrats assez complexes car,
les délais étant très courts (quatre ans pour arriver
à la série), il n'est pas possible de franchir toutes les
étapes d'un programme militaire classique. Les études de
base sont faites simultanément avec la réalisation des prototypes,
et les commandes de série (ou tout au moins les approvisionnements)
doivent être passées bien avant la fin de réalisation
des prototypes.
Ces contrats sont bâtis entre la Direction Commerciale de DFH
et l'IG Alberge qui est devenu Directeur de la Direction de l'Électronique
et de l'Informatique, et qui confie le suivi au Service Technique de l'Électronique
et de l'Informatique (STEI) dirigé par l'IGA Javelot (à l'époque
ICA, décédé en 1998).
Les difficultés techniques (en particulier sur les synthétiseurs)
entraînent des retards, aggravés par la séparation
de DFH en deux divisions. La Division Espace est responsable de SYRACUSE
I, Jean-Louis de Montlivault étant Directeur de Programme, et
la Division Faisceaux Hertziens étudie et réalise les stations
sol. Vers le milieu de 1982, il apparaît que le programme est en
danger.
C'est pourquoi Gérard Coffinet, après avoir confié
une mission d'audit à Alain Poquet, propose qu'une véritable
équipe de maîtrise d'oeuvre soit montée dans la Division
Espace sous la direction d'Alain Poquet. Cette proposition est acceptée
par Jacques Imbert, Jean Guibourg (DFH) et André Rapenne (DTC),
à condition que l'équipe soit financée par la DGA.
Ce qui est obtenu grâce à l'IG Alberge et à l'ICA Dages.
Cette mesure essentielle sauvera le calendrier du programme et permettra
de rester dans les coûts prévus.
La maîtrise d'oeuvre
Les prototypes étant satisfaisants, la puissance industrielle
de Thomson-CSF se met alors à l'oeuvre. La planification, l'organisation
et la distribution du travail déclenchent sans inertie les bureaux
et laboratoires d'étude pendant que les ateliers se préparent
à traiter les liasses de «bons à fabriquer» qui
déferleront quelques semaines plus tard, et cela sans relâche,
jusque vers la fin des années quatre-vingt, en alimentant DFH, devenue
ensuite Alcatel Thomson Faisceaux Hertziens puis Telspace, pour une grande
partie des sous-ensembles, DRS Bagneux pour l'intégralité
des antennes navales (source hyper, mécanique, asservissements,
parabole, radôme), DTC Gennevilliers pour les châssis de codage
d'accès SSMA (Spread Spectrum Multiple Access) et la téléphonie
cryptée, mais aussi d'importants sous-traitants extérieurs
à la Compagnie, par exemple pour les antennes terriennes de 8 et
3 mètres et les trois types de shelters nus.
Tout au long du déroulement du planning PERT, étroitement
surveillé par les services techniques de la Défense, les
équipements sortent en série des plates-formes d'essai et
sont regroupés sur le site de Cergy-Pontoise (surfaces louées
à Telspace) pour y être intégrés et présentés
en recette usine au SIAR (Surveillance Industrielle de l'Armement), station
par station. Cela nécessite la réalisation de «plots»
(plates-formes d'essai spécifiques à chaque type de station),
ce qui est un champ d'expérience essentiel pour SYRACUSE II.
Grâce à cette organisation industrielle «tentaculaire»,
et au prix des efforts de tous les participants, le programme SYRACUSE
I tient les délais imposés. Le lancement de la fusée
Ariane
3, le 4 août 1984, réussit la mise en orbite du satellite
Telecom
1A. Ce satellite, comme le deuxième
(Telecom 1B), lui
aussi lancé avec succès, le 7 mai 1985, permet de faire enfin
des essais en vraie grandeur du système. Un troisième satellite
(Telecom 1C), initialement prévu au sol, sera lancé
plus tard, ce qui permettra de maintenir le service offert jusqu'à
l'arrivée des satellites Telecom 2.
Pour les stations à bord des navires, le prototype est installé
sur la corvette ASM type C70, le Jean de Vienne, ce qui permet de
valider les antennes et l'ensemble en fonctionnement. Cela constitue une
première en France. Suivront quelques grandes réussites qui
auront un fort retentissement :
- utilisation au Tchad en 1985 lors de troubles ;
- utilisation sur le croiseur De Grasse, pour faciliter l'évacuation
des Français lors de troubles à Aden en 1986 ;
- essais lors de l'exposition du Bourget en 1985 entre le chef d'État-Major
des armées, parlant depuis Paris, et le ministre de la Défense
Charles Hernu, parlant depuis le Midi de la France, puis le lendemain un
essai du même genre avec Berlin où est implantée la
station SYRACUSE du gouvernement français de Berlin ;
- inauguration officielle de la station métropolitaine à
Lanvéoc-Poulmic le 19 mars 1986, sous la présidence de l'amiral
Louzeau.
L'État-Major, qui peut ainsi décider la mise en service
opérationnelle en 1986, est enthousiasmé par les avantages
opérationnels qu'apportent les télécommunications
par satellite, et c'est ce qui motive la décision de lancer SYRACUSE
II. |